L’intervention en séance d’Esther Benbassa sur la proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives (27 février 2013)

Discussion générale du Mercredi 27 février 2013

Monsieur le Président, Madame la Ministre, Mes ChèrEs collègues,

Amnistier n’est pas gracier. Face au droit de grâce du Président de la République, l’amnistie depuis le XIXe siècle est un privilège du Parlement. Et aux termes de l’article 34 de la Constitution de 1958, c’est la loi, votée par les représentants du peuple, qui en fixe les règles.

Tradition pluriséculaire, dont on retrouve des traces dès l’Antiquité, l’amnistie apaise, pacifie. Elle autorise, elle prescrit même l’oubli, qui réconcilie. Elle se présente périodiquement comme le moyen d’assurer la cohésion d’une société parcourue de tensions, et comme l’expression ultime d’une aspiration commune à cette cohésion. Rien n’illustre mieux cette fonction essentielle de l’amnistie que ce décret du 14 septembre 1791 qui instaurait une amnistie générale pour tous – pour les révolutionnaires, pour les contre-révolutionnaires, ainsi que pour le roi – dans le but de préserver la Constitution de 1791.

Il n’est pas sûr que la tradition qui s’est imposée, au fil du temps, pour chaque nouveau Président de la Cinquième République, de faire voter une loi d’amnistie après son élection soit réellement en accord avec le véritable esprit de l’amnistie. Et de fait, depuis une dizaine d’années, de nombreuses voix ont remis en cause ces lois d’amnistie générales.

Notamment parce qu’elles pouvaient sembler constituer une incitation à enfreindre la loi au cours de la période précédant immédiatement l’élection présidentielle. Mais aussi parce que les infractions amnistiées étant limitativement énumérées par la loi, cette dernière pouvait être considérée comme portant atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi et donc devenait source d’injustice.

Depuis 2002, aucune loi d’amnistie n’a donc été votée. Et chaque candidat aux élections présidentielles s’est engagé à ne pas faire voter de telles lois.

La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, si elle semble bien s’inscrire dans cette tradition de la Cinquième République, en diffère pourtant à plusieurs égards. D’une part, elle ne vient pas d’en haut, elle ne résulte pas d’un engagement présidentiel, mais émane directement de notre représentation parlementaire. D’autre part, son champ d’application est en l’occurrence circonscrit.

Ainsi que le rappelle notre collègue Eliane Assassi, rapporteure du texte, cette proposition de loi « ne concerne que les infractions commises lors de conflits du travail, à l’occasion d’activités syndicales ou revendicatives ou encore à l’occasion de mouvements collectifs. »

Il s’agit bien d’un projet d’amnistie ciblée, qui ne se peut comprendre que resitué dans le contexte actuel de crise majeure. Son domaine d’application particulier était déjà envisagé par les précédentes lois d’amnistie. Celle de 2002 prévoyait ainsi, à son article 3, l’amnistie « des délits passibles de moins de dix ans d’emprisonnement et commis à l’occasion de conflits du travail ou à l’occasion d’activités syndicales et revendicatives de salariés, d’agents publics et de membres de professions libérales, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics. »

Reste que les débats riches et nombreux auxquels le présent texte a donné lieu au sein de notre Commission des lois montrent bien qu’en dépit du nombre restreint des infractions effectivement visées, cette proposition de loi d’amnistie n’est pas perçue comme anodine. Bien au contraire.

Nous, femmes et hommes de gauche, mais aussi nombre d’autres, attachés aux valeurs de la démocratie, sommes naturellement portés à une pratique pacifique et non violente de la protestation et de la contestation sociales. Nulle situation, si dure soit-elle, ne peut justifier à nos yeux la violence, particulièrement lorsqu’elle vise les personnes.

Reste que dans le contexte actuel de crise profonde, économique, sociale et écologique, les citoyennes et citoyens sont confrontés à des difficultés majeures, comme le chômage, la précarité, l’absence d’accès au logement, sans oublier les risques environnementaux.  L’action collective est un droit inhérent à toute démocratie, il est dûment stipulé par les alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution de 1946. Nombreux, pourtant, ont été et sont nos concitoyens qui, s’engageant légitimement dans de telles actions collectives, ont subi des sanctions injustifiées pour avoir osé la contestation : lutte pour l’emploi, opposition à l’EPR et aux lignes THT, dénonciation des conditions de travail, droits des migrants, refus de prélèvement d’ADN, etc.

Conscient de l’importance de ces combats, le groupe écologiste votera donc le texte dont nous débattons aujourd’hui. Et pour les mêmes raisons, il s’opposera à tout amendement visant à exclure du champ de la présente loi d’amnistie les faucheurs d’OGM ou, par exemple, les personnes libérant les animaux de laboratoire ou s’opposant à certains travaux de recherche, parce que ceux-ci vont à l’encontre de l’intérêt général, ou relèvent de la manipulation scientifique.

Il votera en revanche l’amendement ayant pour objet d’exclure du champ de cette même loi les violences commises à l’encontre de toute personne physique. D’une manière générale, en effet, il est clair, pour nous écologistes, que ce ne sont pas toutes les infractions qui doivent être amnistiées mais seulement les moins graves. Nous voterons donc aussi l’amendement tendant à limiter le champ d’application de la loi d’amnistie aux infractions d’atteintes aux biens passibles de cinq ans d’emprisonnement au plus.

Je tiens pour finir à rappeler ici haut et fort l’attachement des écologistes, à la liberté syndicale ainsi que leur rejet de toute utilisation de la loi qui aboutirait à une quelconque discrimination ou répression, fût-elle indirecte, des actions syndicales et collectives.

Il ne serait pas admissible que la gauche aujourd’hui au pouvoir, qui doit tant à ces militants, syndicalistes, associatifs, ne considère pas avec empathie l’iniquité du traitement dont ils ont parfois été l’objet. C’est bien au nom des valeurs qui nous sont communes, à eux et à nous, et au nom de l’apaisement dont notre pays a besoin aujourd’hui encore plus qu’hier, qu’il convient de faire le pas auquel nous convie cette PPL.

Il ne s’agit ni de tout oublier, ni de tout pardonner. Dans la majorité des cas, d’ailleurs, j’y insiste, les peines prononcées ont déjà été effectuées et il s’agira uniquement de purger les casiers judiciaires des personnes condamnées. Il s’agit avant tout de rompre – et de rompre nettement – avec la décennie qui s’achève. Il s’agit, en adoptant cette proposition de loi d’amnistie, de lancer le signal d’un renouveau du dialogue social, par-delà les rancœurs et les défiances héritées d’hier.

Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste votera donc sans hésiter ce texte, une fois qu’il aura été amendé.