– Discussion générale –
Mercredi 17 juillet 2013
Monsieur le Président,
Madame la Garde des Sceaux,
Monsieur le Ministre,
Mes ChèrEs collègues,
Pour le groupe écologiste, la lutte contre la fraude fiscale recouvre un triple enjeu – un enjeu économique et budgétaire, un enjeu moral et un enjeu politique – et revêt une triple dimension – nationale, européenne et internationale.
L’enjeu économique et budgétaire est évident. Il s’agit en effet pour l’Etat de collecter les milliards d’euros qui manquent chaque année à son budget.
Le montant de la fraude fiscale dans notre pays est estimé entre 40 et 80 milliards par an, celui de la fraude sociale à environ 20 milliards. De quoi combler largement le déficit de la France, attendu à 68 milliards d’euros cette année.
L’ensemble des redressements de cotisations sociales opérées par l’URSSAF à la suite de fraudes, de négligences ou d’erreurs se montait à 1,37 milliards d’euros en 2012. Un nouveau record, en hausse de 7% par rapport à 2011.
De même, les redressements liés au seul travail au noir ont atteint 260 millions d’euros en 2012, en hausse de 19% par rapport à 2011. Sur cette somme, 151 millions étaient liés au travail non déclaré, 38 millions à des heures dissimulées et 42 millions à une activité dissimulée.
En 2012, 18,1 milliards d’euros ont été réclamés par le fisc en droits et pénalités à l’issue de contrôles fiscaux, avec une hausse de 10% par rapport à l’année précédente.
Ces chiffres, ainsi que quelques autres que je rappellerai tout à l’heure, démontrent l’ampleur et la gravité du phénomène qu’il s’agit de combattre. Et ils interpellent naturellement les écologistes, d’autant que l’enjeu économique et budgétaire se double ici d’un enjeu moral. Car il est de toute évidence urgent de répondre à la crise de confiance qui s’ajoute à la terrible crise économique que traverse notre pays. Quand les plus riches échappent à l’impôt grâce à des montages financiers complexes, c’est un des principes fondateurs de notre République qui se trouve atteint, le principe d’égalité. Comment les simples citoyens, face à un tel scandale, pourraient-ils ne pas remettre en question le devoir d’impôt qui s’impose à eux ? De ce point de vue aussi, il y a urgence. Urgence à sauvegarder ni plus ni moins que notre pacte républicain.
Troisième et dernier enjeu, indissociable des précédents : la portée proprement politique de textes comme ceux dont nous débattons aujourd’hui. Ne s’agit-il pas en effet ici de démontrer à nos concitoyennes et à nos citoyens que le législateur n’est pas, ne s’avoue pas et ne veut pas être impuissant face à ceux qui trichent. A cet égard, aussi bien les dispositions prévues par ces textes que le travail accompli par les deux assemblées pour les améliorer attesteront amplement, en la matière, de la profondeur de l’engagement du législateur et de la réalité et du caractère décisif de son rôle.
Cela étant, notre horizon, ici, dépasse et doit impérativement dépasser très largement nos frontières nationales. Qu’on me permette de rappeler encore quelques chiffres. Les 35 conventions d’échange de renseignements passés avec des Etats étrangers ont abouti à l’envoi de 777 demandes de renseignements en 2012 contre 300 en 2011. Les nouvelles mesures entrées en vigueur en 2012 ont alourdi les sanctions pour non-déclaration d’un compte bancaire à l’étranger, ce qui a eu son effet avec un bond de 36% des déclarations de comptes à l’étranger en 2012, soit 100 833 contre 79 680 en 2011 et 75 732 en 2010. Ces chiffres – en augmentation – ne sont pourtant rien en comparaison de ceux que je vais donner maintenant.
L’Union européenne considère en effet que ce sont 1 000 milliards d’euros qui échappent aux Etats membres, le manque à gagner fiscal représentant un coût annuel d’environ 2 000 euros par citoyen européen. La perte de revenus continue d’augmenter les niveaux de déficit et de dette dans les Etats membres précisément au moment le plus décisif de la lutte contre la crise. Du fait de la fraude et de l’évasion fiscales, les fonds disponibles pour encourager les investissements publics, la relance et l’emploi se font rares. L’écart fiscal actuel en Europe met directement en danger la préservation du modèle social européen, fondé sur des services publics universels et de qualité. Il menace le bon fonctionnement du marché intérieur et conduit à une grave perte d’efficacité et d’équité des systèmes fiscaux au sein de l’UE. Le coût total de la fraude fiscale est plus élevé que l’ensemble des budgets de la santé cumulés de l’Union. Une fraude qui déplace la charge fiscale sur les travailleurs et les ménages à moyens et bas revenus.
Cette fraude est multiforme. Hors de toutes les activités maffieuses et criminelles, il y a les détournements de fonds publics en passant par les abus de droit, c’est à dire une utilisation aux marges de la légalité de dispositifs réglementaires. Et puis il y a la fraude à la petite semaine, à la TVA, aux charges sociales, à la sécurité sociale, sans oublier ceux qui ont, du fait de leur activité, placé dans des paradis fiscaux une partie de leur fortune.
La commission d’enquête sur l’évasion fiscale et les actifs hors de France et ses incidences fiscales, dont Eric Bocquet était le rapporteur, diagnostiquait en 2011 « une culture de la faille aux mille visages » et soulignait que l’Europe reste trop en retrait sur le sujet. Or c’est au cœur même de l’Europe que l’on trouve les paradis fiscaux parmi les plus prospères, tels le Luxembourg, Jersey ou Monaco. Les 21 paradis fiscaux liés à l’Union européenne provoquent plus de 100 milliards de dollars de perte de recettes fiscales, le Royaume-Uni et les territoires relevant de son autorité représentant à eux seuls plus de la moitié de ces territoires off-shore européens.
Certaines sources estiment que 19,5% des dépôts mondiaux sont détenus dans les paradis fiscaux. Selon le rapport du Crédit Suisse « Global Wealth », la richesse financière nette totale était dans le monde (hors immobilier) de 94 700 milliards de dollars. Ce qui signifie que 18 500 milliards de dollars sont détenus en dehors des territoires nationaux. Les 14 000 milliards d’euros cachés par des particuliers dans des paradis fiscaux à travers le monde représentent une perte de plus de 120 milliards d’euros de recettes fiscales. Or les deux tiers de cette richesse mondiale offshore, l’équivalent de 9 500 milliards d’euros sont cachés dans les paradis fiscaux liés à l’UE.
Ce chiffre ne comprend pas la fraude fiscale des entreprises et des multinationales dont on estime qu’elle coûte chaque année pour le seul continent africain environ 123 milliards d’euros. Alors que 55 milliards d’euros sont nécessaires pour éradiquer l’extrême pauvreté, à savoir pour que chaque personne dans le monde puisse vivre avec environ un euro par jour.
Les Etats-Unis ont déjà blacklisté certains Etats-membres de l’UE comme le Luxembourg et Chypre, mais l’UE elle-même n’a pas fait assez. Chasser l’évasion fiscale a en outre un coût qui peut conduire les administrations à renoncer. Il ne faut pourtant pas baisser les bras. Et pour les écologistes, si on veut identifier et poursuivre un plus grand nombre de cas de fraude, il convient de protéger ceux qui informent les autorités compétentes de leur existence et qu’il est convenu d’appeler des lanceurs d’alerte.
Grâce aux dispositions introduites dans le texte par les députés au sujet de ces lanceurs d’alerte – à ne pas confondre avec des délateurs –, personne ne pourra être écarté d’un recrutement, d’un stage, d’une formation, ni être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir relaté ou témoigné de bonne foi à son employeur, à une association de lutte contre la corruption ou à l’administration fiscale des faits relatifs à un délit de fraude fiscale. En revanche, une alerte lancée de mauvaise foi, avec l’intention de nuire ou avec la connaissance au moins partielle de l’inexactitude des faits serait sanctionnée.
Les dispositions prévues par les textes que nous examinons vont évidemment dans le bon sens. Telle l’extension à l’or, aux jetons, plaques et tickets de casinos, de l’obligation de déclarer aux douanes tout transfert physique de sommes, titres ou valeurs d’un montant supérieur à 10 000 euros. Bien des mesures envisagées sont nécessaires.
Et comme vous, Monsieur le Ministre, nous souhaitons la mise en œuvre rapide d’un véritable « FATCA européen » et nous avons d’ailleurs déposé un amendement en ce sens. La loi américaine de 2010, dite FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), impose aux institutions financières et bancaires étrangères de déclarer les revenus de contribuables américains y ayant un compte. Ces déclarations sont confrontées à celles, annuelles, faites par les contribuables américains auprès de l’administration fiscale concernant leurs revenus à l’étranger. Le patrimoine et les avoirs à l’étranger doivent également être déclarés.
L’Union européenne cherche à mettre en place un nouvel instrument, qui sera effectif dès la fin de l’année 2013, et qui étendrait la levée du secret bancaire sur les revenus de l’épargne et d’autres revenus comme certains contrats d’assurance-vie, pensions, biens immobiliers. En effet, si l’échange d’informations bancaires entre pays se fait aujourd’hui « à la demande », ce système a montré son inefficacité, car nombreux sont les Etats, et particulièrement les paradis fiscaux, à refuser de collaborer.
Les deux textes que nous examinons, le projet de loi ordinaire et le projet de loi organique, complètent et renforcent les dispositions déjà adoptées dans les deux derniers collectifs budgétaires de 2012. Certaines réserves ont pu être exprimées, ici ou là, relativement au durcissement de l’arsenal répressif, comme par exemple la création, en cas de fraude fiscale aggravée, d’une garde à vue de quatre jours et l’autorisation de « techniques spéciales d’enquête ».
On peut ne pas souscrire à ces réserves, mais il n’est sans doute pas interdit de les entendre. Ces textes ont été écrits sous le coup de l’émotion suscitée par l’affaire Cahuzac. Comme le PJL sur la transparence de la vie politique. Or l’émotion n’est pas toujours bonne conseillère. Et la légitimité des fins poursuivies ne doit pas nous conduire à nous départir d’une certaine mesure dans le choix des moyens pour les atteindre. Veillons surtout en toutes circonstances, y compris dans les circonstances présentes, à ne pas faire reculer les libertés, capital non imposable, certes, mais précieux et fragile en cette période de crise.
Cette parenthèse étant refermée, et pour clore mon propos, je ne dirai qu’une chose : les écologistes de cette assemblée, et moi avec eux, nous serons bel et bien, sans faillir, aux côtés de la majorité pour mener la lutte contre la fraude fiscale dans notre pays – et pour l’égalité devant l’impôt. Nous voterons donc d’une voix unanime les textes qui nous sont soumis.
Tout en appelant, malgré tout, le gouvernement à tempérer l’avalanche de PJL sous laquelle, depuis des semaines, ploient les parlementaires. Surtout en procédure accélérée, ce qui ne nous laisse guère le temps de les travailler ainsi qu’il sied aux législateurs rigoureux et exacts que nous aspirons toutes et tous à être.
Je vous remercie.
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