Intervention d’Esther Benbassa lors de la discussion générale du projet de loi portant adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la Justice (27 mai 2013)

Discussion générale

Lundi 27 mai 2013

Monsieur le Président,

Mesdames les Ministres,

Mes ChèrEs collègues,

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui intervient dans un contexte de réel désamour de nos concitoyens vis-à-vis de l’Europe et de ses institutions. Ces dernières sont ressenties comme des instruments supplémentaires d’austérité voire de paupérisation, impuissantes à aider les populations à améliorer leurs conditions de vie.

Ce texte est alors une belle occasion de montrer au plus grand nombre que l’Europe et la construction de son droit commun peuvent aussi contribuer à renforcer les droits fondamentaux de tous les citoyens européens mais également de ceux des pays tiers.

Les écologistes ont toujours revendiqué leur attachement sans faille à la construction européenne et à la nécessité de construire, ensemble, un socle de droits cohérents en matière de justice comme c’est le cas ici, mais également en matière sociale et environnementale. Toutefois l’instauration d’un délit général d’atteinte à l’environnement au sein de l’Union européenne ainsi que la création d’un crime d’écocide permettraient d’aller vers une Union européenne plus cohérente et plus forte en matière de justice et vers un monde plus solidaire et plus respectueux de notre environnement.

Ce projet de loi ne montre pas moins une véritable volonté de l’exécutif de rattraper le retard pris par la France dans ses obligations de transposer nombre de textes européens.

En tant qu’européenne convaincue, je me réjouis également que le texte initial ainsi que les travaux des commissions des lois de l’Assemblée Nationale et du Sénat poursuivent l’objectif de mettre le droit français en conformité avec la jurisprudence des juridictions européennes.

En janvier 2012, la Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt Popov contre France, condamnait la France pour avoir permis le placement d’enfants en centre de rétention administrative. Interdiction des traitements inhumains et dégradants, droit à la liberté et à la sûreté, droit au respect de la vie familiale, autant de droits fondamentaux que la juridiction européenne considérait comme bafoués par le placement en rétention d’une fillette de trois ans et d’un bébé.

Malheureusement, cette décision n’a pas eu les effets escomptés et les placements en rétention d’enfants, s’ils ont diminué, n’ont pas totalement disparu.

Revenons au contenu de ce projet de loi qui, pour adapter notre droit à de nombreux instruments européens et internationaux, aborde plusieurs sujets.

Je ne ferai pas, ici, un catalogue de toutes les mesures que le texte que nous examinons aujourd’hui contient, et ce même si chacune d’entre elles mériterait d’être évoquée longuement.

Je voudrais m’attacher à certains sujets qui me tiennent particulièrement à cœur et, en premier lieu, aux dispositions relatives à la prévention de la traite des êtres humains, à la lutte contre ce phénomène et à la protection des victimes.

Le présent texte, amélioré par la commission des lois de  l’Assemblée nationale, modifie le code pénal afin de donner une véritable définition de ce qu’est la traite des êtres humains.

Il est certain que la traite constitue une violation grave des droits de l’homme, ce principe ayant été maintes fois réaffirmé dans différents instruments internationaux spécifiques.

Mais le droit pénal français, et particulièrement la rédaction de l’article 225-4-1 du code pénal ne permet pas, en l’état, de punir ce crime de manière satisfaisante. La traite des êtres humains mérite d’être une incrimination claire et précise et doit, pour être conforme aux engagements internationaux de la France, punir toutes les formes de traite, qu’un profit soit recherché ou non et quelles que soient les formes d’exploitation poursuivies.

La réécriture de l’article 225-4-1 du code pénal proposé par le projet de loi, constitue alors sans aucun doute une avancée considérable pour les droits des victimes de traite.

Dans le même sens, on ne peut que se réjouir que l’échelle des peines encourues ait été modifiée pour qu’une sanction sévère soit appliquée à la traite des personnes les plus vulnérables et que le champ d’application de l’infraction soit étendu à la traite des mineurs.

Toutefois, lutter contre la traite, c’est aussi élaborer une véritable politique de coopération avec les pays d’émigration et réformer en profondeur des organes tels que Frontex.

Une autre disposition importante, notamment au regard de la protection des droits des étrangers, est l’article 3 du projet de loi qui insère, dans le code de procédure pénale, un article relatif au droit à la traduction des pièces essentielles à la défense de la personne concernée et à la garantie du caractère équitable du procès.

L’article 4 du présent projet de loi tend à mettre le droit français en conformité avec le droit européen en matière de lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que contre la pédopornographie.

Il convient de noter ici que, si des améliorations sont toujours possibles, notre droit était, en la matière comme en d’autres, largement conforme aux prescriptions européennes.

Cependant, et pour garantir la protection des droits des enfants, il convenait de créer certaines infractions inexistantes dans notre droit comme le fait de contraindre ou de forcer une personne à subir des atteintes sexuelles de la part d’un tiers.

C’est chose faite avec ce texte qui va même au-delà de ses obligations en étendant la compétence des juridictions françaises aux crimes de proxénétisme commis à l’étranger, à l’encontre d’un mineur, par un étranger résidant habituellement sur le territoire français.

Il ne s’agit donc pas ici seulement de rendre le droit français conforme, de respecter nos engagements internationaux, il s’agit bien d’améliorer notre droit, de le rendre plus effectif et ce qu’il concerne nos concitoyens comme ceux des pays tiers.

On trouve d’ailleurs à l’article 15 du texte un bel exemple de cette volonté marquée de protéger, de la même manière les droits des nationaux et des autres.

En effet, dans son arrêt de grande chambre du 5 septembre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne avait jugé l’article 695-24, 2°, du code de procédure pénale contraire au principe de non-discrimination fondée sur la nationalité car il réservait aux seuls ressortissants français le bénéfice de la non-exécution d’un mandat d’arrêt européen en vue de procéder à l’exécution sur le territoire français d’une peine d’emprisonnement prononcée dans un autre État membre.

Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale sont alors ici modifiées, afin de mettre notre législation en conformité avec la jurisprudence de la Cour. Le bénéfice desdites dispositions ne se limitera plus aux seuls ressortissants français et sera étendu aux personnes résidant légalement de façon continue depuis au moins cinq ans sur le territoire national.

J’ai eu l’occasion de l’évoquer, les droits des femmes sont particulièrement renforcés par le texte que nous examinons aujourd’hui.

Ils le sont encore plus avec les articles 16 et 17 qui adaptent notre droit pénal aux dispositions de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, signée à Istanbul, le 11 mai 2011.

En effet, ce sont trois nouvelles incriminations qui sont créées dans le code pénal.

Parmi elles l’incrimination du fait de tromper un adulte ou un enfant (souvent une jeune fille) afin de l’emmener dans un autre pays que celui où il/elle réside afin de l’y forcer à se marier.  La loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes envisageait le mariage forcé comme une circonstance aggravante de faits de violence ou de coercition. Grâce à cette disposition, la violence n’est pas nécessaire pour condamner, le seul fait d’user de subterfuges pour emmener une jeune fille et la marier à l’étranger est répréhensible.

Parmi elles également, l’incrimination de l’incitation d’une mineure à subir des mutilations génitales même si cette dernière n’est pas suivie d’effet.

Enfin, l’article 17 du texte modifie le code de procédure pénale en supprimant les conditions liées à la nationalité ou à la régularité du séjour auxquelles l’indemnisation par la commission d’indemnisation des victimes d’infractions est conditionnée.

Le travail est encore long pour que les droits des femmes soient mieux protégés. Cependant, ce texte témoigne de la volonté d’avancer dans ce sens et c’est pour cela ainsi que pour toutes les raisons que j’ai eu l’occasion d’évoquer, que le groupe écologiste, votera sans réserve, ce texte synonyme de progrès en matière de justice.

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