Quelle semaine que la semaine dernière! Entre Dieudonné transformé en héros-martyr grâce à la circulaire de notre ministre de l’Intérieur et grâce à l’ordonnance du Conseil d’Etat lui interdisant de se produire ; la non-levée de l’immunité parlementaire de notre collègue le sénateur Serge Dassault grâce à quelques voix de la majorité ; et la révélation des escapades galantes de notre Président, désormais bigame (quoique non marié), il y a eu de quoi amuser les Français, ou les faire pleurer. Après l’épisode du dialogue entre Léonarda et François Hollande (« oui, je rentre, mais avec mes parents…, non, je ne rentre pas »), il nous fallait bien toutes ces mascarades pour tenir le rythme.
Un Etat de vaudeville
Franchement, je crois que quelque chose ne va pas bien dans cet exécutif. Nous voilà donc la risée de la presse internationale, avec les virées en scooter de notre Président casqué chez sa Dulcinée. La première dame de France, elle, éprouvée par les révélations de la revue de très haute tenue Closer, se trouve hospitalisée depuis vendredi, et on la comprend. Nos journaux, quant à eux, ne trouvent rien de mieux que de nous distiller des sondages sur l’intérêt que les Français porteraient ou non à la vie privée de leurs dirigeants… Ces sondages, on s’en moque. Ce qui compte, c’est les chiffres du chômage, et qu’on ne les manipule pas pour leur faire dire autre chose que ce qu’ils disent. Comme si le peuple était idiot !
Il y aurait sans doute encore beaucoup à dire sur ces dérives piteuses, dignes d’un Etat de vaudeville. Les marchandages électoraux des dernières semaines, du genre « tu viens chez moi, je te donne telle place sur telle liste », ont l’air presque plus honorable en comparaison avec ce qui se passe au Château et dans ses dépendances. On peut décidément se féliciter de servir tant de pain béni aux frontistes et à leurs associés. Ils doivent se lécher les babines ; ce tohu-bohu, cette pantalonnade doit assurément les réjouir. Après tout cela, on demandera au peuple de respecter ses élus et son gouvernement. C’est le peuple qui a raison de ne pas nous aimer. Au moins lui est sage et sait ce qu’il veut: des élus et un gouvernement respectables et dignes de la confiance que leur ont témoignée ceux qui leur ont accordé le pouvoir et les responsabilités qui vont avec.
Les ministres et leurs larbins
Moi aussi, je me prends à penser comme le peuple, et je lui donne raison. La cote du Président de la République ne fait que baisser ? Et alors ? On va s’en étonner ? Lorsque je vois, dans l’hémicycle, des ministres passer leur temps à jouer avec leur téléphone ou leur tablette sans prêter la moindre attention aux discours tenus par les parlementaires pendant les débats, comme s’ils étaient là pour passer le temps, vu que le Sénat ne les intéresse pas, je ne m’étonne plus de rien, moi. Peut-être que l’Assemblée nationale les amuse plus. Ils y ont la majorité, tout y passe, sans trop de casse. Parfois je me demande si la démocratie – le débat, c’est la démocratie – est vraiment leur grand souci.
Nos ministres décident des textes que nous pouvons éventuellement présenter des amendements qui peuvent éventuellement être apportés à leurs propres projets. Ils nous envoient leurs énarques nous faire la morale (et la loi), font sauter de l’ordre du jour les propositions de lois qui ne leur plaisent pas, nous expédient des textes mal ficelés en procédure accélérée qu’on travaille pendant des jours, et, pour certains, ne daignent pas même répondre aux questions écrites qu’on leur adresse. Et nous, pauvres hères, passons des heures dans l’hémicycle à écouter leurs longs discours… Très longs même, parfois. Car certains pratiquent l’érotisme de la parole, ce qui leur fait aligner un flot de mots sans fin, parfois un peu intéressant, le plus souvent pas du tout, dès lors que nombreux sont ceux qui se contentent de lire les notes préparées par leurs collaborateurs et leurs flopées de conseillers. Il y en a certes de sérieux. Mais d’autres moins. Souvent, quoi qu’il en soit, la langue de bois est de rigueur, et ça fait mal.
Moi, j’ai l’impression que les ministres nous prennent pour des larbins. Juste si on n’a pas la fessée (orale) quand on n’est pas d’accord et qu’on le dit. On dirait qu’ils n’attendent qu’une chose : qu’on lève la main, pour voter, et bien voter, au bon moment. Au temps de la droite, les choses se passaient peut-être de la même façon, mais moi je suis dans une majorité de gauche, et j’attends beaucoup d’elle. De la droite, je n’attendais pas grand-chose et je la combattais. De la gauche, j’espérais tant ! Peut-être trop. Et je dois me taire pour ne pas les froisser ? A cette allure, je me demande si je n’étais pas plus libre – et plus utile ? – moi, lorsque j’étais une simple intellectuelle, qui pensais et m’exprimais comme je l’entendais, et n’avais pas à subir les palabres vaines et confites de conseillers sans charisme et sans foi. Surtout, ne rien faire, ne rien oser, ne rien innover, voilà les maîtres mots du changement (?) qu’on nous propose. Chaque ministre doit nous infliger son projet de loi pour marquer l’histoire de son fulgurant et bref passage, et chut, les parlementaires de gauche, vous survivrez en ramassant des miettes. Si vous n’êtes pas contents, vous ne serez pas réélus et vous ne toucherez pas au gâteau. Heureusement que ce n’est pas dit, mais ça peut venir. C’est juste entre les lignes.
J’ai un grand défaut, celui de vouloir changer les choses. Et pire, celui de croire. Bref, j’ai des convictions. Là, c’est vraiment mal. La conviction est la chose la moins bien partagée dans certains cénacles politiques, surtout lorsqu’elle peut vous perdre et vous coûter votre place dans l’avenir. En revanche, la couardise, chez quelques-uns, est devenue une seconde nature. Tout le monde a peur. On se demande de qui, d’abord, et puis de quoi? Mais ainsi va la politique, il vaut mieux se la fermer ou faire des circonlocutions dans les médias, dans l’hémicycle, etc., pour rester sur la bonne ligne. Parfois, je me sens comme les Persans des Lettres persanes – quelle étrange visite, décidément, en une terre bien étrange ! – et me demande comment on en arrive à se faire à tant de censure intérieure. Que faire ? Il y a le chômage, ce n’est pas le moment de perdre son job, et les avantages attenants.
Je finirai avec une histoire un peu triste pour moi, mais drôle quand même. J’ai pris l’habitude de me faire envoyer sur les roses (si j’ose dire). J’ai connu ça avec ma proposition de loi pour l’abrogation du délit de racolage, la Ministre des droits des femmes a mis le paquet, mais j’ai tenu, j’ai réussi à la faire passer malgré tout. Ensuite, il y a eu ma proposition de débat sur les drogues douces… Là, je me suis fait balader par une autre ministre. Il n’y a pas eu de débat. J’en passe et des meilleures. J’ai fréquenté quelques cabinets où l’on m’a tapé sur les doigts.
Un vendredi noir de la lutte contre les discriminations
La dernière leçon date de vendredi. J’ai déposé une proposition de loi en vue d’instaurer le recours collectif (class action) en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités. Une procédure qui existe dans de nombreux pays et aux Etats-Unis depuis 1938. Elle permet à des personnes subissant des discriminations de se rassembler et de lancer ensemble une action en justice, avec le même avocat. C’est plus facile, ça rend plus fort. Les recours collectifs sont dissuasifs. Ils poussent les entreprises et les institutions à négocier, voire à corriger en amont leurs comportements discriminatoires, parce que si les plaignants gagnent, les indemnisations, qui sont partagées entre eux, peuvent être très élevées.
Un sénateur socialiste a accepté d’être rapporteur, ce qui était un grand atout pour que cette proposition de loi écolo, tant souhaitée par les associations, ait quelque chance d’aboutir. Nous avons passé des dizaines d’heures à auditionner les personnes et organismes susceptibles d’éclairer notre lanterne, faisant travailler des administrateurs du Sénat pendant des jours, et travaillant nous-mêmes sans relâche, et sans que quiconque nous dise d’arrêter. Les associations de lutte contre les discriminations et les inégalités se bagarrent depuis des années pour qu’une telle loi soit adoptée. Les magistrats eux ne souhaitent rien changer à ce qui existe. Ni les patrons, qui préfèrent discuter avec les syndicats plutôt qu’avec les discriminés ou leurs associations. Ni les syndicats, qui ne se sont pas beaucoup distingués dans leurs combats, par exemple, pour l’égalité salariale entre femmes et hommes, et encore moins contre les discriminations. La société civile, elle, y tient dur comme fer, le Défenseur des Droits, des avocats, des juristes aussi.
Hélas, en ces temps de crise économique, le gouvernement ne veut froisser ni les patrons, qui pourraient prendre mal qu’on leur fasse des procès pour discriminations, ni les syndicats, qui pourraient perdre de leur pouvoir (ce qui leur en reste), face aux patrons et face aux travailleurs, si les associations entraient en jeu. Ne pas irriter le MEDEF, surtout, qui préfère que le calme règne dans les entreprises, quitte à ce qu’elles continuent tranquillement à discriminer.
La ministre de la Justice, qui sait pourtant bien elle-même de quoi on parle ici, le Ministre du Travail et la Ministre des droits des Femmes se sont donc associés pour diligenter un rapport. On connaît bien le syndrome des rapports dont est atteint notre exécutif. Les rapports, ça sert à empêcher que les choses se fassent. Cette fois-ci, divine surprise, le rapport produit ressemblait exactement à ce que voulaient le Premier Ministre et les trois ministres cités.
Le rapport de Mme Laurence Pécaut-Rivolier reconnaît donc les discriminations au travail mais préconise que des actions collectives soient menées par les syndicats. Et surtout, patrons, ne vous inquiétez pas, ces actions n’auraient pas vocation à obtenir des indemnisations. Et si les salariés lésés voulaient obtenir une réparation financière, ils pourraient toujours, dans un second temps, mener des actions individuelles devant les prud’hommes. Quand, de l’aveu même du rapport, « de nombreuses personnes ayant engagé un conflit prud’homal ont eu toutes les peines du monde à faire aboutir la décision de justice »… Pour couronner le tout, une belle conclusion reprenant l’avis de la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) – sic – qui « demeurerait sceptique quant à l’instauration précipitée d’une procédure de « class action ». » Ditto. Dommage qu’il n’y ait pas une CFTM (Confédération française des travailleurs musulmans) ou une CFTN (Confédération française des travailleurs noirs) pour leur demander leur sentiment sur la question…
Maintenant que le monde du travail est couvert, que fait-on des handicapés qu’on ne laisse pas monter sans accompagnement dans les avions, des Noirs et des Arabes qui n’arrivent pas à décrocher un logement, des contrôlés aux faciès, de ceux qu’on ne recrute pas parce qu’ils n’ont pas la physionomie assez « française » et qu’on ne laisse pas entrer dans les boîtes de nuit pour la même raison, des femmes un peu fortes qu’on n’embauche pas dans les magasins des grandes marques, etc., etc. ? Ça, l’histoire ne le dit pas.
Le plus beau arrive maintenant
Mais le plus beau arrive maintenant. Vendredi 10 janvier après-midi, je me retrouve donc dans un Ministère, moi, femme d’1 mètre 56, devant neuf conseillers venus spécialement me rencontrer de différents cabinets ministériels, y compris de celui du Premier Ministre. On avait suggéré au rapporteur socialiste de ma proposition de loi, initialement convié, de s’abstenir de venir. Seule contre tous, donc ! Ou plutôt l’inverse : tous contre moi. 6 hommes en costume-cravate, et 3 femmes, autour d’une longue table, face à moi. Pas la parité (33%), mais tout de même mieux qu’au Sénat (23% de femmes). Il s’agissait de me convaincre de laisser tomber ma proposition de loi. De la langue de bois débitée au mètre. Le malaise donne des ailes à cette langue fabriquée dans les couloirs de l’ENA pour que le peuple ne comprenne pas ce qu’on lui dit. Une vraie comédie.
J’avais honte pour eux. Ils n’osaient pas dire, simplement : « retirez votre proposition de loi. » Dès que je leur demandais d’être clairs, ils devenaient blêmes, et fondaient lentement sur leur fauteuil. A un moment, j’ai eu l’impression qu’ils avaient envie de se mettre sous la table. Plus je posais la question, plus ils devenaient petits. Je sentais à côté de moi ma collaboratrice – qui n’avait pas droit à la parole dans cette auguste assemblée – au bord du fou rire.
Pour mettre fin à leur supplice, parce que je suis charitable, je suis partie avant la fin de la réunion. Ils étaient gentils, au fond. Quelques-uns d’entre eux ont souhaité me raccompagner, je sentais qu’ils avaient les jambes flageolantes. Ils ressemblaient à notre exécutif, hésitant, tremblant, perdu, inefficace. Allez, je me retiens, je ne dirai pas pathétique pour ne pas le vexer, cet exécutif, ni ces jeunes conseillers, qui ressemblent déjà à leurs ministres…
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