Proposition de Loi visant à l’abrogation du délit de racolage public (02/10/2012)

 

 

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 octobre 2012

 

 

PROPOSITION DE LOI

visant à l’abrogation du délit de racolage public,

PRÉSENTÉE

Par Mmes Esther BENBASSA, Leila AÏCHI, Kalliopi ANGO ELA, Aline ARCHIMBAUD, Marie-Christine BLANDIN, Corinne BOUCHOUX, MM. Ronan DANTEC, Jean DESESSARD, André GATTOLIN, Joël LABBÉ, Mme Hélène LIPIETZ et M. Jean-Vincent PLACÉ,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a créé l’article 225-10-1 du code pénal punissant de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende « le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération ».

L’objectif du Gouvernement de l’époque était sans équivoque. Cette nouvelle infraction avait pour but, d’une part, de répondre aux préoccupations des riverains en matière de nuisances et de troubles à l’ordre public, et, d’autre part, de lutter contre les réseaux étrangers de proxénétisme.

Presque dix ans après la mise en place du délit de racolage, le constat est lui aussi sans équivoque. Cette disposition n’a pas rempli ses objectifs en matière de lutte contre les réseaux et a eu pour principal effet d’aggraver la situation de précarité et de stigmatisation des travailleuses et travailleurs du sexe.

De surcroît, cette disposition a été utilisée en grande partie pour arrêter des ressortissant(e)s étranger(e)s en situation irrégulière en vue de les reconduire à la frontière.

Enfin, l’absence de définition précise du racolage passif, permettant l’arrestation de toute personne sur la seule base de la tenue vestimentaire ou de la représentation que les forces de l’ordre peuvent se faire des travailleuses et travailleurs du sexe, favorise la stigmatisation et aboutit à des arrestations basées sur le faciès, n’importe quelle femme pouvant, dans l’absolu, être arrêtée sur ce motif.

Pour toutes ces raisons, de nombreuses associations venant en aide aux travailleuses et travailleurs du sexe ainsi que des institutions, notamment le Conseil national du sida et la Commission nationale consultative des droits de l’Homme dénoncent la disposition que cette proposition de loi se propose d’abroger.

I. Inefficacité de la loi dans la lutte contre les réseaux de proxénétisme

À l’étude de nombreux rapports, on constate que, pour l’année 2009 par exemple, 2 315 personnes ont été mises en cause pour racolage actif et passif. Seulement 465 personnes ont été mises en cause pour proxénétisme et proxénétisme aggravé et aucune d’entre elles n’a été condamnée.

Quant au mécanisme prévoyant de régulariser des victimes du proxénétisme en échange de leur témoignage, ce sont seulement 79 personnes qui en ont bénéficié.

Force est de constater que la législation actuelle a échoué, tant dans sa mission de protection des victimes du proxénétisme et de la traite que dans la lutte menée contre les réseaux, le nombre de mises en cause des auteurs de proxénétisme et de traite étant insignifiant.

La principale conséquence de la loi demeure donc l’augmentation notable des mises en cause directes des travailleuses et travailleurs du sexe.

Les associations venant en aide aux travailleuses et travailleurs du sexe dénoncent également un véritable harcèlement à leur endroit par les forces de l’ordre, qui interviennent sur les lieux de prostitution afin de procéder à des arrestations massives notamment de personnes en situation irrégulière.

Les conditions de garde à vue sont elles aussi problématiques, les travailleuses et travailleurs du sexe étant stigmatisés, souvent humiliés et dissuadés de faire valoir leurs droits à un avocat ou à un médecin.

Tant le harcèlement policier que subissent les travailleuses et travailleurs du sexe que la peur pour certain(e)s de se voir reconduire à la frontière ont abouti à un isolement toujours plus grand et posent de nombreux problèmes de sécurité et de santé publique.

II. La stigmatisation et précarisation des travailleuses et travailleurs du sexe, notamment dans l’accès aux soins et la vulnérabilité face aux violences.

L’instauration du délit de racolage a eu pour principale conséquence de remettre en cause la présence même des travailleuses et travailleurs du sexe dans l’espace public et de marginaliser cette catégorie de population. Cet isolement ainsi que les actions répressives menées par la police contraignent les travailleuses et travailleurs du sexe à exercer dans des conditions d’extrême précarité.

Obligés d’exercer en dehors des lieux habituels de prostitution, les travailleuses et travailleurs du sexe sont de plus en plus exposés aux agressions et se trouvent contraints d’accepter certaines exigences des clients, au péril de leur santé et de leur sécurité, dont celle d’avoir des rapports sans préservatif. De même, la difficulté d’accès des endroits où exercent actuellement les travailleuses et travailleurs du sexe conduit à une raréfaction de la clientèle, ces derniers ne pouvant alors plus refuser de clients, y compris ceux qui leur paraîtraient dangereux.

De surcroît, ainsi isolés, les travailleuses et travailleurs du sexe n’ont plus aucun contact avec les associations de prévention-réduction des risques intervenant habituellement sur les lieux classiques de prostitution.

Les associations venant en aide aux travailleuses et travailleurs du sexe dénoncent donc cette législation parce qu’elle contribue à reléguer les impératifs de santé au second plan et qu’elle renforce l’exposition des travailleuses et travailleurs du sexe aux risques de transmission du VIH/sida et des infections sexuellement transmissibles (IST).

III. L’existence de dispositifs légaux de droit commun pour lutter contre la traite des êtres humains et les réseaux de proxénétisme

L’abrogation de l’infraction de racolage passif ou actif ne signifie pas pour autant l’impunité pour les proxénètes, qu’ils agissent seuls ou en réseau. Les articles 225-5, 225-6, 225-7 et 225-8 du code pénal restent actuellement en vigueur et continuent à punir cette infraction. Ces dispositions autour du proxénétisme sont très explicites et répriment sévèrement cette infraction

De surcroît, le titre II de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure est entièrement consacré à la traite des êtres humains. Les dispositions qu’elle instaure sont complètes et permettent de lutter contre toute exploitation de la personne humaine, que ce soit dans le domaine de l’esclavage domestique, économique ou aux fins d’exploitation sexuelle.

En outre, la loi de 2003 instituant le délit de racolage met en place un arsenal juridique surtout répressif (interpellation, garde à vue, éloignement éventuel pour les travailleuses et travailleurs du sexe étrangers). Le volet social qui devait être le complément du volet répressif n’a jamais été mis en oeuvre.

La présente proposition de loi abroge le délit de racolage public prévu par l’article 225-10-1 du code pénal qui a eu pour effet de sanctionner les victimes exploitées par la prostitution au lieu de les protéger et qui a abouti à la stigmatisation et à l’isolement des travailleuses et travailleurs du sexe, les maintenant dans une situation d’extrême vulnérabilité et de précarité.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L’article 225-10-1 du code pénal est abrogé.

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