L’intervention d’Esther Benbassa lors des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France (25 juillet 2013)

Discussion générale

Jeudi 25 juillet 2013

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Monsieur le Président de la commission des lois,

Monsieur le rapporteur,

Mes ChèrEs collègues,

A deux reprises la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour ne pas avoir mis en place « un cadre législatif et administratif permettant de lutter efficacement contre la servitude et le travail forcé ».

Ainsi examinons-nous aujourd’hui un texte de la Commission mixte paritaire visant à transposer, dans notre droit pénal, plusieurs instruments européens et internationaux, dont certaines sont de nature à garantir, dans notre pays, l’efficacité d’une telle lutte.

Je veux, en préambule, saluer le travail mené par nos deux rapporteurs, Mme Marietta Karamanli et M. Alain Richard, sur l’inscription dans notre droit pénal de l’esclavage et de la servitude.

Ils ont en effet, de manière inédite, créé un groupe de travail, auquel j’ai eu l’honneur de participer, qui a auditionné une dizaine de magistrats, d’universitaires et de représentants d’associations spécialisées dans la lutte contre l’esclavage.

Sur le fond du texte qui nous est proposé, je me concentrerai sur deux points qui me semblent capitaux.

–      Premier point : la grande avancée que constitue l’incrimination, dans le droit pénal français, de l’esclavage et de la servitude.

En effet, si le code pénal punit la plupart des manifestations de l’esclavage moderne, elle ne l’incrimine pas spécifiquement. De fait, dans deux arrêts, Siliadin c. France et C. N. et V. c. France, la Cour européenne des droits de l’homme a relevé les lacunes du droit français en la matière. Je crois utile, en l’occurrence, pour éclairer notre débat, de rappeler l’histoire qui se cache derrière le premier de ces deux arrêts. Henriette Siliadin est  une adolescente togolaise arrivée en France en 1994 qui va se trouver « prêtée » aux voisins de la femme qui l’a fait venir dans notre pays avec une promesse de scolarisation, alors qu’elle était âgée de 15 ans. Elle sera maintenue en servitude dans cette famille parisienne, vouée aux tâches ménagères dans des conditions indignes, environ 15 heures par jour, sans recevoir de rémunération, son passeport ayant en outre été confisqué par ses « employeurs » (si l’on peut les appeler ainsi). Libérée grâce à l’aide du Comité contre l’esclavage moderne, elle porte plainte. En 2003, la Cour d’appel de Versailles estimait que si les « employeurs » étaient coupables d’avoir fait travailler Melle Siliadin, personne dépendante et vulnérable, sans la rémunérer, ses conditions de travail et d’hébergement n’étaient par contre pas incompatibles avec la dignité humaine.

C’est bien ce vide juridique qu’il importait de combler.

Le travail concerté de nos deux assemblées qui a abouti à quatre propositions de rédactions communes sur l’esclavage et la servitude, avait précisément cet objectif.  La première proposition crée le crime de « réduction en esclavage », la deuxième crée le délit de « réduction en servitude », et les deux dernières en tirent les conséquences sur la constitution de partie civile des associations et l’indemnisation des victimes.

 

–      Un autre point restait à régler entre nos deux assemblées, celui relatif au délit d’offense au chef de l’Etat.

 

A l’initiative de leur Commission des lois, les députés avaient inséré dans le projet de loi un nouvel article, l’article 17 bis, visant à tirer les conséquences, telles qu’ils les concevaient, de l’arrêt Eon c. France du 14 mars 2013, par lequel la Cour européenne des droits de l’homme a conclu qu’une condamnation pénale prononcée sur le fondement du délit d’offense au chef de l’État, prévu à l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881, avait constitué dans ce cas d’espèce une « ingérence des autorités publiques » dans le droit du requérant à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Notre commission a quant à elle développé une analyse différente. Nous avons en effet décidé de supprimer cet article 17 bis, considérant qu’il n’était pas opportun de supprimer purement et simplement le délit d’offense au chef de l’État sans repenser l’ensemble du statut juridictionnel de ce dernier.

Le texte de la CMP est cependant un bel exemple de compromis puisqu’il rétablit l’article litigieux tout en alignant désormais la diffamation ou l’injure visant le chef de l’État sur le régime de celles visant un ministre ou un parlementaire. Les infractions seront désormais punies des mêmes peines.

Je conclue. J’avais eu l’occasion de le dire lors de la première lecture, ce texte témoigne d’une véritable volonté d’aller vers toujours plus d’effectivité des droits et nous nous en réjouissons. Le groupe écologiste votera ce texte sans réserve, et d’autant plus résolument qu’il constitue une belle occasion de montrer au plus grand nombre que l’Europe et la construction de son droit commun peuvent aussi contribuer à renforcer les droits fondamentaux de tous les citoyens européens et de ceux des pays tiers.

Je vous remercie.

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