L’intervention d’Esther Benbassa dans le cadre du débat sur la loi pénitentiaire (25 avril 2013)

Discussion générale

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes chèr-E-s collègues,

« L’institution carcérale, écrivait Philippe Artières en 2006, a beau être régulièrement l’objet de scandales, les enfermés demeurent transparents. » (La France invisible, Paris, La Découverte, 2006, p. 130). On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que la France ait attendu – en vain – une grande réforme pénitentiaire pendant des décennies.

Lionel Jospin l’a promise puis enterrée. Jacques Chirac l’a oubliée. Nicolas Sarkozy l’a finalement réduite à rien. La loi pénitentiaire entrée en vigueur le 24 novembre 2009 n’a en effet manifestement pas rencontré les attentes qu’on aurait pu placer en elle.

Elle devait marquer un tournant, répondre à l’urgence d’un état des lieux désastreux pour les prisons françaises et mettre le droit français en conformité avec les règles européennes adoptées en 2006…

La déception était immense au regard des questions cruciales que cette réforme esquivait. Réinsertion, droit du travail en détention, santé, prévention des suicides, libération conditionnelle, maintien des relations familiales, droit à la sexualité, autant de sujets qu’il était urgent d’aborder et qui n’avaient pas trouvé leur place dans cette loi.

S’agissant de la surpopulation, comme en 2002, comme en 2003, un moratoire repoussait à plus tard l’adoption de l’encellulement individuel et les 13 000 détenus en surnombre continuaient à dormir sur des matelas à même le sol. Or notre conviction était alors et notre conviction est toujours que le meilleur moyen de lutter contre la surpopulation carcérale est de ne pas enfermer les personnes qui n’ont rien à faire en prison : les malades mentaux, les sans-papiers, les courtes peines. Pour éviter cette inflation, ne faut-il pas refuser les peines plancher et cette forme de justice d’abattage que constituent les comparutions immédiates ?

Construire toujours plus de prisons n’est pas une solution. Et les moyens affectés à ces nouveaux établissements seraient assurément bien plus utiles s’ils servaient à améliorer le quotidien des détenus, des personnels pénitentiaires ou des travailleurs sociaux qui y exercent.

Les écologistes, doutant de l’efficacité du texte de 2009, se sont félicités que la commission des lois et la commission pour l’application des lois du Sénat confient une mission d’évaluation de son application à nos collègues Nicole Borvo Cohen-Seat et Jean-René Lecerf.

Les conclusions de leur rapport, remis en juillet 2012, qui nous réunit aujourd’hui, ne sont guère surprenantes. Elles démontrent une fois de plus, si cela était nécessaire, que notre société et en son sein, en premier lieu, le législateur doivent sans délai se saisir de la question et envisager enfin une réforme en profondeur.

Les auteurs pointent les retards dans la promulgation de certains décrets d’application. Ainsi, les décrets sur « la mise en place d’une évaluation statistique rigoureuse des taux de récidive par établissement pour peine » et sur les « règlements intérieurs types » n’ont toujours pas été promulgués ! Les auteurs soulignent également les problèmes de moyens : pour appliquer la loi, 1000 conseillers d’insertion et de probation étaient nécessaires, moins d’1/3 ont été recrutés. Et ce alors même que la population carcérale n’a cessé d’augmenter.

Nos collègues formulent diverses propositions, dont je retiens, entre autres, celles-ci :

– l’instauration d’un revenu minimum carcéral ;

– la possibilité d’un recours en référé pour le placement en quartier disciplinaire ;

– l’installation de bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires ;

– permettre, en l’encadrant, l’expression collective des détenus ;

– élargir le droit de préférence dans le cadre des marchés publics aux entreprises concessionnaires en détention ;

– modifier le Code de procédure pénal pour que la libération conditionnelle puisse s’appliquer à toutes les personnes âgées de plus de 70 ans y compris celles qui relèvent d’une période de sûreté et prévoir un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif médical grave (L’État français, je le rappelle, a été condamné à plusieurs reprises pour le traitement infligé à ses détenus les plus âgés.)

Selon l’Observatoire international des prisons, la France se classe, en ce qui concerne la façon dont sont traités ses détenus, loin derrière tous ses voisins européens, et même loin derrière bien des pays moins riches et moins démocratiques.

La République peut-elle indéfiniment fermer les yeux sur ce qui se passe « derrière les murs gris de ses prisons indignes » (cité ibid., p. 137) ?

La France, patrie des droits de l’homme, peut-elle indéfiniment repousser le moment de réformer en profondeur un droit et un état des lieux pénitentiaires en contradiction flagrante les principes qu’elle prétend incarner ?

Les réformes ne doivent pas se superposer mécaniquement aux dispositions déjà en vigueur. Le gouvernement actuel, marquant une rupture avec ses prédécesseurs, doit renoncer à l’empilement baroque que nous avons connu avec, entre 2005 et 2008, pas moins de 18 nouvelles lois pénales, souvent conçue sous l’effet de l’émotion produite par un fait divers, et ayant principalement eu pour objectif « la lutte contre la récidive, la criminalité sexuelle et la délinquance des mineurs ».

Cette inflation législative est loin d’avoir fait ses preuves. Le tout-répressif n’a pas fonctionné. Et il est urgent de donner tous les moyens nécessaires à la réinsertion, le meilleur outil qui soit de lutte contre la récidive.

Pour toutes ces raisons, Madame la Ministre, le groupe écologiste attend de vous que vous précisiez et le calendrier et le périmètre de votre projet. Vous savez pouvoir compter sur notre soutien… et sur notre force de proposition !

Pour accéder au texte complet au format PDF, cliquer ici.

Pour voir mon intervention en vidéo, cliquer ici.