La lettre touchante d’un militant sida après le vote du Mariage pour Tous par le Sénat (Glamour, 12 avril 2013)

Par Amélie Frantelle.

 » Alors que le Mariage pour Tous a été adopté aujourd’hui par le Sénat, Fred Bladou, gay et militant contre le sida de la première heure, vient de partager une lettre touchante sur ce jour qu’il dit « historique ».

Après des mois de débats, de manifestations pour et contre et de batailles pour l’égalité des droits, la loi pour le Mariage pour Tous a été adoptée ce matin par le Sénat. Un jour historique pour les associations LGBT et, plus particulièrement, pour Fred Bladou, gay et militant contre le sida de la première heure, qui partage avec nous une lettre touchante de bonheur et d’espoir.

En voici son intégralité :

« Chères ami-e-s, Chère-e-s militant-e-s,

Très inconfortablement assis ce matin au Sénat, à écouter les logorrhées de l’opposition prédisant la fin de l’humanité, la marchandisation des enfants et tout le discours habituel et récurrent, je trouvais du réconfort dans les propos de nos nouvelles icônes de gauche, progressistes, pro-égalité, telles que Christiane Taubira ou Esther Benbassa et je serrais parfois très fort la main d’Alix Béranger et échangeait des regards complices avec Nicolas Gougain. Aujourd’hui est un jour doublement spécial et extraordinaire. Le Sénat se prononce après des mois de débats sur le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe et je fête mon quarante cinquième anniversaire.

Je repensais, ce matin, à tous ces combats menés pour l’égalité des droits ou contre le sida, combats connectés à ma propre existence de pédé séropositif et indissociables de ma construction politique personnelle et du fait que je me trouve aujourd’hui assis dans cette salle.

Je suis né en 1968, au mois d’avril. Un mois plus tard, la France se révoltait contre un système dépassé et liberticide et envahissait la rue. Ma mère ironise souvent sur le fait que je serais peut-être de droite et assureur si je n’étais pas né en avril 68 et si, sous les fenêtres, les hurlements du peuple n’avaient pas perturbé mes siestes. Cette explication somme toute réductrice est pour le moins amusante.

Je donne, néanmoins à mon engagement d’autres raisons plus profondes. Je vous disais que j’ai vu défiler ma vie ce matin à travers les mots des politiques. Adolescent, quand la dépénalisation de l’homosexualité fut votée et que les paroles de Badinter m’autorisaient à rêver d’une existence sans police, sans justice répressive. Ce fut le premier stade, majeur, celui qui vous marque profondément lorsque vous êtes en questionnement quant à votre orientation sexuelle et surtout la possibilité de la vivre. Badinter m’a aidé à cette époque en ne faisant plus de moi un hors la loi ou un sans-droit.

Puis vint, l’époque sida, celle de ma contamination en 1986, sur laquelle je ne reviendrais pas sauf pour dire ici tous les combats que nous avons dû mener, nous séropositifs et leurs ami-e-s contre la maladie mais surtout contre les mêmes conservateurs qui voulaient nous enfermer dans des sidatoriums.

Puis j’ai échappé, comme très peu d’entre nous, à la mort annoncée. Les traitements sont arrivés au moment ou l’espoir ne me permettait même plus de pouvoir supporter les souffrances endurées à cause des maladies opportunistes. Mais les médicaments m’ont sauvé.

J’ai revu et réentendu les débats sur le PACS, les « pédés au bûcher », la fin de la « civilisation », la perte de nos valeurs morales françaises. Le chaos, est-il besoin de vous le préciser ne s’est pas produit. Ceux que nous aimions bénéficiaient de droits et lorsque l’un des deux mourraient, l’autre n’était plus dépossédé de son histoire d’amour et de ses souvenirs.

Aujourd’hui, le Sénat vote l’égalité. En trente ans, j’aurais été confronté à plus d’avancées en termes de droits, de progrès médicaux que n’importe quel-le transpédégouine dans l’histoire. C’est une chance et un merveilleux jour. Nous nous rapprochons de l’égalité, nous allons devoir lutter toujours contre l’homophobie, la lesbophobie, la transphobie. Nous allons devoir arracher avec les dents la PMA pour les gouines parce que ça aussi, c’est l’égalité, nous battre pour les droits de nos frères et soeurs LGBT sans-papiers et pour les droits des Trans, qui sont aujourd’hui les sans droit de nos communautés, parce que ça aussi c’est l’égalité. Il nous reste des combats justes à mener mais aujourd’hui démontre que les combats peuvent se gagner, qu’il ne faut jamais, une seule seconde désespérer.

Je vous embrasse, Keep fightin’ Sisters !

Fred Bladou » »

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