Discussion générale sur le code de la sécurité intérieure

14 octobre 2020 | Sénat

Le mercredi 14 octobre 2020, Esther Benbassa intervenait en séance comme oratrice des sénateurs du Groupe Ecologiste – Solidarité et Territoires sur le projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure.

Ci-dessous le discours prononcé par Esther Benbassa à cette occasion :

« Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Rapporteur,

Mes cherEs collègues,

La tâche qui est aujourd’hui la nôtre est loin d’être aisée, puisqu’il nous est demandé de trouver un précaire équilibre entre la liberté de nos citoyens et leur sécurité.  

Malheureusement, derrière l’objectif affiché de donner un cadre de vie serein et apaisé à nos concitoyens, à l’abri de toutes menaces terroristes, ce projet de loi ne parvient pas suffisamment à concilier ces deux enjeux essentiels à l’existence d’une société libre et éclairée.

En 2017, la loi SILT était venue incorporer dans le droit commun des mesures de l’Etat d’urgence. Pour la première fois, des dispositions d’exception avaient revêtu un caractère général, banalisant, au sein de notre législation, des mesures de police administrative qui sont loin d’être anodines.

Le législateur d’alors ne s’y était pas trompé, puisqu’il avait donné à ces mesures un caractère temporaire et avait souhaité limiter leur durée d’application au 31 décembre 2020.  

Cette échéance arrivant à son terme, l’exécutif s’est tout naturellement saisi de cette question. Mais, alors qu’un débat sérieux aurait dû être mené sur l’abrogation ou la pérennisation de ces mesures, le Gouvernement a préféré prolonger l’expérimentation menée depuis 2017, estimant que la crise sanitaire pourrait être de nature à biaiser les discussions parlementaires.   

Ainsi était-il proposé à l’article 1 de proroger de 7 mois des dispositions de la Loi SILT, conférant à la police administrative des pouvoirs trop importants, notamment de définir des périmètres de protection, de déclarer la fermeture temporaire des lieux de culte, d’ordonner des mesures individuelles de contrôle et de surveillance, ainsi que de réaliser des visites domiciliaires. Dans son article 2, le projet de loi prévoit également une prorogation similaire pour les algorithmes votés en 2015 et prolongés en 2017. Ceux-ci permettent notamment de détecter les menaces terroristes via les réseaux internet et de téléphonie mobile.

Il est à déplorer que les travaux en Commission des Lois n’aient  pas été de nature à améliorer ce texte, puisque Monsieur le Rapporteur a jugé utile de faire voter un amendement permettant de pérenniser les mesures prévues à l’article 1. 

Il va sans dire que nous ne pouvons pas considérer positivement cette modification, tant elle fait la part belle au soupçon, à l’arbitraire, aux dérives, à la stigmatisation par l’administration, au détriment de tout contrôle du juge judiciaire.

L’efficacité des algorithmes est également une question qui doit être posée. Entre 2017 et 2018, ceux-ci ont permis d’identifier moins de dix personnes à risque et aucune d’elles ne présentait un danger immédiat ou sérieux pour la sécurité nationale. Sans une amélioration drastique de ces dispositifs numériques – que vous qualifiez vous-même, Monsieur le Rapporteur, de « trop peu sophistiqués » – et sans résultats plus probants, il n’est pour l’heure pas pertinent de continuer à investir ces moyens d’espionnage informatique, ne serait-ce que temporairement, jusqu’au 31 juillet 2021.

Monsieur le Ministre, mes cherEs collègues, personne ici ne nie la menace terroriste qui plane et pèse sur notre Nation. Il est évident que nous devons doter massivement nos renseignements de moyens humains, techniques et financiers.

En ce sens, tout doit être fait pour préserver la sécurité de nos concitoyens, mais non à tout prix. Je crains – hélas ! – qu’en l’état, l’exécutif ne fasse fausse route.

Sans débat démocratique réel, sans bilans sérieux de ces mesures, celles-ci ne sauraient être prorogées, ni pérennisées. Pour ces raisons, le « Groupe Ecologiste, Solidarité et Territoires » votera contre ce texte.

Je vous remercie. »