Débat sur la justice de première instance
Mardi 25 février 2014
Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes ChèrEs collègues,
La justice de première instance, porte d’entrée des citoyens vers leur justice, devrait toujours être accessible et simple.
Or, comme le rappelle le rapport de nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne qui sert aujourd’hui de base à notre débat, « le constat de la complexité et du manque de lisibilité de l’organisation judiciaire française n’est plus à faire ».
En effet, la compétence de droit commun du tribunal de grande instance (TGI) est aujourd’hui doublement limitée :
D’une part par le grand nombre de contentieux confiés à des juridictions spécialisées : tribunal de commerce, conseil des prud’hommes, tribunal des affaires de sécurité sociale… la presque totalité des contentieux social et commercial échappe ainsi au TGI, qui connaît principalement des affaires civiles ou pénales.
D’autre part par le fait que le TGI ne connaît que des demandes indéterminées ou de celles d’un montant supérieur à 10 000 euros (le tribunal d’instance étant compétent en deçà).
Ajoutons à cela les réformes de ces dernières années dont l’emblématique réforme de la carte judiciaire, initiée en 2007 par Mme Rachida Dati, alors ministre de la Justice, qui a abouti à la suppression de 178 tribunaux d’instance et à une perte importante de confiance des citoyens en leur justice et leurs juges.
J’avais eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle à la fin de l’année 2012 alors que nous débattions des juges de proximité : c’est tout l’appareil judiciaire de première instance qu’il faut revoir. Une réforme ambitieuse et l’apport de moyens financiers et humains plus conséquents sont, plus que jamais, nécessaires.
Je sais votre engagement, Madame la Ministre, sur ces questions. La réflexion a été engagée il y a près de 18 mois et la concertation menée avec de nombreux acteurs de la vie judiciaire et parlementaire.
C’est dans cet esprit que nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne ont élaboré le rapport intitulé « Pour une réforme pragmatique de la justice de première instance ».
Ils mettent en évidence, et le groupe écologiste y souscrit totalement, que, s’il est urgent de s’engager sur la voie de la réforme, il convient de donner, à court terme, la priorité à l’accessibilité de la justice.
Pour cela, trois chantiers peuvent être d’ores et déjà engagés.
Le premier est la création d’un guichet universel de greffe, souvent préconisée mais jamais encore mise en œuvre. Ces guichets, qui permettraient au justiciable de recevoir des informations sur les modalités de saisine des juridictions, d’introduire les procédures qui peuvent s’effectuer sans avocat et de suivre le déroulement des procédures en cours, seraient sans aucun doute garants d’une plus grande proximité judiciaire.
Toutefois, tant les auteurs du rapport que les syndicats de magistrats le soulignent, cette réforme doit être accompagnée d’une politique des ressources humaines ambitieuse.
Le second chantier est le renforcement des moyens de projection judiciaire afin de maintenir une présence judiciaire là où elle risquerait de manquer.
En effet, si le guichet universel de greffe apporte une première réponse au problème de la proximité judiciaire, il se limite toutefois à une information et une entrée dans la procédure.
Dans leur rapport sur la réforme de la carte judiciaire, nos collègues Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne appelaient au développement des audiences foraines, pour remédier à l’éloignement trop important de la juridiction de regroupement par rapport à la juridiction supprimée.
Il me semble également, et l’expérience réussie menée en Picardie le montre, qu’il faut renforcer les audiences foraines lorsqu’elles apparaissent nécessaires.
De surcroît, si les difficultés sont nombreuses dans ce domaine, la création d’un guichet universel de greffe et la mutualisation des effectifs des greffes devraient permettre de surmonter nombre d’entre elles.
Enfin, le troisième chantier est celui de la poursuite de la déjudiciarisation et de la réforme des procédures afin de permettre au juge de se concentrer sur sa mission première : trancher les litiges qui lui sont soumis par le justiciable.
En effet, comme le souligne à juste titre le rapport de Madame Klès et Monsieur Détraigne : « la réforme de la justice de première instance ne peut se limiter à une réforme des structures. Dans un contexte de forte contrainte budgétaire et compte tenu de l’importance de la charge de travail qui pèse aujourd’hui sur les magistrats, elle doit inclure une réflexion sur l’office du juge, afin de lui permettre de se concentrer sur sa fonction principale et retrouver ainsi des marges de manœuvre pour le mobiliser sur les actions qui le méritent ».
Une des voies qui pourrait être suivie est celle de l’attribution aux greffiers en chef de certaines prérogatives juridictionnelles limitées, aujourd’hui détenues par le juge. Ces greffiers ont reçu la formation adéquate et de nombreuses personnes auditionnées représentants les magistrats se sont prononcées en faveur d’une telle évolution.
Il faudra, ici encore, être vigilant sur les moyens humains mis en œuvre et il est certain que de nombreux greffiers devront être recrutés.
Telles sont, mes chèrEs collègues, les mesures concrètes qui peuvent dès maintenant être mises en place et que le groupe écologiste appelle de ses vœux.
Je reprendrai, pour conclure, les mots du premier ministre : « La Justice mérite la confiance des Français. Chaque fois qu’elle s’affaiblit, c’est le pacte républicain qui s’affaiblit. Nous avons tous un combat à mener pour le redressement de la République »
Le groupe écologiste mènera ce combat nécessaire mais sera toujours vigilant à ce que des moyens à la hauteur des enjeux lui soient attribués.
Je vous remercie.
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