Par Anne Laffeter.
» Présentée comme le “maillot faible” du gouvernement Ayrault, a pris une revanche cinglante en portant avec dignité la loi sur la mariage pour tous à l’Assemblée. Elle revient sur les combats qu’elle a menés et qui l’ont construite.
C’est le monde à l’envers. La femme politique accusée d’avoir fait perdre les socialistes en 2002 est aujourd’hui couverte de roses. Dans son bureau de la Chancellerie, les bouquets s’entassent. En quinze jours, Christiane Taubira, ovationnée, a fait la démonstration de son talent et pris une revanche aux allures de rédemption. Qualifiée au printemps de “maillon faible”, au moment de l’annonce de la constitution du gouvernement, sa prestation lors des débats sur le mariage pour tous l’a propulsée au rang de poids lourd de ce même gouvernement. Au même titre que Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur.
Une oratrice bien rôdée
D’un coup, en janvier 2013, la gauche au pouvoir a changé d’air. En lieu et place des “petites phrases” et autres “éléments de langage” aussi désincarnés que robotiques, Christiane Taubira a scotché son monde en citant René Char, Léon-Gontran Damas ou Emmanuel Levinas. En quinze jours, la garde des Sceaux a réintroduit dans la parole politique profondeur et complexité. Elle a séduit la gauche et dessoudé quelques adversaires.
Christiane Taubira traîne son mètre soixante sur les bancs de l’Assemblée depuis 1993 où elle prend avec son parti Walwari une circonscription à l’hégémonique PSG (Parti socialiste guyanais). Ses discours lyriques séduisent les jeunes et les femmes. Pour les européennes de 1994, Bernard Tapie flaire le bon coup, la bombarde en quatrième position sur la liste Énergie radicale, qui emporte 12 % des suffrages, presque autant que Michel Rocard. “En meeting, elle était aussi bonne que Tapie, voire meilleure”, raconte Isabelle Boyer qui organisait sa campagne.
“Je sais que ma liberté est autant mon oeuvre que mon risque”
“On n’a pas de charisme quand on a eu une vie de pot de yaourt”, rigole son amie Esther Benbassa, sénatrice EÉ-LV. Née en 1952, Christiane Taubira grandit à Cayenne dans une fratrie de six, sous l’égide d’une mère gaulliste et bourrée de principes. “Femme, noire, pauvre, quel fabuleux capital ! Tous les défis à relever”, ironise-t-elle dans Mes météores (Flammarion, 2012). Ses années d’étudiante l’éveillent à la politique. Elle lit Frantz Fanon, se coiffe comme Angela Davis et pleure Salvador Allende. Diplômée d’économie, elle fraye avec les indépendantistes guyanais, passé qu’elle ne renie pas.
“Je sais que ma liberté est autant mon oeuvre que mon risque”, écrit-elle. Christiane Taubira a varié ses alliances et multiplié d’autant ses ennemis. En 2001, elle défend la loi qui reconnaît la traite négrière et l’esclavage comme crime contre l’humanité. Elle est aussi la candidate du Parti radical de gauche à la présidentielle de 2002. Lionel Jospin, trop confiant, ne la retient pas. Elle obtient 2,32 % des suffrages. Le candidat socialiste est éliminé au premier tour et Taubira désignée responsable. La “dégelée de coups”, écrit-elle, s’abat. Dix ans plus tard, à la primaire socialiste, elle ralliera Montebourg.
Elle apprend à encaisser les coups
Femme, noire, de Guyane. En la nommant à la Chancellerie, Hollande réussit un coup. “Quand on vote FN, on a la gauche qui passe et on a Taubira”, déclare alors Jean-François Copé. “Pauvre Copé… Christiane, parce qu’elle est qui elle est et vient d’où elle vient, a toujours droit à son lot d’idées préconçues, de sarcasmes et de plaisanteries douteuses”, critique Bernard Tapie. Le 18 mai, pour sa première sortie comme garde des Sceaux, Christiane Taubira assiste à un match de basket entre détenus, dont l’un s’évade. Les snipers de l’UMP s’en donnent à coeur joie : “incompétente”, “angélique”. Elle qui n’a pas la langue dans sa poche choisit de se taire.
Une longue liste de dossiers délicats l’attend
Dès septembre, dans La Croix, elle délimite le projet de loi : ce sera sans la procréation médicalement assistée (PMA), ce qui lui vaut de multiples critiques mais, avec elle, la gauche aura sa réforme sociétale emblématique – la seule ? – qui offre l’avantage du consensus dans son camp et ne coûte pas un radis. Ses futurs dossiers sont plus casse-gueule politiquement. Engorgement des prisons, politique pénale, justice des mineurs. Ses adversaires la disent dogmatique, laxiste, ingérable ? Le ministère organise une Conférence de consensus sur la récidive, qui rassemble des personnalités de tous bords. Christiane Taubira compose ? C’est le monde à l’envers. »
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