PPL n°287:
Proposition de loi modifiant la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté
– Discussion générale –
Mardi 21 janvier 2014
Esther Benbassa, Sénatrice EE-LV
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Madame la rapporteure,
Mes ChèrEs collègues,
En 2007, l’institution d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté devait montrer la volonté de la France de s’engager pleinement dans un contrôle indépendant et effectif de l’ensemble des lieux de détention, quelle que soit la structure concernée : établissements pénitentiaires, centres hospitaliers spécialisés, dépôts des palais de justice, centres de rétention administrative, etc.
Tandis que la création de cette institution permettait à la France de répondre aux standards européens en la matière et de respecter les stipulations du Protocole facultatif à la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signé par notre pays le 16 septembre 2005, son objectif principal était de garantir les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
Après cinq années d’exercice, la nécessité d’avoir un contrôleur général n’est plus à démontrer et je veux ici saluer le travail indépendant et sans concession mené par Jean-Marie Delarue qui a, sans nul doute, fait avancer l’effectivité des droits fondamentaux des personnes privées de liberté et qui, grâce à sa grande sensibilité aux droits humains et aux libertés individuelles, a rempli sa fonction comme un républicain digne de ce nom.
Cette expérience n’en a pas moins également mis en évidence certaines lacunes de la loi initiale, lacunes que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui se propose de combler.
Le groupe écologiste souscrit à l’ensemble des préoccupations qui inspirent le texte que nous débattons aujourd’hui, au premier rang desquelles la volonté de favoriser l’exercice de sa mission par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Il s’agit en fait de traduire la pratique dans la loi, en explicitant la possibilité d’enquêtes, y compris sur place, du Contrôleur général, et en détaillant la procédure de saisine et la procédure de déroulement de l’enquête.
Autre point important, le texte propose d’inscrire dans notre droit le principe posé par l’article 21 du protocole facultatif des Nations Unies ajouté à la Convention contre la torture, qui prévoit qu’ « aucune sanction ne peut être prononcée et aucun préjudice ne peut résulter du seul fait des liens établis avec le Contrôleur général » ou « des informations qui lui ont été données se rapportant à l’exercice de sa fonction ».
En effet, les représailles à l’encontre de ceux qui, en particulier en prison, témoignent auprès des contrôleurs, sont une réalité et ne doivent pas être ignorées. Il convient de les protéger, tout en mettant à l’abri le personnel contre toute fausse accusation et ce afin que le contrôleur puisse continuer d’exercer sa mission dans les meilleures conditions possibles.
Je veux ici saluer le travail de la rapporteure, notre collègue Catherine TASCA qui a, par son travail et son engagement, notablement enrichi ce texte.
Ainsi, un amendement visant à étendre le champ de compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté au contrôle du déroulement des mesures d’éloignement d’étrangers, et ce jusqu’au pays de destination, a été adopté par notre commission.
Cette disposition me semble capitale pour la défense des droits des étrangers en situation irrégulière. Elle relève non seulement du respect du plus élémentaire des droits humains mais aussi d’un principe humaniste honorant les pays qui le respectent. Les étrangers expulsés ne sont pas des colis qu’on jette dans les avions, mais des êtres humains dignes d’égards. Nous les leur devons ne serait-ce que par égard pour notre longue tradition de pays d’immigration. Une certaine propagande anti-immigration a fait des immigrés des indésirables, des parasites. Elle peut à la longue les déshumaniser. Evitons cela, ne serait-ce déjà qu’en les accompagnant pendant les expulsions, dans des conditions dignes, pour que nous ne perdions jamais de vue cette humanité qui nous unit irrévocablement aux étrangers, quels qu’ils soient, une humanité réelle, sans frontières, insensible aux différences de nationalité, d’origine ou de religion.
En l’état actuel du droit, le Contrôleur général est compétent pour contrôler les zones d’attente des ports et des aéroports ainsi que les centres de rétention administrative. Mais le terme « transfèrement » utilisé par la loi ne s’appliquant qu’aux personnes détenues, il n’a aucun droit de regard sur les conditions de transfert forcé des étrangers, de la sortie du centre de rétention à l’arrivée dans le pays de destination.
Or on le sait, cette phase a donné lieu à de maints abus de la part des forces de police. Les témoignages ne manquent pas et nombreux sont ceux qui, de retour au centre de rétention, racontent les coups, les menaces, les humiliations subis sur le trajet vers l’aéroport.
Il me semble donc capital que le Contrôleur général puisse contrôler l’ensemble de la mesure d’éloignement, jusqu’à la remise de l’intéressé aux autorités du pays de destination et que ses équipes puissent être présentes dans l’avion ou enquêter sur des faits s’y étant éventuellement déroulés.
Chacun se souvient avec effroi de ce jeune Somalien de 24 ans et de cet Argentin de 52 ans décédés sur notre sol dans des circonstances troubles au cours de leur reconduite à la frontière.
Vous l’aurez compris mes chers collègues, le groupe écologiste souhaite que les prérogatives du Contrôleur soient les plus étendues possibles. Ma collègue Aline Archimbaud, très engagée sur le sujet, aura l’occasion de vous en dire davantage lors de la discussion des articles et d’aborder la délicate question des personnes âgées vivant en EHPAD.
Viscéralement attaché à la défense des droits fondamentaux et notamment à ceux des personnes privées de liberté, le groupe écologiste votera, avec engagement et conviction, cette proposition de loi.
Je vous remercie.