POLITIQUE – La mode est à la transparence. Transparence par-ci, transparence par-là. J’ouvre samedi mon Libé, arrivé tôt le matin dans ma boîte aux lettres, et je lis: « Faire de l’Assemblée nationale une « maison de verre » ». Il s’agit cette fois d’inventer un lobbying plus éthique. A cette fin, nous dit-on, l’Assemblée aurait avalisé une quinzaine de propositions d’un député socialiste.
Vertu, que me veux-tu?
Certes, fidèles à la longue histoire politique que nous leur connaissons, mes amis socialistes et la gauche en général rêvent d’une société idéale, pétrie de vertu, et désormais aux mains de politiciens eux-mêmes vertueux. J’acquiesce à cet idéal. Mais comme je suis une pragmatique, je veux des preuves. Ici et maintenant.
Pour le moment, on n’en voit pas beaucoup sur les deux cartes publiées par le site du même Libé, permettant d’identifier les députés et les sénateurs déclarant sur leur blog la destination de leur réserve parlementaire. Ils ne se précipitent pas non plus en masse en faveur de la suppression du cumul des mandats, source de pouvoir redoublé et, accessoirement, de revenus complémentaires. Je n’entrerai pas non plus dans le détail de ces élus qui se font rares dans les Chambres parce que trop occupés à s’acquitter d’autres mandats plus importants à leurs yeux. Repoussée à 2017, la belle réforme laisse encore un peu de temps pour repenser la vertu…
Moi, je n’ai rien contre les bonnes mœurs, au contraire, mais je n’aime pas non plus qu’on en impose autoritairement la pratique à ceux qui n’en ont pas besoin. Parce que beaucoup de parlementaires, à la différence de ces quelques-uns que je viens d’évoquer, socialistes ou d’autres bords, remplissent effectivement leurs devoirs avec conviction et dévouement, y consacrant un temps et une énergie considérables. Les tricheurs viennent de tous les horizons politiques. Les gens honnêtes aussi.
D’où nous vient donc cette course nouvelle et toujours plus effrénée à la « transparence »? S’agit-il de redorer le blason des politiciens auprès du peuple dont ils ont perdu la confiance? Est-ce du populisme qui ne dit pas son nom? Ou veut-on seulement épouser là une tendance de plus en plus en vogue dans la société elle-même, et qui nous vient peut-être de certaines émissions de télévision où l’exhibitionnisme est roi? Et le voyeurisme aussi.
Au pays des inventeurs du non-dit
Tout cela ne manque pas de piquant dans un pays qui n’aime rien moins que la transparence. Parler d’argent est considéré comme vulgaire. Les signes distinctifs de richesse sont là pour impressionner ses « égaux » et seulement ses « égaux ». Aux autres, on préfère tout cacher.
Nous vivons dans le pays du secret et des réseaux. Nous nous cooptons en permanence, sans que jamais les vraies règles du jeu soient clairement exposées. Nos académies, nos universités, nos cercles et clubs privés, nos prix littéraires, et jusqu’à notre démocratie, tout fonctionne dans le non-dit. Sur le non-dit. On dirait que nous l’avons inventé, nous, Français, ce non-dit, ce non-déclaré, ce non-su. L’opacité est chez nous le sésame de la réussite. Y compris la rhétorique de la langue de bois dont nous sommes les maîtres: parler pour ne rien dire, surtout pas l’essentiel.
Nous en formons les grands spécialistes avec nos deniers, dans nos grandes écoles, pour fournir en main-d’œuvre cabinets ministériels et hautes administrations. Essayez de comprendre un fonctionnaire lorsqu’il ne souhaite pas vous donner une information… Nous le connaissons bien, cet art de dire longuement à son interlocuteur tout à fait autre chose que ce qu’il cherche à apprendre, tout en le convainquant qu’on a bien répondu à sa question, et de la meilleure manière, je vous prie.
Le citoyen lambda, lui, quand il s’agit de lui, n’est pas plus que d’autres un adepte inconditionnel de la transparence. Il triche, juste un peu. Il fraude, mais pas trop. Il contourne la loi, sans tout à fait l’enfreindre. Il essaye de se faire sauter ses PV et n’hésite pas à solliciter un petit passe-droit de son élu(e)… Je ne crois pas que nous soyons si nombreux à ne pas pratiquer ce sport national que l’on appelle chez nous, poliment, le système D.
Notre belle littérature est truffée de litotes et de métaphores, autre expression de cet art national du cache-cache. Et je dirais tant mieux. Personnellement, je déclare depuis mon élection l’usage que je fais de ma réserve parlementaire. C’est de l’argent public, qui va au public, et que ça se fasse publiquement me convient tout à fait. En revanche, j’ai en horreur l’impératif de la transparence pour la transparence, de la transparence érigée en principe, qui ne sert à personne, ni au peuple, ni aux élus, ni aux institutions.
Des élus sous surveillance
Cette vogue de la transparence, qui prend pour cible les élus, les place sous les feux d’une suspicion continue. Pas sûr, pourtant, que le harcèlement aide toujours à débusquer les malhonnêtes et les tricheurs. Mais le populisme ambiant exige de donner des gages au peuple pour les voix qu’il nous accorde. Si l’on faisait un comptage, je suis convaincue que les « vertueux » seraient largement plus nombreux que les autres. Reste que le soupçon sert les médias, et les médias s’en servent qui, en ces temps de pipolisation, ont régulièrement besoin de têtes « couronnées » à couper. Les temps sont durs, il faut bien vendre du papier.
Or c’est avec la sacralisation de la transparence qu’il est temps de couper court, si j’ose dire. On n’est pas loin, ici, d’un goût douteux pour le grand déballage. Et c’est dommage. Les êtres transparents sont ennuyeux. Cultiver un peu de mystère (ce qui n’autorise évidemment pas à voler dans la caisse) et accepter que la profondeur soit à ce prix -celui d’un certain mystère- donnerait peut-être un peu plus de poids, de densité, aux politiciens, aux yeux de leurs électeurs eux-mêmes. Ils pourraient même servir de modèle à ceux qui en cherchent pour se construire.
On l’a vu avec Stéphane Hessel et sa transmutation bienvenue en héros national après son décès. Hessel n’était pas transparent du tout. Il ne détestait pas non plus mythifier un peu sa vie et son parcours d’homme. C’était pourtant un grand Monsieur. Il y a bien aussi quelques grandes Dames et quelques grands Messieurs qui font le métier d’élu(e). Pourquoi veut-on tout savoir sur elles et sur eux? Combien ils gagnent. Ce qu’ils font, au centime près, de leurs frais de représentation. Qui ne montre pas tout a sûrement quelque chose à cacher…
Bientôt, on voudra nous rendre visite chez nous pour savoir ce que nous mangeons, dans quels draps nous dormons, quelle musique nous écoutons. Et si nous n’avons pas quelque trésor caché dans nos sous-sols… Comment, après tout cela, pourrions-nous espérer le moindre respect? Oui, les élus ont, comme tout un chacun, droit à la considération que le travail qu’ils accomplissent justifie. L’exigence d’exemplarité, pour légitime qu’elle soit, n’autorise pas tout.
Même si nous ne sommes pas Garbo…
Je ne cultive guère le corporatisme. Mais plutôt que de nous demander la transparence à tout crin, si l’on parlait un peu et avant tout de nos combats, de nos convictions, du nombre d’heures de travail que nous consentons à y sacrifier, au grand dam de nos familles et de nos amis, au mépris de nos loisirs? Et si l’on veut parler argent, moyens, alors comparons nos rémunérations et le nombre de collaborateurs mis à notre disposition à ceux, par exemple, d’un sénateur ou d’un représentant américain.
Ce n’est pas la hauteur de leur salaire (qui ne leur permet d’ailleurs pas de grands écarts), ce ne sont pas la coupe de leur costume, la marque de leur voiture, leurs notes de restaurants qui nous diront ce que valent nos politiques. Mais le travail qu’ils font. Ou ne font pas. Et c’est de cela d’abord qu’il convient de parler.
La transparence en soi n’a aucune vertu pédagogique, parce qu’elle n’a pas de limites. Elle ne rendra pas les politiciens meilleurs, ni plus vertueux. Meilleurs, plus vertueux, les politiciens le seront d’abord s’ils deviennent eux-mêmes.
S’ils ne suivent pas toujours, pour être réinvestis, les injonctions ou les oukazes de leurs partis. Si, quitte à ne pas être réélus, ils n’hésitent pas à rappeler qu’ils ne sont pas là seulement pour rendre de « petits services » à leurs électeurs, mais pour servir les intérêts de la collectivité. Si, au risque de se faire mal voir de temps à autre, ils refusent de plier aux vents de la mode, aux diktats des micro-trottoirs. Transparence incluse.
C’est ainsi que nos concitoyens, au lieu de nous en vouloir, commenceraient peut-être à nous apprécier. Et peut-être pourrais-je alors donner à un chauffeur de taxi l’adresse du Sénat sans redouter, au mieux, des reproches, au pire, des insultes. Un peu de mystère ne nuirait pas. A-t-on jamais demandé à Greta Garbo ou à de Gaulle d’être transparents? Nous ne sommes, c’est vrai, ni Garbo, ni de Gaulle, mais quand même…
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