» Deux ministres de l’actuel gouvernement, Cécile Duflot et Vincent Peillon, se sont déjà exprimés en faveur d’une légalisation ou d’une dépénalisation du cannabis. La première s’est ce faisant inscrite dans la droite ligne des revendications d’Europe Ecologie-Les Verts. Mais avant ces deux-là, qui ont été vite rappelés à l’ordre, c’est un socialiste, ancien ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant, qui s’était lui-même prononcé pour la dépénalisation.
Une société très morale… et très consommatrice
Cela dit, après avoir reculé sur le droit de vote des étrangers et sur le contrôle au faciès, après avoir peiné sur le mariage pour tous, après avoir repoussé aux calendes grecques la procréation médicalement assistée, on voit mal notre exécutif rouvrir une polémique sur un thème aussi brûlant, aussi « fumeux » diraient certains, pas très « moral » en tout cas, aux yeux d’une société aux idées globalement conservatrices.
Une société qui, nolens volens, n’en compte pourtant pas moins de 4 à 7 millions d’usagers, contre 800 000 dans un passé récent. 550 000 seraient même des usagers quotidiens. Face à quoi la seule politique publique a été celle d’une surenchère répressive, qui n’a pas contribué à la diminution du nombre de consommateurs, tout au contraire. Ni à celle des trafics.
Les coûts multiples de la surenchère répressive
Car si nos gouvernements, aussi bien de gauche que de droite, n’ont pas réussi à contrôler la consommation, ils n’ont pas davantage réussi à enrayer le développement de l’économie alternative mafieuse engendrée par la production et la vente illégales. Lorsqu’on sait que la production d’un kilo de cannabis revient à 1 000 euros et que le gramme est vendu entre 4 et 10 euros, on évalue aisément l’enjeu économique de ce trafic. Et l’Etat, dans cette affaire, est bien le grand perdant puisqu’il ne touche rien, par voie d’impôts ou de taxes, ni de la production ni de la vente des drogues illicites, tandis que la dépense publique liée à leur consommation, elle, s’élève à plus de 1 000 millions d’euros par an, dont une bonne partie directement liée à sa judiciarisation.
On ne dira rien de bien nouveau en rappelant que la prohibition, comme celle de l’alcool aux Etats-Unis dans les années 1920, crée d’abord des trafics en tous genres et induit des violences que la police échoue à contrecarrer. Et on n’apprendra rien à personne en signalant que la qualité du cannabis consommé clandestinement comporte des risques de santé publique graves et eux-mêmes coûteux pour la collectivité. Mais il faut bien y insister : la jeunesse est aujourd’hui la catégorie la plus exposée à cette consommation sauvage qui touche les écoles et les quartiers et met les adolescents en relation directe avec les réseaux.
Au-delà du tout répressif
A bien considérer toutes ces données, il ne paraît pas illégitime, loin s’en faut, de se poser la question d’une éventuelle légalisation contrôlée du cannabis, laquelle inclurait une déjudiciarisation de son usage. Est-ce à dire, comment certains se plaisent à le faire croire pour faire peur, que tout le monde pourrait tout à coup consommer, en tous lieux, à tout moment, à tout âge et en quelque quantité que ce soit, drogues douces et drogues dures ? Sûrement pas. Reste que ce fantasme de totale dissolution sociale, s’il sert les intérêts de la « morale » ordinaire, vise d’abord à empêcher toute réflexion collective sérieuse sur une question qui interpelle chacun de nous.
On n’a pas besoin d’être soi-même consommateur pour s’interroger sur les moyens de mieux contrôler la production, la vente et la consommation du cannabis, et de faire de l’Etat, en ce domaine, un acteur responsable et pas seulement répressif, associant à la légalisation contrôlée une politique réellement efficace de prévention et d’éducation, cette combinaison étant sans doute seule capable de nous protéger des dérives que nous constatons aujourd’hui, avec le passage du cannabis aux drogues dures.
Rappelons qu’il s’agit ici de la légalisation contrôlée et de la dépénalisation du seul cannabis. Et certes pas de toutes les drogues. Actuellement, l’augmentation de la délinquance et de la criminalité liées au trafic de drogue est une préoccupation constante des pouvoirs publics. Or, à la différence du tout répressif – qui s’attaque aux petits vendeurs et ne porte aucun coup décisif aux réseaux mafieux qui tiennent les rênes du trafic -, cette légalisation contrôlée et la dépénalisation qui lui serait associée auraient pour effet positifs majeurs d’asphyxier ces réseaux eux-mêmes, de soustraire le consommateur aux dangers impliqués par la clandestinité et de permettre une meilleure protection de la santé publique.
Réglementer, taxer, protéger et soigner
En omettant de l’encadrer, les Pays-Bas ont fait entrer les organisations criminelles dans la production du cannabis, ainsi que dans l’importation et la distribution dans un marché aux règles floues. Or il est possible à la fois de réglementer l’autoproduction et d’attribuer la production à des cultivateurs agréés. La création d’un éventuel monopole étatique de la production et de la distribution du cannabis est aussi une option qui mérite réflexion. Un tel monopole aurait également comme obligation de consacrer une partie de ses revenus au financement de campagnes de prévention appelant à la modération.
En cette période d’austérité, cette légalisation contrôlée serait susceptible de créer 20 000 emplois et de susciter au moins 1 milliard d’euros de taxes qui iraient alimenter les caisses de l’Etat. Cela non plus n’est pas négligeable. L’instauration de débits de cannabis à emporter ainsi que de lieux de consommation dont les licences seraient délivrées par l’Etat peut être clairement envisagée. On appliquerait évidemment là aux mineurs des règles comparables à celles qui encadrent la distribution de l’alcool. La consommation dans les lieux et les transports publics serait interdite. Et au nom de la santé publique, la troisième partie du Code de la santé publique deviendrait « Lutte contre le tabagisme, le dopage et le cannabisme ».
Dans de nombreux pays de l’Union européenne ont été adoptés des dispositifs de prescription du cannabis sous une forme synthétique et naturelle pour des raisons thérapeutiques. Cela n’est pas le cas en France, où les malades peuvent parfois subir la répression et sont contraints de s’approvisionner au marché noir en passant par des réseaux. Cet aspect de la question n’est pas moins important. Il est impossible de l’éluder.
Se hâter lentement
La légalisation contrôlée du cannabis et la dépénalisation afférente de son usage prendront sans doute du temps. Une sensibilisation – de nos concitoyens, des parlementaires, de l’exécutif – à la réalité des problèmes s’impose, loin des vains tabous et des interdits contreproductifs. J’ai choisi pour ma part de me hâter lentement. J’ai lancé au Sénat un groupe informel de réflexion et de concertation. Le sujet est difficile et toutes les questions difficiles seront posées. L’objectif n’en est pas moins clair : l’élaboration, à l’avenir, d’un canevas législatif à la fois progressiste, efficace et utile. «
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