France, pays de l’égalité. La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 (qu’en est-il donc de la femme et de la citoyenne ?) l’a gravée dans le marbre. Les frontons de nos mairies rappellent à chaque passant qu’elle fait partie des principes intangibles et sacro-saints de notre République.
Côté Europe, même insistance. L’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (là aussi, le masculin l’emporte…) et des libertés fondamentales interdit ainsi clairement les discriminations fondées sur le « sexe », « l’appartenance à une minorité nationale » ou sur « toute autre situation ». Quant à l’article 13 du traité instituant la Communauté européenne, il stipule tout aussi clairement que le « Conseil (…) peut prendre toutes les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ».
Dans ce dernier texte, aucune distinction n’est faite entre les divers types de discriminations. Tel n’est pas exactement le cas du droit français qui a besoin de faire sa propre révolution pour garantir sa cohérence interne et pour assurer la pleine intelligibilité de ses dispositions par le public.
Y a-t-il une hiérarchie dans l’injure ?
S’agissant d’injures, osera-t-on affirmer par exemple que « sale pédé » soit moins grave que « sale juif » ou « sale arabe »? Personnellement, je ne vois pas de différence. Notre droit, lui, pour l’instant, en fait une. Or il y a plus que jamais urgence pour le législateur de faire en sorte de remédier à ce déséquilibre et d’instaurer une parfaite égalité de traitement face aux injures.
Les derniers débats sur le mariage entre personnes du même sexe ont ouvert la boîte de Pandore des discours homophobes. La banalisation de ces excès langagiers menace. Internet a relayé les propos violents et leur a surtout assuré une publicité inédite. Sur Twitter, le hashtag « simonfilsestgay » s’est distingué le 22 décembre en battant des records. 20 000 tweets auraient été rédigés avec ce hashtag. Et je ne ferai certes pas de réclame aux sites qui se sont distingués en la matière.
Que la question du mariage entre personnes du même sexe divise est une chose, et on peut, même quand on est résolument pro-mariage pour tous, le comprendre. En revanche, la violence, la sottise et/ou l’absurdité de certains propos sortis de la bouche de certains de ses adversaires laissent pantois. Elles sont tout simplement inadmissibles. Halte à l’homophobie décomplexée qui se donne (pas toujours) un soi-disant petit air respectable. Halte aussi au sexisme décomplexé et très bas-de-gamme dont nous avons été récemment témoins dans les travées cosy de l’hémicycle du Sénat.
Une liberté d’expression totale?
J’ai quant à moi un faible pour la culture nord-américaine. Y compris pour le premier article de la Déclaration des Droits (Bill of Rights) qui ne met pas de limite à la liberté d’expression. Notre pays préfère ordinairement la répression. Pas le genre à souscrire à un texte stipulant par exemple que « le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de ses griefs. »
Cet amendement à la Constitution des Etats-Unis est entré dans les mœurs américaines. Ainsi que l’éducation qui va avec, et qui s’en est suivie au fil des décennies. Je ne dirai pas que cela ait fait des Américains des citoyens parfaits. Mais on peut penser ou espérer que la pédagogie qui en a découlé a permis d’encadrer plus ou moins une liberté en principe totale.
Chez nous, la menace de la sanction est un principe. Elle est brandie dans les institutions scolaires dès les premières années de l’enfance. L’habitude étant prise, difficile d’en changer ou d’en faire fi. Si bien que nonobstant mes inclinations américanophiles, je ne suis pas de ceux qui, se prévalant de l’exemple nord-américain, assurent qu’il ne convient nullement de punir ceux ou celles qui se livrent aux discours racistes, homophobes, sexistes ou autres…
En France, cette liberté sans entraves risquerait fort de tourner à la liberté sans contrôle. Et sans égards pour la liberté et la dignité de l’Autre. C’est là que le bât blesse. Je dirais oui à cette liberté si nos dirigeants et enseignants se décidaient une bonne fois pour toutes à initier autrement à la pratique concrète de la liberté d’expression. Dans les cours d’instruction civique, aussi bien que dans les campagnes de sensibilisation.
Pour l’instant, chez nous, la menace de la sanction est à la fois l’amie de la liberté et l’amie du pouvoir.
L’amie du pouvoir, d’abord. Dans un pays aux usages encore très dépendants d’un Ancien Régime pas si ancien que cela, de l’employé au guichet au grand patron d’institution, et à tous les degrés intermédiaires, ils sont trop nombreux à être tentés de l’agiter, cette menace, d’exercer un pouvoir de sanction plus ou moins discrétionnaire, en maltraitant le/la citoyen/ne plus ou moins à sa guise, ne serait-ce qu’en lui opposant un « non » sans en expliquer la raison, « parce que c’est comme ça ».
Tous n’iront pas jusqu’à discriminer l’administré(e) en raison de son origine, de la couleur de sa peau, de son sexe, de son orientation sexuelle ou de sa religion. Mais comment ne pas rappeler notre tristement célèbre « contrôle au faciès », auquel notre Ministre de l’Intérieur peine à mettre un frein par des mesures simples et concrètes, sous la pression de certaines franges de la Police rechignant à perdre un peu de ce pouvoir que leur confère la liberté d’humilier ?
Ces discriminations ne sont pas symboliques mais réelles. Et notre pays, qui claironne à chaque occasion son fameux principe d’égalité, oublie facilement que cette égalité n’est pas égale pour tout le monde. Dans ce cas aussi, tradition française oblige, la menace de la sanction doit pouvoir jouer pleinement son rôle.
Pour un droit non discriminatoire
Ses lois reflètent les mentalités d’un pays. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen stipule, dans son article 11, que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».
La loi du 29 juillet 1881, qui s’en inspire, définit les libertés et les responsabilités de la presse française, en imposant un cadre légal à toute publication, ainsi qu’à l’affichage public, au colportage et à la vente sur la voie publique. Peu nombreuses sont aujourd’hui les infractions qu’elle sanctionne à être commises par la presse. Le développement d’Internet et des réseaux sociaux a en revanche ouvert les vannes d’une déferlante de violences écrites.
Si la langue est un espace de liberté, les mots sont aussi capables de blesser, d’humilier ou de tuer. Si on ne tend pas un filet, les nouvelles technologies, qui rendent abstraites les relations avec autrui en le déshumanisant, peuvent par les mots banaliser les pires discriminations. Par l’intermédiaire d’un écran, quoi de plus facile que d’injurier tous azimuts ?
La loi de 1881 a longtemps imposé aux infractions commises par la presse un délai de prescription de trois mois. La loi « Perben II » du 9 mars 2004 a introduit une exception à ce régime en le portant à un an pour certaines d’entre elles dont la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, la diffamation ou l’injure lorsqu’elles sont commises en raison de l’origine de la personne ou de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
En revanche, celles qui sont commises en raison du sexe de la personne, de son orientation sexuelle ou de son handicap sont elles prescrites au bout de trois mois. L’une des raisons principales de ce décalage tient au fait que chez nous, la législation a longtemps peiné à mettre en place la répression de telles discriminations, tout simplement parce qu’elle a résisté à les reconnaître effectivement comme discriminatoires. Du retard accumulé dans la prise de conscience en ce domaine a résulté cette prescription de trois mois appliquée seulement dans ces cas.
Ce qui paraît choquant lorsqu’on sait combien il est difficile d’apporter en un laps de temps si court les preuves de ces délits. Et que les associations, travaillant souvent avec des bénévoles, ne sont pas forcément en mesure de monter si vite des dossiers assez solides pour obtenir gain de cause pour les victimes. Sans oublier qu’une injure sexiste ou homophobe qui a circulé sur Internet ou dans les réseaux sociaux peut arriver très tardivement à la connaissance du principal intéressé. De ce fait, peu nombreux sont les plaignants. Et lorsqu’il y a plainte, elle aboutit rarement.
L’égalité pour tous
De surcroît, comment admettre que la loi de 1881 n’applique pas les mêmes délais de prescription à toutes les infractions qu’elle prévoit ? Le moment est plus que jamais venu, dans la perspective de l’instauration du mariage entre personnes du même sexe et dans le sillage du débat qu’elle a suscité dans notre société, de soumettre l’injure homophobe, sexiste et handiphobe (plus rare, l’handiphobie se traduisant d’abord dans le champ de l’accès concret aux droits, à l’emploi, etc.) aux mêmes délais de prescription que l’injure raciste. La menace de sanction doit être la même pour tous.
La loi elle-même, on le voit, peut être discriminatoire. Il faut bien sûr que cela cesse. Toutes les injures blessent, aucune n’est moins humiliante qu’une autre. Il n’est évidemment pas question de créer et d’imposer je ne sais quelle langue lisse et sans aspérités. Ce serait bien dommage. Ce serait le pire usage du « politiquement correct ». Reste qu’il n’est pas inutile de faire prendre conscience à chacun du poids de ces mots qu’il utilise à la va-vite dans le quotidien.
Un appel à la responsabilité en la matière n’est pas superflu. Respecter la dignité de notre semblable, même et surtout lorsque ce semblable est différent, n’est pas moins important que de respecter la nature ou l’environnement. C’est pourquoi, sénatrice écolo, je suis heureuse d’être, pour la Commission des Lois du Sénat, la rapporteure d’une proposition de loi d’initiative socialiste, et déjà votée à l’Assemblée, qui vise à supprimer l’inégalité de traitement que j’évoque. Elle sera débattue en hémicycle le 7 février, juste un peu avant l’arrivée du projet de loi sur le mariage pour toutes et tous.
L’égalité commence par la loi, même si elle ne s’y résume pas. Si ce texte est voté, ce dont je ne doute pas, injurié(e)s et diffamé(e)s de ce pays, nous serons au moins tous et toutes égaux/égales devant la loi !