Pour redonner un peu de panache à un exécutif essoufflé, François Hollande a fait son marché au sein de la gauche. Résultat: point de panache, juste un petit panachage. Sur la photo de famille, cette étroite gauche gouvernementale donne une image factice d’unité.
Le Président a ainsi débauché la secrétaire nationale en fonction d’EELV,Emmanuelle Cosse, celle qui, il y a peu, voulait « changer d’air » en Île-de-France et pour qui, il y a peu, adhérents et militants EELV avaient infatigablement fait campagne dans l’espoir de la mener à la victoire aux régionales. François Hollande y a ajouté deux ex-EELV, partis depuis quelques mois déjà pour former leurs groupuscules à eux: Jean-Vincent Placé, réunissant, dans une formation de bric-à-brac, l’UDE, tous ceux qui rêvaient d’un retour (ou plutôt de leur entrée) au gouvernement, et Barbara Pompili, co-présidente du groupe écologiste de l’Assemblée nationale, et toute récente fondatrice d’une « association » locale picarde, ironiquement appelé « Nouvelle ère ». Que n’aurait-on pas fait pour obtenir un mini-maroquin de sa majesté Hollande!
Depuis le départ de Cécile Duflot et de Pascal Canfin consécutif à la nomination de Manuel Valls comme Premier Ministre, EELV, dans son écrasante majorité, j’entends les militants EELV dans leur écrasante majorité, étaient opposés à une participation au gouvernement. La politique conduite par ce dernier s’est en effet révélée peu compatible avec les aspirations, les convictions, les idéaux et les valeurs du parti, que ce soit dans le domaine environnemental, social ou sociétal. Emma Cosse l’avait d’ailleurs vigoureusement et publiquement rappelé elle-même pendant sa campagne des régionales…
Des débauchés qui ne représentent qu’eux-mêmes, et encore…
L’ambition personnelle en politique n’est pas a priori condamnable. Bien au contraire. Du moins lorsqu’elle est mise au service d’un engagement sur le fond, qu’elle se conjugue avec la loyauté, et la fidélité à ses principes. L’histoire de la politique n’est hélas pas avare d’exemples de ce genre de personnalités plus séduites par l’espoir d’une gloire éphémère, que par un combat de longue haleine. Il est vrai qu’une fois qu’on fait les comptes, elles ne laissent ordinairement pas beaucoup de traces de leur passage.
Le débauchage cynique effectué par François Hollande n’est pas non plus à la hauteur d’un Président de la République. On se demande à quoi il sert, ce débauchage, et ce qu’il sert. Sûrement pas la France et les Français. On soupçonne bien les petits calculs politiques qui le sous-tendent. On sait surtout que les débauchés en question ne représentent rien de plus qu’eux-mêmes. Ni les militants et sympathisants EELV, ni l’électorat qui se reconnaît dans l’écologie politique (et connaît tout de même bien le logo du parti) ne s’y laisseront prendre. A quelques exceptions près, bien sûr.
Depuis des mois, François Hollande, ancien manœuvrier du PS plus que Président de notre République, poursuit sa tactique de déstabilisation du parti écologiste dans l’espoir d’empêcher Cécile Duflot de se présenter à la présidentielle. Si elle se présentait, elle pourrait en effet lui ravir les voix qui lui manqueraient pour franchir le barrage du premier tour et affronter Marine Le Pen. Ainsi ne rejouerait-il pas la dernière élection de Jacques Chirac. D’où le soutien présidentiel à ces micro-scissions écologistes à répétition. L’idée ? Démanteler EELV et effacer l’écologie politique du paysage politique français.
On voit ce que cela a donné dans les groupes écologistes de l’Assemblée et du Sénat: division, cacophonie et ridicule. Comment faire un travail de qualité dans un tel contexte? Le désordre installé, l’autorité brisée, un stress aussi pesant que stérile y ont rendu le quotidien insupportable. Au Sénat le délabrement est tel que, pour rester un groupe, nous avons courbé l’échine au point d’y garder une écologiste ex-EELV désormais associée au Modem et ayant soutenu Valérie Pécresse aux régionales. Le groupe écolo du Sénat comptait encore ainsi jusqu’à jeudi dernier dix membres: 1 Modem, 2 UDE, 6 EELV (au moins sur le papier), 1 non affiliée à un parti politique. Le navire tanguait, c’est le moins qu’on puisse dire, et l’efficacité du travail fourni par chacun(e) ne pouvait qu’en pâtir. Et je ne dis rien de notre cohérence politique, ni de notre image…
Aujourd’hui, avec l’entrée de Jean-Vincent Placé au gouvernement, le groupe écologiste au Sénat, réduit à 9 membres, est virtuellement mort, le nombre minimal requis pour faire un groupe étant de 10. L’exécutif, qui a d’abord semé le désordre dans les groupes écologistes du Sénat et de l’Assemblée (ils ont assez de députés pour rester un groupe), risque fort de liquider purement et simplement celui du Sénat. Le groupe écologiste du Sénat serait-il une victime collatérale du remaniement, ou était-ce aussi l’un des buts recherchés par Hollande?
Les écologistes de Hollande en mesure de faire avancer le moindre chantier?
Le petit mécano de François Hollande tiendra-t-il la route ? Quand on voit où en est sa popularité, et dès lors qu’on n’imagine plus qui pourrait désormais empêcher l’émergence d’un(e) candidat(e) écolo à la présidentielle (en sus de celle de Mélenchon), comment pourrait-il bien se retrouver au second tour ? Machiavel à la petite semaine, il s’est contenté de flatter les égos faibles de trois écologistes qui, une fois intégrés à l’exécutif, ne risquent pas de faire avancer les grandes chantiers indispensables à la sauvegarde de la planète et de ceux qui l’habitent. Quant à nommer Emmanuelle Cosse au poste autrefois occupé par Cécile Duflot, ce n’est plus du machiavélisme à la petite semaine. Juste un petit jeu pervers qui n’honore guère celui qui s’y livre.
Au mépris de toute volonté authentique de changement et de toute recherche d’efficacité, le Président de la République met en place un exécutif aux marges de manœuvre forcément limitées. Les budgets ont déjà été votés, je ne vois guère que ses ministres puissent aller très loin dans leurs initiatives. L’arrivée d’Emmanuelle Cosse ne fera pas construire aux maires davantage de logements sociaux, ni n’apaisera les milieux de l’immobilier, qui espèrent, à 14 mois des élections, une certaine stabilité. Le texte de loi sur la biodiversité étant déjà transmis à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, Barbara Pompili, sous-secrétaire à la biodiversité, ne devrait pas crouler sous le poids de sa tâche. Quant à Jean-Vincent Placé, nommé à la Réforme de l’Etat, il pourra se reposer du travail harassant qu’il a fourni au Sénat. Je ne doute pas qu’il continuera de serrer beaucoup de mains, mais dans les 14 mois qu’il reste, il va réformer l’Etat? Qui peut l’imaginer?
D’un divertissement à l’autre
Après avoir tristement diverti le pays avec son projet de constitutionnalisation de l’état d’urgence et de la déchéance des binationaux, alors que les dispositifs ordinaires déjà inscrits dans nos textes suffisaient amplement, François Hollande ne devrait avoir qu’un objectif: revenir à la raison, restaurer l’état de droit, sauvegarder nos libertés. Pourquoi s’obstiner à graver dans le marbre un régime d’exception dont les résultats chiffrés sont douteux et les dérives réelles ? Pourquoi persister, sans le dire, à stigmatiser les binationaux, à diviser la Nation, à jouer avec un symbole -celui de la déchéance de nationalité- qui réveille les vieux démons de notre histoire et blesse tant de nos concitoyens?
L’unité nationale dont on s’est gargarisé est morte. Et la lutte contre le terrorisme, phénomène redoutablement complexe, a besoin d’autres armes. L’exécutif a préféré escamoter la triste réalité économique et sociale dans laquelle est plongé notre pays, tirer parti de l’émotion et du deuil engendrés par les tragédies de janvier et de novembre 2015, que de se donner les moyens d’assurer une réelle sécurité aux Français. Ne serait-ce déjà qu’en réformant les services du renseignement. Et en faisant baisser le chômage qui gangrène la société française et assure les succès du FN.
Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, un nouveau sujet de divertissement – au sens pascalien – est né: le référendum pour ou contre la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ce soi-disant préalable à l’entrée au gouvernement de l’ex-secrétaire nationale d’EELV. Lors de son interview télévisée de jeudi soir, le Président Hollande en a fait mention sans qu’on sache quelle était l’assise juridique d’une telle initiative, quel en serait le périmètre, qui participerait au scrutin, etc. Voilà de quoi occuper nos écrans et les ondes pendant des semaines… L’idée étant de gagner du temps, et d’occulter une fois de plus les vrais problèmes. Un Président de la République n’est donc pas en mesure de trouver une issue raisonnable à un projet déraisonnable et parfaitement anti-écologique ? J’aime assez l’idée de Jean-Marc Ayrault, rêvant de son aéroport, et d’Emma Cosse, rêvant de le lui saborder, se regardant en chiens de faïence tous les mercredis matins en Conseil des ministres…
L’écologie, encore et toujours
Ce nouveau gouvernement tactique, bricolé à la va comme je te pousse, chaperonné par un Premier ministre néoconservateur, ne risque pas de faire des étincelles. Ce ne sont sûrement pas trois écolos piochés au sein de la gauche molle qui vont faire bouger les lignes. L’orientation est à droite, et va le rester. Comment ne pas se désoler que des écologistes n’aient pas su résister à l’attrait des ors de la République et avoir la hauteur de vue – et les convictions – d’un Nicolas Hulot?
Certes, EELV sort affaibli de ces manœuvres et de ces départs, même s’ils ne sont pas aussi nombreux que certains ont voulu le faire croire. Le temps est venu de faire un diagnostic clair et précis des problèmes de fonctionnement institutionnel, de dialogue interne, de solidité des projets, pour faire renaître une vraie dynamique avec des jeunes et des moins jeunes. Ce parti, qui a tout de même produit ces écologistes prêts à tout pour le pouvoir et ses mirages, doit retrouver ses convictions, sa volonté de sauver la planète et d’améliorer la société, sa générosité et son sens de la solidarité.
Le monde a plus que jamais besoin d’écologie. EELV doit être là, très vite en ordre de marche, pour répondre à ce besoin. Et cesser de n’être pour certains qu’un tremplin rapide pour se placer en politique. Nous devons à nos électeurs et cette mise en question et ce renouveau. Les « petits » partis ont un rôle vital à jouer pour la démocratie. Et quel que soit le désamour des Français pour les partis, y compris ceux de gauche, mis à l’épreuve pendant le mandat du couple Hollande-Valls, nous avons le devoir de nous reprendre, de nous démocratiser, et repenser la politique sous des formes plus flexibles, en phase avec les aspirations de la population, qui souhaite le vrai changement et un avenir qui ne serait pas pris en otage par des politiciens hors sol et les technocrates qui les entourent.
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