Vu du Sénat # 72 – L’exécutif, les réfugiés et le Parlement (Le Huffington Post, 29 septembre 2015)

Lettre ouverte à M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur.

Monsieur le Ministre,

Nul, s’il n’est pas de mauvaise foi et s’il n’est pas dupe, ne devrait le nier. Notre exécutif n’a pris, sur la question des réfugiés, le virage que l’on sait qu’après la parution de la photo de cet enfant syrien retrouvé mort noyé sur une plage turque et après la décision d’Angela Merkel, portée par sa population, d’accueillir en un week-end le nombre de migrants que nous-mêmes comptons grosso modo accueillir sur deux ans.

Retard à l’allumage

Qui osera contester que jusque-là l’exécutif n’a pas cessé de se dérober, d’atermoyer, intériorisant les diktats de la droite et du FN, auxquels la confusion entre migrants économiques et réfugiés sert de fond de commerce politique? Le PS lui-même, comme le pouvoir, s’est éveillé avec un retard consternant. Même un hebdomadaire de gauche comme L’Obs s’est longuement fait l’écho de ce manquement dans son numéro daté du 24 septembre dernier.

Où étaient-ils donc, ceux qui aujourd’hui nous font la leçon, pendant le triste épisode de La Chapelle lorsque les expulsés cherchaient un point de chute, lorsqu’on les chassait de la Halle Pajol du XVIIIe arrondissement de Paris à grand renfort de policiers? Où étaient-il donc, après des mois d’abandon ou de mépris, quand il s’agissait d’alléger le sort de ceux de la Mairie du même arrondissement, de ceux d’Austerlitz, de ceux de Saint-Ouen? Les policiers furent souvent plus nombreux que les réfugiés à disperser…

Ce sont les associatifs, les voisins, les jeunes bénévoles, des élus écologistes, des militants du FG, des communistes, etc., qui, les premiers, et d’abord les seuls, ont tenté de parer au plus pressé: protéger, nourrir, habiller. On n’a pas vu alors beaucoup de militants ou d’élus socialistes pointer leur museau. Quant aux membres du gouvernement, mieux vaut n’en rien dire. Et à Calais, l’inoubliable Calais, qu’a-t-on fait? Au mieux, du colmatage.

Qui peut s’étonner, hélas, que les candidats à l’asile ne souhaitent pas, dans leur écrasante majorité, venir en France, un pays où ils sont traités comme de vulgaires intrus dont on craint qu’ils prennent la place de « nos » pauvres? Ces réfugiés souvent diplômés, ayant un métier, savent que leur avenir n’est pas chez nous et affluent par milliers en Suède et en Allemagne, un pays qui, pour cette raison même, a dû ralentir le tempo de l’accueil.

M. Cazeneuve se paie une sénatrice

Ce fameux 16 septembre au soir, lors du débat en hémicycle sur cette douloureuse question, face aux regrets, aux reproches, au sourd désespoir aussi que j’ai pu exprimer (voir la vidéo de l’intervention d’Esther Benbassa), à court d’arguments, blessé sans nul doute par le rappel d’une impéritie qui un trop long moment a déshonoré la France, vous n’avez rien trouvé d’autre à m’opposer, Monsieur le Ministre, que l’insulte et l’humiliation publique (voir la vidéo de l’intervention de B. Cazeneuve, à partir 8’25 »). Je n’étais rien de plus, à vos yeux, qu’une marionnette télévisuelle, trop heureuse de courir les plateaux, d’y débiter des inexactitudes, voire des mensonges, et de faire avancer mon petit plan de com’ personnel sur le dos de personnes en détresse…

On sait que tout exécutif nourrit inconsciemment le rêve secret d’être débarrassé du législatif. Et ce qui est vrai du Parlement en général, l’est plus encore du Sénat en particulier, un Sénat qui a en outre eu le mauvais goût de basculer à droite. Hélas, la Constitution veille, et le respect de la démocratie impose ce passage forcé, un peu désagréable parfois, devant les élus de la Nation. Je ne doute pas un instant que certains – pas tous, fort heureusement – des membres de ce gouvernement préféreraient consacrer tout ce temps perdu en hémicycle… à soigner leur com’, justement, et leur image. Si on leur laissait cette liberté, on ne les verrait pas, comme trop souvent lorsqu’ils viennent en séance, tripoter nerveusement leur smartphone ou leur tablette au lieu de prêter attention aux discours des parlementaires. Spécialement lorsque ceux-ci n’ont pas le doigt sur la couture du pantalon.

Ce fameux 16 septembre, donc, M. le Ministre, vous avez piqué une colère. Dénigrant grossièrement mes propos, préparés pourtant par des heures de lectures et un véritable travail de terrain, vous m’avez donc décrite ainsi que je viens de le rappeler, sans ménagement, devant mes collègues, et devant les caméras de Public Sénat. Non content de me reprocher de squatter les télés, vous m’avez en outre reproché de théoriser dans la presse, à longueur de colonnes, sur ce « Waterloo moral » qui vous irrite tant (oubliant que la formule n’est pas de moi, mais de Cécile Duflot, mais un ministre bavard et trop heureux de parler n’est pas à ces détails près, je suppose). Je ne sais pas si vous avez le loisir de regarder la télévision, ou de lire les journaux. Sans doute pas. Parce que vous ne m’y auriez assurément pas trouvée si présente que vous le dites. Infiniment moins que vous, en tout cas! […]

 

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