L’exécutif se met en quatre pour nous convaincre de sa bonne volonté, mais il ne semble capable que de produire des demi-mesures. Les Français n’en ont de toute façon rien à faire, de cette agitation. Ils sont blindés.
C’est le désamour depuis longtemps entre eux et les politiques. Ils ne leur font plus confiance. L’extrême droite a su instiller son populisme: « tous pourris ». L’individualisme de nos concitoyens était bien connu. Désormais, avec la vogue de la démocratie participative, chacun s’imagine évidemment capable de mieux faire que le gouvernement, que les parlementaires, que les élus.
Nos chauffeurs de taxi sont renommés pour leur capacité à saisir le climat du moment, inséparables de leur propre mauvaise humeur chronique… A chaque course, ils vous refont le monde et vous défont le moral. Et si par malheur vous leur dites que vous travaillez au Sénat, c’est parfois tout juste s’ils ne vous font pas descendre…
Manuel Valls et la gauche frileuse
Rien à faire, les promesses du gouvernement n’empêchent pas la grogne de monter. Les sondages sont en berne. Il n’y a que Manuel Valls à sortir la tête de l’eau. Nous aimons les hommes forts, c’est sûr… Vestige de notre aliénation passée. Je vous le dis, nous avons besoin d’un vrai flic à notre tête. Comme « premier flic de France », d’ailleurs, il a l’air plutôt bon. En tout cas, c’est l’idée que nous en avons. Mais il ne s’arrête pas là. Car pendant que notre gouvernement s’évertue à se montrer démocrate et bienveillant, lui, Valls, dit non à tout. Construirait-il son petit Etat dans l’Etat ?
Bientôt, c’en sera fini des consultations interminables. Le doigt sur la couture du pantalon. Les sondages commenceront enfin à être bons. Le gouvernement cessera de tanguer. On l’a bien vu, jusqu’ici, il a enfilé les couacs comme on enfile des perles. Lorsque les uns disent oui à une mesure, les autres disent non. Oui, le gouvernement a besoin d’un bon -d’un vrai- capitaine. Hollande l’a compris. Il a besoin d’un Valls pour tirer les oreilles des ministres pas sages, et pas d’un Ayrault, pour le coup beaucoup trop sage… Est-ce que ça ira mieux? Honnêtement, je n’en ai pas la moindre idée.
Ce gouvernement bien brave, pour commencer, devrait rompre avec le triste régime des demi-mesures. C’est là que le bât blesse. Ces demi-mesures témoignent de la frilosité d’une gauche qui a l’œil tourné vers les prochaines échéances électorales. Normal, me direz-vous, c’est ça la politique. Puis-je avouer que j’ai envie de vous répondre non ? Nous avons voté pour une gauche inventive, courageuse, qui nous avait fait croire, tout au moins, qu’elle le serait. Les Français ont envie de changement, et sans courage, il n’y a pas de changement. Sans engagement fort, il ne faut pas s’attendre à ce que le peuple retrouve la foi.
Notre gouvernement est celui du oui-mais. C’est ainsi que même les promesses électorales de Hollande ne sont réalisées qu’à moitié. Dans ce gouvernement, il n’y a que Valls qui semble avoir des convictions, ou qui du moins les affiche sans faillir. Y compris la conviction de dire non aux promesses de Hollande. Il faut vraiment le faire ! Ni Dieu ni maître ! Plutôt à droite qu’à gauche ! Avec tout ce que je dis de lui, je n’ai pas beaucoup de chances d’être réélue ? Tant pis. Même au Sénat, l’enthousiasme n’est plus de mise. Nous avons l’impression de traîner des pieds. Et moi, j’ai encore tant de projets à faire passer pour contribuer – un peu – au changement.
Demi-mesures
Je critique ce gouvernement parce que je l’aime bien. Valls y compris, d’ailleurs. J’y avais cru. J’y crois encore. Qui aime bien, châtie bien, dit-on. Mais jusqu’à quand va-t-on persister dans cette indécision ? Je vais vous donner quelques exemples.
Les Roms, pour commencer. On a produit une mesurette sur leur droit au travail et au logement, mais celle-ci est tellement insignifiante, tellement en deçà des besoins, de la dureté du réel, qu’elle ne règle évidemment rien. Dans deux semaines, nous allons essayer, nous, écologistes du Sénat, de marquer le coup, en essayant de faire voter une proposition de résolution. Ca ne sera sûrement pas facile.
Autre exemple, la future loi sur le mariage entre personnes du même sexe. Le gouvernement fait là encore un service minimum. Mariage et adoption, et quelle adoption… Rien sur la procréation médicalement assistée promise par Hollande, rien sur l’inscription dans l’état civil des enfants nés de la gestation pour autrui à l’étranger, rien sur les parents sociaux ou beaux-parents. On auditionne les associations, mais on ne les écoute pas.
Idem pour le vote des étrangers non européens aux élections locales. Une proposition de loi a été votée au Sénat l’année dernière. Seul un référendum peut trancher définitivement le débat, à moins de convoquer les deux assemblées en congrès, et de se battre pour obtenir une majorité des 3/5e (il manquerait à ce jour une trentaine de voix). Mais le projet semble renvoyé aux calendes grecques. Bientôt les élections municipales… A-t-on besoin d’effrayer nos concitoyens avec une idée saugrenue capable de faire perdre des voix aux socialistes?
Même scénario pour la lutte contre le contrôle au faciès. Je participe ce lundi à un séminaire organisé par le Défenseur des Droits sur les expériences de récépissé menées à l’étranger. Nous attendons de lui un rapport important. Mais pour quoi faire? On nous laisse en effet clairement entendre que tout est déjà plié: pas de récépissé en vue dans notre pays!
Dernière frayeur. Vendredi dernier, le Conseil constitutionnel annulait, à la suite d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité), le carnet de circulation jusqu’ici imposé aux gens du voyage touchant le RSA, carnet qui devait être visé tous les trois mois. Mais le Conseil jugeait conformes à la Constitution tous les autres livrets de circulation qui font des gens du voyage des citoyens de seconde zone. Rappelons-le, ceux-ci ne sont pas des Roms. Français comme tous les Français, ils sont nos compatriotes et nos concitoyens. J’ai rêvé un moment que je n’aurais peut-être plus besoin de me battre pour faire aboutir la proposition de loi que j’ai déposée, pour le groupe écologiste du Sénat, en juin dernier, visant à l’abrogation de toutes les pratiques discriminatoires qui les frappent. Je ne rêve plus, évidemment, il va bien sûr falloir se battre. Nous avons un gouvernement que la demi-mesure des Sages pourrait bien définitivement satisfaire…
Encore un effort…
Tout est comme cela, ou presque. Les réformes sociétales ne coûtent pas un centime, mais on recule quand même. La liste serait longue à établir de ces petits calculs politiciens qui empêchent parfois les plus convaincus d’entre nous d’agir. On court d’états généraux de la démocratie territoriale – par ailleurs très instructifs sur les doléances d’élus locaux en attente d’un vrai statut, aspirant à davantage de parité, à la mise en place de modalités de scrutin permettant à plus de femmes et à plus de personnes issues de la diversité d’accéder à la gouvernance – en réunions et consultations en tous genres. Mais nous peinons bien souvent à entrevoir sur quoi tout cela pourra bien déboucher…
La semaine prochaine, nous entrons dans l’ultime phase de prise de tête autour du traité européen, ce TSCG que les Français ont renoncé à comprendre. Débats, polémiques vont redoubler. Les votes seront examinés à la loupe. Les brebis galeuses -les nonistes- ne vont pas être à la fête. Et pourtant, on a beau être un(e) Européen(ne) convaincu(e), on n’a pas vraiment le cœur d’acquiescer, au contraire. Cet horizon d’austérité, imposé à tous les pays de l’Union en ces temps de crise, peut faire craindre le pire.
Hollande avait-il donc besoin de reprendre à son compte les grandes idées de son prédécesseur, que ce soit sur le plan européen, ou sur le plan économique, ainsi en prévoyant une baisse massive des charges pour favoriser la compétitivité des entreprises ?
Allez, le gouvernement, changez un peu de ton et de stratégie. Nous avons hâte de vous suivre, de nous requinquer nous-mêmes au spectacle de votre énergie et de votre audace. En un mot, faites-nous du Valls, mais à votre manière. En positif. Le gris nous sape le moral, revenez vite au moins au rose, qui vous allait si bien. Encore un effort. Un grand effort, même.