Vu du Sénat # 6: racismes décomplexés (Le Huffington Post, 01/10/2012)

« Pas de semaine sans son lot de polémiques franchouillardes et de racisme banalisé. Nous apprenons l’indifférence qui, elle, représente un vrai danger. Nos hommes et femmes politiques de tous bords nous y engagent par leurs actes et leurs paroles « décomplexés », pour reprendre le mot-clé du titre du dernier ouvrage de M. Copé, Manifeste pour une droite décomplexée. Est-ce l’extrême droite qui a fait sauter le verrou ? La droite non plus n’a pas manqué le rendez-vous sur cette nouvelle tendance. On ne se gêne plus pour dire ce qu’on pense, même et surtout lorsqu’il s’agit de ces mots connotés par une longue et sinistre histoire, ce qui n’est certes pas à l’honneur de notre pays.

Briseur de tabou

M. Copé, candidat à la présidence de l’UMP, semble se préparer sans le dire, voire en le niant, à une alliance, dans les années à venir, avec l’extrême droite. Il ne manque aucune une occasion de tenir des propos qui, en fait, le ridiculisent. Nous connaissions bien, déjà, ses grandes idées sur l’immigration, sur l’islam et la laïcité, sur notre identité nationale. Cette fois, il franchit un seuil de plus, n’hésitant pas à écrire : « Je sais que je brise un tabou en employant le terme de ‘racisme anti-Blancs’ mais je le fais à dessein, parce que c’est la vérité que vivent certains de nos concitoyens et que le silence ne fait qu’aggraver les traumatismes ». Et l’on se prend soudain à espérer que ce livre, ce n’est pas lui qui l’a écrit, ce qui ne serait pas une première dans le monde politique.

Quel manque de discernement ! Un peu de recul, un minimum de conscience historique auraient suffi à arrêter M. Copé sur cette mauvaise pente. En général, ce sont les dominants qui peuvent se permettre la négation de ceux qu’ils considèrent comme inférieurs. Or dans l’histoire dont nous sommes les héritiers, les dominants, ce sont les « Blancs ». Et pour le moment, à ma connaissance, ce ne sont pas les « Blancs » qui ont été la cible d’une idéologie raciste justifiant l’esclavage ou la colonisation. Sauf à considérer, bien sûr, comme l’extrême droite, que notre pays serait à son tour victime d’une colonisation qui ne dirait pas son nom…

Démagogie à bon compte

S’il existe bien aujourd’hui, en France, une rancune envers les élites dominantes, qui ne laissent pas de place à ceux qui ne peuvent exhiber un certificat d’origine française garantie à 100%, et si cette hostilité déborde parfois, de manière indifférenciée, sur les « gens du cru », parler d’un racisme anti-Blancs et le mettre ainsi en exergue revient à tenter d’inverser le sens du vent pour mieux occulter la réalité. En fait, M. Copé reprend à son compte la terminologie d’une extrême droite coutumière de ce genre de tours de passe-passe.

Quand bien même on peut admettre et reconnaître le développement d’une telle hostilité « anti-Blancs », du côté de certains des citoyens de seconde zone de notre pays, que représente-t-elle donc par rapport à celle qui s’exprime à leur endroit continuellement, avec la cohorte de discriminations qui l’accompagne au jour le jour ? Demandons-nous quel terreau la fabrique. Il ne s’agit certes pas de la laisser passer. Au contraire. Mais tâchons d’abord de la comprendre. Elle prend racine dans une marginalisation qui engendre le repli, la rancœur, le retrait progressif de la nation. M. Copé, en l’occurrence, pratique la démagogie à bon compte. Depuis quand, tout de même, la majorité d’une nation souveraine subirait-elle racisme et infériorisation de la part d’une minorité étrangère ou descendante d’étrangers ?

Franchement, M. Copé va finir par nous faire pleurer. Il peut certes se prévaloir de l’exemple d’illustres prédécesseurs, tel Alain Finkielkraut, qu’il prend à témoin. C’est peut-être la mixité de l’habitat durement vécue à Saint-Germain-des-Prés qui a fondé l’analyse inquiète de notre philosophe préféré… Pas sûr que ce soit là une bonne caution pour M. Copé, ni le signe d’un minimum d’égard pour les habitants de la commune de Meaux dont il est le député-maire. De telles sorties ne sont pas de nature à contribuer à cette solidarité qui nous ferait un peu mieux supporter les effets de la crise. Elles ne font qu’envenimer une atmosphère déjà suffisamment lourde.

Marseille, ville de pogrom ?

Songeons seulement à cette expulsion d’un camp de Rroms et à l’incendie de leurs effets par des riverains du 15e arrondissement de Marseille ! Le discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble, à l’été 2010, les démantèlements menés tambour battant par M. Valls, pendant l’été 2012, ont ouvert un boulevard au pire.

Désormais, les habitants se font justice eux-mêmes. Et ils se le permettent parce que les Rroms ont fini par être déshumanisés. Ils ne sont pas comme nous et ils sont affublés de toutes les tares, nous avons donc le droit de faire avec eux ce que nous voulons. Ils sont les lépreux modernes. Les victimes, c’est nous, pas eux (dirait sans doute M. Copé).

Aucun Français ne se serait jamais autorisé à agir ainsi avec un autre étranger ressortissant de l’Union européenne. L’idéologie anti-Rroms a fait son chemin dans les esprits et le passage à l’acte a paru, à certains, naturel et indispensable. Où allons-nous? Ces riverains ne méritent-ils pas de passer devant un tribunal pour rendre compte d’une telle action ? Si rien n’est fait pour rétablir le droit, l’affaire de Marseille ne pourra que se répéter ailleurs.

Samia Ghali, la sénatrice et maire PS des 15e et 16e arrondissements de Marseille, qui avait appelé fin août à un recours à l’armée dans les cités pour lutter contre la criminalité, demande maintenant au sénateur-maire UMP de la cité phocéenne, Jean-Claude Gaudin, d’apporter de toute urgence « une réponse » à ses habitants. Au lieu d’exhorter les riverains à respecter la loi, elle préfère déclarer que « ces squats totalement illégaux entraînent de nombreuses nuisances pour l’ensemble des riverains, notamment en matière d’hygiène et de sécurité sanitaire ». Certes. Mais fallait-il donc qu’elle ajoute que « la procédure d’expulsion des campements illégaux », dans le cas d’un « flagrant délit » (moins de 48 heures après leur installation), se serait « alourdie » après la mise en place de la circulaire interministérielle du 26 août sur la gestion des campements illicites ? Ce qui revient à dire que les riverains, en fait et à bon droit, se sont fait justice eux-mêmes pour abréger les délais qu’implique le respect de la procédure légale d’expulsion…

Franchement, je n’arrive plus à distinguer ma gauche de ma droite… »