Vendredi dernier, en cette veille du grand week-end pascal, ma collègue Laurence Abeille, députée de la 6e circonscription du Val-de-Marne, et moi-même, nous avons usé de notre droit de visite -et de visite-surprise en l’occurrence-, au Centre de Rétention Administrative (CRA) de Vincennes.
Les CRA
Les CRA ont été créés en 1984 par le Président François Mitterrand pour mettre terme aux rétentions illégales pratiquées dans les commissariats, dans les prisons, voire dans des hangars comme au port de Marseille. La rétention administrative, quant à elle, permet de maintenir dans un lieu fermé un étranger non européen en situation administrative irrégulière au regard de la législation sur le séjour et sous le coup d’une mesure d’éloignement, dans l’attente de son renvoi forcé.
La rétention est décidée par l’administration, puis éventuellement prolongée par le juge, lorsque le départ immédiat de l’étranger hors de France s’avère impossible. Elle est en général limitée à 45 jours. La moyenne de séjour dans ce genre de lieux est de 16 jours, et environ 20% des détenus sont finalement expulsés. Les autres sont libérés, faute, pour l’administration, d’avoir pu procéder à leur expulsion, ou suite à l’annulation, par le juge administratif, de la mesure de rétention ou d’éloignement.
Entrée interdite aux journalistes
L’entrée des journalistes, je le rappelle, n’est pas autorisée dans les CRA. Et en fait, on ne sait pas grand-chose sur ce qui s’y passe. Raison de plus pour que des élu(e)s, qui le peuvent, s’y rendent.
Le CRA de Vincennes est situé dans l’École de police, dans le parc même de la ville. Le passage y est rare. Quelques membres d’associations qui viennent en aide aux détenus sont à l’entrée. Après les contrôles d’usage, un policier bon enfant et souriant accepte de nous faire visiter les différents bâtiments, à la place des responsables du Centre, retenus ce jour-là par une réunion à la Préfecture.
On arrive au bâtiment 1, le plus vétuste. Des policiers nous suivent, nous ouvrent des portes qu’ils referment immédiatement, le son assourdissant d’une télé que personne ne regarde nous accueille. Les chambres minuscules, délabrées, pour quatre personnes, avec des lits superposés, sont vides.
Des « retenus » hébétés
Les détenus traînent dans les couloirs ou dans un espace de promenade à l’herbe pelée, se plaignant de leur inactivité forcée. La majorité serait de nationalité tunisienne. Il n’y aurait pas de mineurs. Il n’y a pas non plus de femmes, celles-ci étant rassemblées ailleurs, dans des centres pour femmes.
Pas d’agressivité envers les policiers de la part des détenus, mais une forte envie de nous parler, pour évoquer l’injustice à laquelle ils sont confrontés, nombre d’entre eux étant en France depuis de nombreuses années. D’autres nous racontent qu’ils reviennent ici tous les ans ou tous les deux ans, pour être finalement libérés, non sans avoir perdu, tout de même, en prime, l’emploi au noir qui les fait vivre.
Il y a les visages tendus de ceux qui disent leur peur de dormir la nuit dans ces chambres exiguës et d’être attaqués par d’autres détenus, dont plusieurs souffrent visiblement de troubles psychiatriques.
On a la nette impression que certains de ces derniers, à force de se voir administrer des calmants, ont sombré dans un état quasi léthargique. D’autres reviennent, dans une répétition obsessionnelle, sur leurs bobos mineurs, un nez qui coule, des aphtes autour de la bouche, etc. L’atmosphère est délétère.
Isolement et ignorance
Certains étrangers n’arrivent même pas à s’exprimer en français. Isolés, ils ne sont pas au courant des procédures susceptibles de déboucher sur une régularisation. Ils se sont fait arrêter à une sortie de métro ou à un coin de rue. Ils sont complètement perdus dans ce lieu peu propice à trouver des solutions pour vivre légalement sur notre sol.
Les bureaux de l’ASSFAM (Association Service Social FAmilial Migrants), qui a remplacé la Cimade dans ce lieu, sont vides le jour de notre visite. Cela nous étonne un peu, ma collègue députée et moi-même. Si cette association renseigne les détenus sur leurs droits en rétention, les aide-t-elle à connaître et à lancer à l’extérieur, le cas échéant, les démarches utiles à leur régularisation? Une chose en tout cas nous a frappées toutes les deux: l’ignorance complète, sur ce point, dans laquelle se trouvent certaines personnes.
Une humiliation gratuite
Nous quittons le bâtiment 1 avec l’impression qu’on fait subir à ces étrangers irréguliers un enfermement et des souffrances parfaitement inutiles, puisque 80% sont en fin de compte libérés, en attendant un autre séjour, au même endroit, un peu plus tard.
Aucun moyen de distraction, même minimal, pour ces hommes dans la fleur de l’âge, dont le seul crime est de ne pas avoir de papiers de séjour en règle. Nous n’avons pas croisé beaucoup de terroristes… Seulement des gens gratuitement humiliés, ne se plaignant même pas de l’attitude des policiers à leur égard, allant jusqu’à dire qu’ils sont plutôt gentils avec eux.
Nous sortons de là avec, en mémoire, l’image des larmes d’un jeune de couleur, arrêté simplement parce qu’il n’avait pas sur lui ses papiers de séjour italiens. On les lui avait apportés par la suite. Mais il continuait à séjourner au CRA. Finalement, en intervenant auprès de l’administration, nous avons appris que son billet de retour pour l’Italie était là. Et qu’il partirait, conformément à sa demande et en toute légalité, le samedi matin. Mais lui se morfondait toujours, n’ayant à ce moment-là encore aucune information à ce sujet.
Lutte contre l’immigration irrégulière?
Le deuxième bâtiment visité est en meilleur état, construit en dur, doté d’une salle à manger, de salles de douche correctes, et de chambres pour deux. L’atmosphère y est beaucoup moins pesante. Là aussi, un espace grillagé est aménagé pour se promener. Aucune occupation possible, une oisiveté programmée. Pendant qu’un ouvrier extérieur répare la toiture d’un autre bâtiment, un détenu s’excuse presque, à travers le grillage, de ne pas pouvoir l’aider dans sa tâche. C’est clair, lui-même n’attend qu’une chose: sortir et reprendre son propre travail.
Le service administratif assure de bonne foi distribuer aux détenus, tout au moins en arabe, un texte récapitulant leurs droits pendant la rétention. Mais rien, bien sûr, sur les formalités à remplir, à la sortie, pour régulariser leur situation, s’ils y arrivent. Ma collègue et moi entendons bien interpeller à ce sujet le nouveau ministre de l’Intérieur, M. Bernard Cazeneuve.
Tiens, ce sera même l’occasion de lui demander s’il entend abroger la scandaleuse circulaire du 11 mars dernier (« Objet : Lutte contre l’immigration irrégulière – priorités 2014« ), signée de la blanche main de son prédécesseur (devenu aujourd’hui son patron), et qui a tant choqué les associations…
La honte de la gauche
Ces lieux quelque peu abandonnés, qui servent à parquer, un bref moment, les « indésirables » de la République, s’ils infligent à ceux-ci une souffrance bien réelle, ne sont en fait rien de plus qu’un artifice. Simple et vaine parade sécuritaire destinée à rasséréner ceux qui voient dans chaque sans-papiers un éventuel terroriste ou un voleur potentiel. Quand ce sont souvent les mêmes qui font les menus travaux chez nous, travaillent dans les entreprises du bâtiment, dans les cuisines des restaurants, etc. Clandestinement, et à bas prix.
Quelle folie de « retenir » (pour la forme?) ces étrangers non européens, vivant et travaillant souvent depuis plusieurs années en France, dans ces lieux d’enfermement et d’humiliation inutiles! Assez de ces simulacres dont le maintien n’a même pas aidé les socialistes à s’attirer les faveurs de la droite et lui ont fait perdre, de surcroît, les voix d’une partie conséquente de la gauche!
Nous, la gauche, qui, pleins d’espoir, avons voté en 2012, nous espérons encore. Contre tout espérance. Supprimons ces centres de rétention absurdes qui coûtent cher, qui ne fonctionnent (heureusement!) pas à plein et ne peuvent rien contre le « délit » qui soi-disant les justifie! Dois-je encore enfoncer le clou? Presque 80% des détenus rassemblés dans ces CRA sont libérés et finissent par disparaître dans la nature. Ces CRA n’en sont pas moins la honte de la gauche.
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