Vu du Sénat # 55 – Reprise d’une vieille pièce à l’Elysée, avec Manuel Valls en jeune premier (Le Huffington post, 01/04/2014)

L’allocution de notre Président de la République, hier soir à la télévision, était grave, certes. Je n’y ai rien entendu, pourtant, qui puisse amorcer un réenchantement des Français.

Le « Catalan ambitieux » et le « Corrézien désavoué ».

Pacte de responsabilité, pacte de solidarité, baisse des impôts, baisse des charges… Pas de quoi rêver. Le plat n’avait pas vraiment la saveur de la nouveauté, on y percevait même les relents d’une ancienne cuisine.

Tout de même un peu d’écologie, oui, c’est vrai, mais juste une pointe, un nuage, au mieux un entremets. Une phrase contre l’exclusion et la stigmatisation, mais aussi, pour faire bonne mesure, contre les communautarismes. Les journalistes ont d’ailleurs à peine relevé, tant c’était discret. Deux mots étaient en revanche bien absents : égalité et discriminations.

Bien sûr, il y avait la bombe, même si elle avait déjà à demi explosé en fin d’après-midi : la nomination de Manuel Valls comme Premier ministre. Celui que les médias appellent, à mon avis avec une petite tonalité stigmatisante, le « Catalan ambitieux ». Tant qu’à être dans ce registre, autant nommer notre président de la République le « Corrézien désavoué »…

Comment François Hollande interprète-t-il le désaveu des urnes ?

La seule question qui se pose est de savoir si François Hollande a compris le message porté par la débâcle de ces deux derniers dimanches. Certes, la droite et l’extrême droite ont considérablement avancé, mettant KO les socialistes. Si l’on ne retient que cette partie du message, on comprend plus aisément que le Président ait recruté encore plus à sa droite. Est-ce pourtant bien la bonne réponse ?

Manuel Valls n’est pas un homme sans qualités. On ne lui reprochera pas son talent de communicant, son énergie, son autorité, sa popularité (un peu mitigée toutefois dans le PS même). On sera peut-être plus réservé sur sa ligne idéologique, sociale-libérale, droitière, appelons-la comme on voudra. Une ligne pas vraiment en phase avec le socialisme, mais qui, semble-t-il, le désignait comme un chef de gouvernement susceptible de redonner du baume au cœur des Français… de droite.

A quoi s’attendre dès lors ? A une nouvelle mouture, plus dynamique, plus tranchante aussi, de la politique droitisante menée par les socialistes depuis presque deux ans ? Mais faut-il donc continuer à gérer le pays les yeux fixés sur la droite et l’extrême droite ? On sait pourtant où ça mène : à la bérézina dans les urnes…

Le pacte de responsabilité, un cadeau de 30 milliards d’euros aux patrons, pour les encourager à embaucher ? Dans l’imaginaire du Président et de son entourage, c’est devenu le sésame, la baguette magique, un mantra, que sais-je encore ? On connaît pourtant la réponse du MEDEF. Les embauches tant attendues sont-elles vraiment garanties ? Avec tout cet argent, ce sont les ménages qu’il faudrait aider. La croissance est morte depuis longtemps, elle ne renaîtra pas. Les pansements, les rustines auxquelles on songe ne serviront à rien, si l’on innove pas, si l’on n’accouche pas de nouvelles formules économiques. La transition énergétique, par exemple, on en parle. Mais on fait quoi ? Alors qu’elle est susceptible de créer à elle seule quelque 300 000 emplois.

Quid des abstentionnistes ?

Le Président Hollande semble bien avoir fait l’impasse, en revanche, sur l’autre facette de la débâcle : la percée sans précédent du parti… des abstentionnistes. En moyenne, 36,3%, et dans certaines villes, plus de 50%. Beaucoup de ces abstentionnistes étaient jeunes, de gauche, issus des minorités, etc. Hantés par le chômage, certes, mais aussi attachés aux symboles, qui sont évidemment toujours plus que des symboles. Droit de vote des étrangers, lutte contre les contrôles aux faciès, question des Roms, politique migratoire, protection des clandestins scolarisés, réduction des inégalités, lutte contre les discriminations, décrochage scolaire, déblocage de l’ascenseur social, etc. Sur tous ces sujets, M. Valls n’est pas audible. Pire, son sécuritarisme autoritaire incarne tout ce que rejette cette gauche du terrain.

Les jeunes que j’ai rencontrés pendant la campagne me disaient qu’ils n’iraient pas voter parce qu’ils ne voyaient pas la différence entre la gauche et la droite. La verront-ils mieux avec M. Valls ? Il est permis d’en douter. En matière d’écologie comme en d’autres matières, M. Valls – en dépit de son indéniable autorité personnelle – fera ce que le Président lui demandera de faire, c’est la règle en cette cinquième République. Mais que veut le Président ? Réorienter la politique de son gouvernement vers plus de justice sociale, plus d’écologie, plus d’égalité, plus d’inclusion pour les habitants de ces quartiers, souvent descendants d’immigrés, qui ont justement gonflé les effectifs des abstentionnistes ?

M. Valls peut-il faire l’improbable synthèse susceptible d’enrayer à la fois la droitisation de la population française et le désamour, le profond sentiment de déréliction, des Français de gauche, ou sans appartenance politique claire?

Pourquoi les écologistes quitteraient-ils le gouvernement ?

M. Valls saura-t-il infléchir les orientations budgétaires du gouvernement précédent, qui ont découragé les Français? La baisse des charges de 30 milliards d’euros offerte aux entreprises, ajoutée à la réduction du déficit à 3% en 2015, produira nécessairement une baisse des dépenses publiques de 50 milliards d’euros et une augmentation de l’imposition des ménages… Le serpent se mordra la queue. Il a déjà commencé. Faut-il s’attendre à autre chose qu’à plus de chômage ? qu’à plus de précarité ? Et à moins de soutien encore, dans les urnes, aux socialistes ?

Les deux ministres écologistes ont renoncé à toute participation gouvernementale malgré une promesse de deuxième place pour Cécile Duflot dans le nouveau dispositif. On ne quitte pas le Château lorsque les conditions sont réunies pour gouverner comme le demande le peuple et pour satisfaire ses légitimes requêtes. Les discussions ont dû être âpres avant le départ. Le travail de ces deux ministres a été excellent. Mais le hollandisme vaut-il aujourd’hui qu’on s’y sacrifie ? Et l’avenir de l’écologie politique et du mouvement qui la porte n’est-il pas ici en jeu, quand celui-ci vient justement d’enregistrer un succès électoral ? C’est à raison que nos ministres ont placé leurs convictions au-dessus de tout – y compris de leurs propres intérêts.

Manuel Valls est-il écolo-compatible? C’est la grande question du jour. A laquelle, personnellement, j’en ajouterai une autre : est-il compatible avec la gauche, voire avec la gauche de son propre parti ? Si M. Valls ne manque pas d’atouts, je ne suis pas sûre qu’il ait la fibre de gauche (si je me fie à mon expérience de parlementaire), qu’elle soit sociale, écologique ou sociétale. Il n’est certes pas non plus tenu de persévérer dans cette voie. On le saura très vite. Lorsqu’il présentera son gouvernement et surtout son programme.

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