par Esther Benbassa, sénatrice EELV du Val-de-Marne, directrice d’études à l’EPHE (Sorbonne)
Ce 17 mars, le Président palestinien Mahmoud Abbas sera à Washington, en vue de l’accord-cadre pour les négociations de paix avec Israël dont la date butoir est le 29 avril.
Il y a peu de chances que ce délai soit tenu. Aucun des officiels que j’ai rencontrés lors du déplacement que j’ai effectué, du 1er au 7 mars derniers, à Jérusalem-Est et dans les territoires palestiniens, avec des collègues du groupe d’amitié France-Palestine du Sénat (je précise – on ne sait jamais ce qui pourrait m’être reproché – que je suis aussi membre du groupe d’amitié France-Israël) ne semblait croire qu’on pourrait aller si vite.
Un discours palestinien pacifié
Certes, pour preuve de leur bonne volonté, ces mêmes officiels déclarent à qui veut les entendre qu’on peut bien prendre encore quelques mois pour arriver à un accord viable. Maîtres incontestés de la langue de bois et ne rechignant jamais à revenir sur les mêmes thèmes ressassés, ils font le choix d’un ton pacifique, rejettent sans équivoque la violence et le terrorisme, appellent à l’établissement d’une paix durable entre Israël et une Palestine démilitarisée, et vantent les intérêts, pour les deux côtés, de cette solution à deux Etats.
Pour le jeune leader Sabri Saidam, conseiller du Président Abbas, même la question de Jérusalem pourrait se régler en transformant la ville sainte en zone démilitarisée ouverte à toutes les religions. Pour le futur plan de paix, il envisage jusqu’à la tenue d’un référendum auquel participeraient aussi la diaspora palestinienne et le Hamas, lequel, ayant brûlé ses cartes avec Damas et l’Iran, trouverait désormais son meilleur protecteur en Mahmoud Abbas. Sabri Saidam ne se braque pas sur l’impossibilité d’amener le Hamas à la table des négociations.
Pour lui comme pour ces jeunes hommes d’affaires brillants, formés en Angleterre ou aux Etats-Unis, le Fatah n’est plus un parti révolutionnaire, mais un parti de négociation. Lorsque j’ai évoqué le nom de Marwan Barghouti, détenu par les Israéliens, comme un possible futur dirigeant, ils ont froncé le sourcil. Pour eux, l’époque de la résistance armée est clairement révolue, il faut vite sortir de l’occupation et renouveler la classe politique.
La demande israélienne de reconnaissance de la judéité d’Israël les chiffonne bien quelque peu. Cette revendication ne figurait pas dans la feuille de route d’Oslo. Les leaders aguerris de l’Autorité palestinienne savent bien qu’elle sert à contrer la revendication d’un droit au retour des réfugiés palestiniens en Israël en cas de signature d’un traité de paix entre les deux parties. Mais même sur cette question, ils négocient à la baisse, déclarant que tous les réfugiés ne voudront pas rentrer chez eux et qu’une compensation financière pour les préjudices subis lors de la fondation de l’Etat d’Israël et de l’exode des Palestiniens, est bel et bien envisageable.
Cela dit, tous savent que l’échec éventuel des négociations rouvrirait la voie à la montée d’un nouvel extrémisme qu’aucune bonne volonté officielle ne pourrait arrêter. On ne peut toute de même pas dire aux gens « partez, on va construire des colonies, des checkpoints ; on ne va pas vous délivrer des permis de construire sur vos propres terres ; on va vous confisquer l’eau et la terre », et s’attendre à ce qu’après tout cela ils disent merci aux occupants…
Que peut faire Obama ?
Malgré l’aide apportée par l’Occident aux Palestiniens, la question palestinienne pâtit d’une occultation croissante, un phénomène que la guerre en Syrie n’a fait qu’amplifier. Si l’on a si peu parlé dans la presse de l’arrivée de Netanyahu, le 3 mars, à Washington, il n’y a guère de raisons qu’on parle davantage de celle de Mahmoud Abbas ce 17 mars.
A Ramallah, pourtant, où je rencontrais, début mars, des officiels palestiniens, le sujet de prédilection était bel et bien ce déplacement de Netanyahu et la relative détermination d’Obama à aller de l’avant. Sans excès d’optimisme cependant. Malgré les efforts déployés par John Kerry dans la région, les Palestiniens ne croient plus, en effet, dans la capacité des Etats-Unis à forcer la main des Israéliens pour faire aboutir un processus de paix. Ils se tournent vers l’Europe, lui demandent de faire mieux et plus. Mais l’Europe porte le poids de son histoire tourmentée avec les Juifs, le poids de sa culpabilité, qui l’empêche de hausser le ton face à Israël. Le nœud du problème est là, et les Palestiniens ne l’ignorent pas tout à fait.
Vivre en Cisjordanie
Certes, parler de paix paraît chose plus facile à Ramallah, ville en plein développement. L’aisance de nombre de ses habitants est patente. Les cafés et restaurants sont légion. Les femmes se promènent en tenue occidentale. Les constructions se superposent anarchiquement. Le trafic est dense. Une ville moderne, pleine de vie, avec des jeunes dynamiques, qui en ont assez et de la guerre et de l’occupation, et qui veulent s’amuser, profiter, construire, gagner de l’argent. N’oublions pas que Ramallah est située en zone A, laquelle comprend Gaza (aujourd’hui contrôlée par le Hamas) et les sept grandes villes palestiniennes de Cisjordanie, dont Jéricho, Bethléem et Naplouse, et où il incombe à l’Autorité palestinienne d’assurer la sécurité et l’administration. Une zone qui couvre 20% de la Cisjordanie et inclut 55% de sa population.
Au terme des accords d’Oslo (1995), le territoire palestinien a en effet été divisé en trois zones. La situation de la zone C (la Vallée du Jourdain, notamment), elle, est évidemment tout autre. Sous contrôle total d’Israël pour la sécurité et l’administration, elle représente la plus grande portion de terres (62%) et de ressources en Cisjordanie. Elle inclue les colonies israéliennes implantées en Cisjordanie et à Jérusalem-Est – soit 540 000 âmes – (celles de Gaza ont été démantelées en 2005) ainsi que la quasi-totalité des routes desservant ces colonies.
150 000 Palestiniens y vivent, dont 65% de réfugiés. 70% de cette zone restent inconstructibles pour les Palestiniens pour des raisons militaires ou parce que les terres sont allouées aux colons. 1% seulement de cette zone est planifiée pour le développement palestinien. Ceux qui construisent sans autorisation israélienne (94% des demandes ont été rejetées ces dernières années) sont déplacés ou leurs constructions démolies. Ajoutons que toutes les frontières se trouvent dans cette zone C, ce qui en fait une zone-tampon, très sensible, le contrôle israélien s’y révélant particulièrement rude.
Quant à la zone B, elle comprend la plupart des autres localités palestiniennes, couvre environ 28% du territoire de la Cisjordanie et abrite 41% de sa population. L’Autorité palestinienne y assume en théorie la responsabilité civile, Israël gardant un rôle prépondérant en matière de sécurité. Il s’agit d’une zone morcelée, d’une sorte d’archipel en Cisjordanie.
A quoi sert le mur ?
A ce démembrement, à cette fragmentation du territoire palestinien, s’ajoute le mur sinueux qui l’emprisonne. Encerclant les villes et villages palestiniens, enserrant la « Grande Jérusalem » messianique dans une sorte de bloc fortifié, le mur fini fera 708 km, soit plus du double de la longueur de la ligne verte qui séparait Israël de la Cisjordanie lors de l’armistice de 1949. 62% en sont déjà édifiés, 8% sont en construction, 30 % restent à l’état de projet.
A quoi sert-il vraiment, ce mur, lorsqu’on sait que quotidiennement quelque 50 000 Palestiniens passent en Israël clandestinement pour y travailler (outre environ 50 000 légalement) ? Une chose est sûre : il sépare impitoyablement les deux populations, plus qu’il n’endigue le terrorisme. Il est dressé jusque dans la tête des Israéliens qui finissent par oublier l’existence de ces Palestiniens qu’ils ne rencontrent plus du tout dans des villes comme Tel-Aviv.
A suivre