Vu du Sénat #51: République et « diversité »: le concours des vœux pieux est ouvert (Huffington Post, 17 février 2014)

Vu du Sénat #51: République et « diversité »: le concours des vœux pieux est ouvert

L’approche des élections contraint les grandes formations politiques à s’extraire de leur petite bulle nationaliste. Il s’agit de compter et de s’attirer, si possible, les voix qui pourraient venir à manquer : celles de la « diversité », par exemple.

« Diversité », mot cache-misère

La « diversité », bel euphémisme, mot cache-misère. On peut y mettre n’importe quoi, tant qu’il s’agit de ne rien faire. Mais de quoi, de qui parle-t-on là? De ces citoyens ordinairement occultés en raison de leur origine, prisonniers d’un plafond de verre que rien ne semble pouvoir briser. De ces invisibles de la Nation, qu’on appelle aussi parfois, drôle de paradoxe, les « minorités visibles ». « Visibles » quand elles dérangent. « Invisibles » en fait, lorsqu’il s’agit de politique. Du moins jusqu’à la veille des scrutins. Alors, soudain, tout le monde ouvre les yeux. Leurs voix sont précieuses, qui vont traditionnellement à la gauche, et qui, aux dernières élections, sont allées au Parti socialiste. Lequel, pourtant, une fois arrivé au pouvoir, ne s’est pas montré spécialement à l’écoute de ces électeurs-là.

Que ne s’est-on gargarisé de ces fameux cinq rapports, commandés en haut lieu, et, sitôt arrivés, enterrés à jamais ! Quant à celui du Conseiller d’Etat Thierry Tuot, pas musulman, lui, ni membre a priori d’aucune minorité visible, mais qui mettait le doigt sur les vrais problèmes, il y a belle lurette qu’il gît au fond du tiroir des rapports inutiles ! Notre cher exécutif les aime par-dessus tout ces rapports inutiles : ils servent à gagner du temps, et à sauver l’immobilisme qui, sur certaines questions du moins, semble être devenu son label. Dommage, vraiment, pour ce brave M. Tuot, qui avait au moins la décence de ne pas parler d’intégration pour ces générations de Français d’origine étrangère. Mais d’inclusion, le seul mot adéquat, et donc un mot qui fait mal.

Même l’UMP s’y met

Même l’UMP y va de son petit retournement de veste. On l’a pourtant connue très active, sous Nicolas Sarkozy, dans l’idolâtrie de l’identité française, et plus tard, sous Jean-François Copé, avec moins de sens du ridicule, dans la défense des pains au chocolat. Eh bien, ne voilà-t-il pas que l’UMP rêve maintenant de renouer avec l’électorat musulman ? L’occasion est trop belle : on ne va tout de même pas se laisser se perdre les voix de ces musulmans aux vues conservatrices en matière familiale, anti-PMA, anti-mariage-pour-tous, qu’on a vu défiler dans les rangs de la Manif pour tous.

Vite fait bien fait, M. Copé oublie ses incartades pâtissières passées, et va draguer du côté des musulmans. Mais les musulmans ont-ils à ce point la mémoire courte ? En politique politicienne, c’est vrai, tout s’oublie, et tout peut se répéter, l’éthique ayant perdu tout droit de regard. Mais M. Copé, cette fois, pourrait bien se tromper. Dans l’enquête RAPFI, les Maghrébins, leurs descendants, les Africains et les ultramarins étaient à 63% à se considérer à gauche, contre 37% du reste de la population. Ceux se déclarant de confession musulmane, dans cet échantillon, votaient à plus de 60% à gauche, contre seulement 57% de chrétiens.

Une feuille de route qui s’égare

Pas de raisons, pourtant, pour la gauche de s’imaginer s’en tirer comme ça. Ces minorités, la gauche au pouvoir les a largement déçues, et elle pourrait bien payer électoralement son manque d’engagement. Elles pourraient tout simplement grossir les rangs des abstentionnistes sans pour autant aller voter UMP ou FN. Et si la gauche au pouvoir continue à leur pondre des feuilles de route sur l’égalité républicaine et l’intégration comme celle du 11 février 2014, coquille vide, chapelet de vœux pieux, ces populations pourraient bel et bien changer d’orientation politique à moyenne échéance. Ou faire une nouvelle fois entendre leur voix dans le fracas d’émeutes populaires.

La feuille de route de M. Ayrault regorge de bonnes intentions (apparentes). Mais où sont donc précisés les moyens à réunir et les outils à mettre en œuvre pour permettre à ces bonnes intentions de modifier le réel ? Nulle part. Et n’est-il pas déjà parfaitement illusoire de vouloir apporter des remèdes à un phénomène dont on ne connaît pas l’exacte nature ni l’ampleur ? Combien sont-ils – et qui sont-ils donc – à être pénalisés par des discriminations liées à leur origine ? De quelle manière, enfin, le sont-ils ? On n’en sait rien, et on ne se donne pas le moyen de le savoir. Statistiques interdites. Voie grand ouverte à l’impressionnisme !
S’agissant de l’accueil et de l’accompagnement des nouveaux arrivants, question traitée dans la première partie de ladite feuille de route, on ne connaît pas non plus avec quelles ressources on pourra les financer. Une chose est sûre, pourtant : cet accueil et cet accompagnement ne dépendront plus du ministère de l’Intérieur, sage résolution qui met fin à l’absurde et nocif rattachement décrété sous l’ère Sarkozy. C’est toujours ça de pris. Mais au-delà ?

« Rien de nouveau sous le soleil »

Les mesures annoncées pour lutter contre le décrochage scolaire – notamment la coopération entre les parents et l’institution scolaire – relèvent d’une abstraction assez étonnante, comme par ailleurs les préconisations relatives au parcours professionnel. Décidément, comme disait l’Ecclésiaste, rien de nouveau sous le soleil…

Si on insiste sur la formation du personnel à l’égalité et contre les discriminations dans tous les domaines, de la santé au Pôle Emploi, on se demande combien de temps elle prendra. Et surtout combien de temps auront à attendre les discriminés avant de ne plus l’être. Le changement des mentalités n’est pas une mince affaire, c’est long, il faudrait y mettre toutes ses forces. Y est-on prêt?

Parmi ces belles idées vertueuses, celle d’avoir recours à l’interprétariat professionnel dans les lieux d’accueil d’étrangers est à creuser. Elle est déjà mise en œuvre dans de nombreux pays. L’évocation de la lutte contre la ségrégation urbaine (un quart de page) relève plutôt du babillage pour bisounours. La question des sépultures adaptées aux différentes confessions, elle, est d’ordre pratique et ne coûte pas un centime. Quant à l’accès égal à l’emploi, on doute fort de l’efficacité des remèdes éculés invoqués.

Dirai-je un mot de la lutte contre le contrôle au faciès ? La population de nos « périphéries », nos jeunes un peu « typés », comme on dit, attendaient des mesures fortes, comme la remise obligatoire d’un récépissé à chaque contrôle d’identité. On ne nous gratifie que de quelques mesurettes homéopathiques, dont l’application ne risque pas de changer beaucoup la situation actuelle. A noter, tout de même, et c’est un bon point, l’expérimentation annoncée en 2014, dans une dizaine de départements, d’une comptabilisation exhaustive et d’une analyse de la répartition et dans le temps des contrôles d’identité.

Enfin quelques gags !

Parmi les gags inattendus, le développement prévu de la Cité nationale de l’Histoire de l’Immigration, dont tout le monde s’accorde pourtant à dire que c’est un flop. Les visiteurs sont surtout des écoliers accompagnés, plus intéressés par l’aquarium tropical du sous-sol que par le musée abstrait au message brouillé qui s’est réfugié dans les étages.

Un petit paragraphe aussi sur la promotion de la diversité dans les médias. Pas très neuf. Et preuve que rien ne bouge. Un rapport sur le sujet avait déjà été remis, il y a un petit moment, à Yazid Sabeg qui, sous le régime précédent, dirigeait, je crois, un Commissariat à la Diversité et à l’Egalité des Chances – déjà rattaché à Matignon – qui n’avait même pas de budget pour imprimer des feuilles de papier à en-tête… Rien de concluant n’était sorti de tout ça.

A cette allure, et ces mauvais plis étant pris de longue date, on peut s’attendre à ce que le futur « délégué interministériel à l’égalité républicaine et à l’intégration », placé une fois encore auprès du Premier ministre, ne soit guère plus efficace, faute de moyens financiers et de véritable dynamique de changement.

Comme à l’accoutumée, manque d’ambition

Ce qui manque, en un mot ? L’ambition. Notre exécutif ne veut pas vraiment sortir du bois, et s’y coller vraiment. Alors il fait le minimum, dans le vain espoir de récupérer quelques voix, et dans celui, tout aussi vain, de ne pas donner à la droite quelque raison de s’enflammer. Comme s’il s’agissait de faire un peu plaisir aux uns sans faire trop peur aux autres – les racistes et les discriminants ! Bel équilibre!

A la veille de l’annonce du pacte de responsabilité, neuf conseillers venus de divers ministères se sont ingéniés avec « conviction » (pour une fois !) à me faire retirer de l’ordre du jour du Sénat la proposition de loi que j’avais déposée visant à instaurer l’action de groupe en matière de discriminations. Ce n’était pas le moment, n’est-ce pas ?, de déranger le patronat. Il aurait pu mal prendre une telle audace de la part du législateur. Le gouvernement n’allait tout de même pas prendre un tel risque!

Dans notre feuille de route, bien tiède, bien incolore, le mot République revient comme un refrain. Magique République ! Sanctuarisons-la ! Mais qui se demande pourquoi les fameuses valeurs de cette République ne fonctionnent pas ou plus ? Qui prend en compte l’effarant décalage entre les principes affichés et le réel, un décalage qui ruine toute possibilité d’adhésion de tant de nos concitoyens à cette République qui relève plutôt de l’incantation?

Tant que ces questions ne seront pas posées, nous n’aurons pas la moindre chance d’arriver à l’inclusion souhaitée. Le modèle dont on se gargarise est tout simplement en panne. Le pragmatisme voudrait qu’on remette ce modèle en marche, sans le sanctuariser, en acceptant de le réformer, pour le rendre enfin lisible par le plus grand nombre.

Poudre de perlimpinpin

Je garde la perle pour la fin: « Dans tous les cas, peut-on lire, il ne s’agit pas de créer du droit spécifique pour différentes catégories de citoyens… » Ça, on s’y attendait. Pas de coup de pouce en vue. Tant pis pour ceux qui n’arrivent pas à briser le plafond de verre. La discrimination se doit de rester négative, pas vrai ? Nous, nous avons des principes. Pourvu que rien ne bouge, ou au moins pas trop vite!

Vive la République ! Vive la Diversité (mais seulement pour le plaisir des yeux) ! Vive la Poudre de Perlimpinpin!