Pour commencer, regardons les chiffres en face. Nos chiffres.
Morale ou pragmatisme ?
41,5% des jeunes de 17 ans et 32,8% des adultes de 18 à 64 ans ont expérimenté le cannabis. 85% des lycéens affirment pouvoir s’en procurer sans difficulté. De fait, dans un pays – le nôtre – à la législation la plus répressive en la matière, sa consommation chez les 15-24 ans est une des plus élevées en Europe.
Plus globalement, en 2010, 1 à 2 millions de nos concitoyens étaient des consommateurs réguliers de cannabis, et 38 000 d’entre eux avaient été accueillis dans des structures spécialisées en addictologie. L’année suivante, en 2011, les statistiques hospitalières comptabilisaient 1 082 séjours avec un diagnostic principal de troubles mentaux et du comportement, liés à l’utilisation de dérivés du cannabis.
Face à une telle réalité, va-t-on indéfiniment continuer à recourir aux arguments moraux pour prohiber le cannabis en France? Ne serait-il pas plus opportun, plus exact et plus honnête de parler d’un échec patent de notre politique prohibitionniste ? Le constat est grave. La consommation du cannabis, chez les adolescents et les jeunes adultes, constitue un véritable problème de santé publique. Or la réponse pénale n’a d’aucune façon contribué à le résoudre.
Accepter de s’inspirer d’exemples étrangers
D’autres pays mènent depuis au moins une décennie une réflexion sur cette question pour élaborer des solutions pragmatiques, loin des considérations morales qui nous guident en France. Récemment, le président des Etats-Unis, Barack Obama, déclarait que le cannabis n’était pas plus dangereux que l’alcool. Or la consommation d’alcool n’est pas prohibée. Lorsque tel fut le cas, toujours aux Etats-Unis, dans les années 1920, les retombées néfastes de la prohibition furent considérables. Exactement comme l’est chez nous aujourd’hui la prohibition du cannabis.
En France, l’usage illicite du cannabis est une infraction punie d’au plus un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 euros. La détention d’un produit stupéfiant et sa vente le sont d’une peine d’emprisonnement de 10 ans et d’une amende de 7 500 000 euros. Quant à la production ou la fabrication illicite, elle est punie de 20 ans de réclusion criminelle et d’une amende équivalente à la précédente.
Ailleurs le choses se passent autrement, ainsi que le révèle, entre autres, l’étude de législation comparée que j’avais commandée il y a quelques mois aux services du Sénat. Dans des pays comme le Portugal et l’Espagne, la consommation du cannabis est une infraction administrative et non pénale. En Angleterre, au Danemark, aux Pays-Bas, dans des Etats de l’Ouest américain comme ceux de Washington et du Colorado depuis janvier 2014, consommer et vendre de la marijuana est autorisés dans la limite d’une quantité fixée pour les majeurs. Dans une vingtaine d’autres Etats américains, la consommation de cannabis n’est pas un délit. L’Uruguay mettra en application dans quelques mois une loi votée récemment mettant en place un système de culture, de distribution et de marketing du cannabis placé sous le contrôle des autorités locales.
Ouvrir le débat dans la société française
Nous, les écologistes du Sénat, avons osé mettre le problème sur la table. J’avais proposé, il y a quelques mois, qu’un débat (sans vote) sur cette question soit organisé dans l’hémicycle. Prochaines élections obligent, la Garde des Sceaux n’avait pas répondu à ma demande. Mardi dernier (28 janvier 2014), j’ai donc déposé, au nom du groupe écologiste, une proposition de loi visant à autoriser l’usage contrôlé du cannabis. On ne peut plus faire l’économie d’un débat national sur la question. Le moment est venu de le lancer. Il est donc ouvert. Au Sénat et au-dehors.
A ceux qui prétendent qu’un tel changement mettrait le cannabis à la disposition de tout le monde et que le nombre de consommateurs augmenterait inévitablement, je réponds clairement non. Dans les pays qui ont dépénalisé l’usage du cannabis, le nombre de consommateurs a-t-il grimpé aussi vite que chez nous où règne la prohibition ? La réponse, là encore, est tout aussi clairement non. Mais les préjugés se moquent bien de la réalité. Ils sont là pour réconforter les conservateurs, et tous ceux qui préfèrent l’occultation à une gestion pragmatique des problèmes.
La proposition de loi écologiste – qui ne concerne pas l’usage thérapeutique du cannabis, déjà progressivement autorisé – confie à l’administration le monopole de la vente au détail, un monopole exercé par l’intermédiaire de débitants désignés. Sur le modèle du système régissant le tabac, l’administration contrôlerait la production et la distribution du cannabis à usage récréatif en France. Un grand nombre de dispositions concernent la protection des mineurs et l’interdiction de la publicité directe et indirecte. Les plantes et les produits seraient vendus dans des emballages indiquant leur composition, leur teneur en tétrahydrocannabiol, et portant un message à caractère sanitaire, comme pour les cigarettes. La vente illicite serait interdite et punie.
Un tel encadrement devrait permettre non pas d’encourager la consommation, mais de la faire baisser, tout en endiguant les risques engendrés. L’objectif n’est pas de faire la promotion de l’usage du cannabis, mais de le réglementer. Il est aussi de casser les réseaux de trafiquants et toute une économie souterraine – de production, de distribution et de vente – source de délinquance et de criminalité. Il est enfin et bien sûr de mettre nos enfants et nos jeunes à l’abri de contacts avec de tels réseaux, et d’empêcher qu’ils ne consomment des produits non contrôlés et d’autant plus dangereux.
Ayons un peu de courage. Prenons enfin par le bon bout les enjeux sanitaires et sécuritaires en cause. Reconnaissons que le système actuel de répression du trafic de cannabis et les conséquences sociales de ce trafic coûtent à l’Etat au bas mot un milliard d’euros, qui pourraient être mieux utilisés. Pour la prévention, par exemple. Et pourquoi se voiler hypocritement la face devant les retombées économiques positives, créations d’emplois incluses, que l’encadrement suggéré par la proposition de loi écologiste est susceptible de générer ?
Le texte de cette proposition de loi sera présenté à la presse et au public, après un débat avec des experts, des médecins et des associatifs, le jeudi 6 février, à 10h30, au Palais du Luxembourg, salle Monnerville, 26 rue de Vaugirard, Paris Ve. Inscription obligatoire auprès de ez.thabet@assistants.senateurs.fr. Contact : 01 42 34 27 42 / 07 78 87 10 95.
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