Vu du Sénat #47: Sauvons l’honneur du Sénat après le scandale Dassault! (Le Huffington Post, 9 janvier 2014)

« Le Sénat a beau s’appeler la Haute-Chambre, le vote de son bureau hier n’est pas à sa hauteur.

Comment, pour une voix d’écart, qui serait, selon les rumeurs, celle d’un socialiste « égaré », le Sénat a-t-il pu ne pas lever l’immunité de Serge Dassault, poursuivi par la justice pour divers faits peu dignes d’un élu de la République ?

Dernier avatar du corporatisme, cette non-levée de l’immunité parlementaire de Serge Dassault, qui le met désormais à l’abri de la garde à vue, va détériorer un peu plus l’image des élus auprès de la population. Une vieille dame volant une plaquette de beurre dans un grand magasin parce qu’elle n’a pas les moyens de se l’acheter est passible de poursuites… et pendant ce temps un élu soupçonné d’achats présumés de votes en Corbeille-Essonne (le reste des accusations le visant actuellement étant exclu du vote d’hier) bénéficierait, lui, de la protection de ses pairs au Sénat ?

Certes la présomption d’innocence doit être respectée. Mais le Sénat n’avait pas à se prononcer sur la culpabilité éventuelle de l’intéressé, seulement à faciliter le travail de la justice.

M. Dassault sort de ce scrutin du bureau du Sénat blanc comme neige. Il pourra tranquillement rentrer chez lui. Et nous, les élus, nous continuerons à subir le désamour – le désaveu toujours plus net – d’une population qui nous accuse, souvent un peu trop facilement, d’être loin de ses préoccupations, et nous taxe, souvent avec légèreté, de malhonnêteté. Le refus du Sénat de lever l’immunité parlementaire de M. Dassault ternira davantage notre image, lorsque nombre d’entre nous travaillons dur, chacun selon ses convictions (de droite ou de gauche), pour être chaque jour à la hauteur de ce qu’on attend de nous.

Même à supposer que tous les sénateurs de droite membres du bureau aient voté contre la levée de l’immunité, lorsqu’on fait le compte des voix, il n’échappe à personne qu’un sénateur ou une sénatrice de la majorité au moins a voté de même. Comme citoyenne et comme sénatrice, je m’insurge contre ce résultat. Et plusieurs des sénateurs et sénatrices que j’ai rencontrés hier au Sénat s’insurgeaient de même. D’autres étaient plongés dans un silence de gêne.

Pour restaurer notre image, je ne vois guère d’autre solution que celle-ci, même si elle n’est pas prévue par le règlement : la constitution d’un bureau ad hoc, formé à la proportionnelle de sénateurs et sénatrices tirés au sort dans chaque groupe politique, et un nouveau scrutin, cette fois pas à bulletins secrets ! La loi demande bien désormais la transparence sur les revenus et le patrimoine des élus. Pourquoi ne voterions-nous pas en toute transparence pour la levée ou non de l’immunité de M. Dassault ? Ainsi passerions-nous de l’exigence circonstancielle de transparence – destinée à faire oublier l’affaire Cahuzac – à la vraie transparence : celle d’un vote des élus de la Nation.

Voilà qui serait un bon exemple de démocratie, prouvant qu’on ne badine pas avec les valeurs de la République et qu’il n’y a pas de justice à plusieurs vitesses. L’Ancien Régime est terminé – paraît-il – depuis longtemps. Changeons de mœurs politiques. Des Dassault, il y en a eu déjà. Il faudrait tout de même qu’on cesse de contribuer à en produire en usant de ces bonnes vieilles méthodes qui polluent l’atmosphère politique et disqualifient ceux qui servent le pays avec humilité et dans l’exigence d’équité. »