Les Français développent depuis un moment une sorte d’allergie à l’endroit de leurs dirigeants. Cette allergie tourne ces derniers temps à la crise d’urticaire. L’impopularité croissante – et record ! – du président de la République n’en est que l’une des manifestations, mais certes pas la moindre. Il n’est assurément pas nécessaire de se lancer dans de complexes considérations philosophiques pour essayer de rendre compte du phénomène. Espérons seulement qu’une impopularité encore plus grande ne crée pas, au final, une vraie crise de régime, susceptible de paralyser le pays plus qu’il ne l’est.
Abstention
Tout est possible, il est vrai. Et la perte de confiance dont pâtit actuellement François Hollande commence à atteindre les limites du supportable. L’abstention, dans un tel contexte, est une option tentante pour l’électeur, autant que le vote de rejet et le recours aux extrêmes. La gauche en paiera le prix, mais il se pourrait bien que la droite elle-même ne soit pas non plus à la fête.
Oublions pourtant le président et son gouvernement. Et tournons-nous vers des réalités plus modestes. Elles ne sont pas moins révélatrices. Samedi 16 novembre, lors du congrès décentralisé d’Europe Ecologie Les Verts, même si la motion « Pour un cap écologiste » soutenue par les ministres EELV est arrivée en tête, avec un score honorable (38,3%), elle n’a pas réitéré l’exploit du dernier congrès, d’où elle était sortie gagnante dès le premier tour. L’impopularité de l’exécutif a dû peser là de tout son poids, et même si les ministres EELV n’ont pas démérité, la motion qui avait leur soutien a sûrement, entre autres motifs de mécontentement et/ou de défiance, pâti de leur association avec cet exécutif. D’autres motions, dont les chevilles ouvrières semblaient moins « compromises », ont à l’inverse tiré leur épingle du jeu. Cela étant, la première leçon de ce scrutin est autre. C’est l’abstentionnisme qui en a été le grand vainqueur : plus de la moitié des militants ne se s’est pas exprimée.
Frilosité
Marasme électoral et montées de colère vont de pair. Et tant que le mot d’ordre, à l’Elysée ou à Matignon, sera de jouer la prudence et de ne pas trop faire bouger les lignes, on ne voit guère de raison pour que la cote de popularité du Président de la République ne chute pas… en dessous de zéro !
Cette frilosité, cette irrésolution empêchent tout pas en avant, tout changement, engoncent les socialistes dans un confortable conservatisme, les éloignent toujours plus du peuple de gauche, de tous ceux qui, pour ne pas voter à droite, préféreront s’abstenir. Cet excès de prudence du Président, digne d’un ecclésiastique plus que d’un politique, son goût immodéré de la synthèse et du compromis, le desservent, de toute évidence, et ne lui épargnent aucune avanie, au contraire. Au lieu de le mettre à l’abri du désamour des Français, son entourage ferait sans doute mieux de l’y exposer davantage. Pour le secouer, et pour l’inciter à dynamiser un Premier ministre qui se plaît à jouer son clone.
Arrogance
Ce manque d’autorité et de sens de la décision des têtes de l’exécutif a par ailleurs un effet paradoxal, lui aussi négatif. Il donne toute licence aux ministres de s’abandonner, eux, à un autoritarisme et à un interventionnisme qui, s’ils s’amplifiaient, risqueraient bien de mettre la démocratie en pièces.
Disons-le tout net : chacun, ministre ou conseiller, se mêle de tout et empêche les parlementaires de travailler dans le minimum de sérénité requis. Chaque ministre entend faire sa loi pour entrer dans le Panthéon des législateurs inoubliables. Et sans traîner. Les textes ne sont pas bien travaillés, les amendements sont discutés en coulisses, rien n’est sérieusement négocié, les messieurs (et les dames) « je-sais-tout » emportent tout sur leur passage, et les élus du peuple, eux, perdent leurs esprits dans la bousculade. Ainsi, au Sénat, où le gouvernement ne bénéficie pas d’une majorité confortable, les projets de loi sont d’abord consciencieusement détricotés, puis retoqués…
L’assurance de certains ministres semble parfois sans borne. La semaine dernière encore, lors d’une audition sur le budget de l’immigration, Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, littéralement enragé, rouge de colère, poussant les hauts cris, a trouvé le moyen, devant mes pairs, de critiquer avec violence une de mes déclarations à la presse où je qualifiais de « rafle » l’arrestation de la désormais tristement célèbre Léonarda. Le terme pouvait être tenu pour un peu fort, j’en conviens. Mais il s’agissait de sortir les esprits de la torpeur.
Outre que cette colère était hors sujet (quel rapport avec le budget ?), il n’est pas a priori dans les prérogatives d’un ministre de réprimander, avec tant d’inélégance, une sénatrice pour ce qu’elle écrit ou dit en dehors de l’enceinte du Sénat. Ni de l’empêcher de répondre. J’ai eu également droit à une leçon de morale, pire, à une leçon sur Vichy, ce qui, visant en l’occurrence une spécialiste du judaïsme moderne, titulaire d’une chaire historique en ce domaine, était à la fois ridicule et choquant. Plus d’un sénateur, de droite comme de gauche, partageant ou non mes analyses, m’a fait part de son malaise.
Il faut dire que M. Valls n’en était pas à son coup d’essai : c’est le même qui, venant présenter son projet de loi anti-cumul, avait bien fait comprendre au sénateurs que de toute façon peu lui importait leur vote, et que l’Assemblée aurait le dernier mot…
Perdre son âme
Voilà donc à quoi nous sommes réduits: soit subir l’indécision d’un Président insaisissable, soit essuyer les accès de machisme et d’arrogance d’un ministre dépourvu du moindre respect pour les parlementaires. Mais ces deux maux ne viennent évidemment pas sans un troisième : un regain inquiétant de « moralisme sociétal », si je puis l’appeler ainsi.
On veut nettoyer la France de ses Roms, de ses sans-papiers, de ses prostituées, et des clients de ces dernières. Mais pour quoi faire ? Pour démontrer aux Français gagnés aux thèses du FN que les socialistes savent aussi bien s’y prendre que Marine Le Pen ? Tout un gouvernement à la merci de cette dernière, c’est vraiment lui faire trop d’honneur. Mais c’est la réalité. Il est heureux que le PS compte encore de vraies consciences de gauche, désapprouvant cette façon de diriger le pays à reculons. Que ne les entend-on davantage, ces consciences !
La dernière – la pire – des frilosités aura été de ne pas dénoncer sur le moment, et avec la détermination qui convenait, les attaques racistes dont notre Garde des Sceaux, Christiane Taubira, a été la cible. Etait-il donc si délicat de défendre une ministre noire ? Craignait-on, à faire trop de bruit, de perdre encore quelques voix ? J’espère que non. Heureusement que le Premier Ministre et le Parlement ont finalement su se rattraper, in extremis…
Couacs, amateurisme, mépris de la représentation nationale ne sont rien. Perdre les élections, c’est ennuyeux, cela peut être grave. Mais le pire, c’est de perdre son âme de gauche. Les socialistes en sont-ils là ? Si oui, ils sont condamnés, à plus ou moins long terme, à un exil prolongé du pouvoir. Et nous, la France, à être la proie de la pire des droites.