Vu du Sénat #32: La violence tue !

Clément Méric est mort. Homicide volontaire ou pas, ce jeune militant d’extrême gauche est mort sous les coups des membres d’un groupuscule d’extrême droite. Oui, il est mort, comme demain pourrait mourir un autre jeune, ou un moins jeune. Une violence décomplexée a pris son essor à l’occasion des manifestations contre le mariage pour tous. L’extrême droite a émergé, suractive, de ces masses en marche.

Du mariage pour tous à la haine de tous contre tous

On a certes le droit d’exprimer son opposition aux lois défendues par l’exécutif, examinées et votées par le Parlement. Cela est naturel et même souhaitable dans une démocratie digne de ce nom. Mais pas les violences de ces groupuscules sans maîtres ni loi, plus adeptes d’une brutalité débridée et sans objet, que de la démocratie.

Pendant des jours, plusieurs parlementaires défendant le mariage entre personnes de même sexe ont subi des menaces, la dégradation de leurs biens, et aussi, sur les réseaux, un déferlement d’insultes racistes, xénophobes, antisémites. Ces antis-là ne voyaient dans ce projet qu’une atteinte à leur ego machiste, qu’une inadmissible avancée du progrès et de l’égalité.
La haine est leur carburant : haine de l’étranger, de l’immigré, du musulman, du juif, de l’homo, du progressiste, de la gauche, haine de l’Autre tout court. Contre le mariage pour tous, ils sont aussi pour une nation pure, pour un terroir sans tache, pour une France blanche. Leurs messages, qui ont pollué les réseaux, en ont abondamment témoigné.

Complaisance avec l’extrême droite

Nous avons été tolérants avec la montée de l’extrême droite. Marine Le Pen avait soi-disant changé de langage, elle n’était pas son père. Elle développait désormais une rhétorique acceptable par tous, elle adoptait une posture quasi progressiste, elle présentait bien. Et nombre de ses thèmes étaient repris sans complexe par une partie de la droite classique. Un flirt tranquille, à visée clairement électoraliste, qui n’allait pas donner les résultats escomptés. Mais que d’aucuns poursuivent encore aujourd’hui, sans vergogne.

La petite musique nationaliste s’est installée. Les médias la répercutent à plaisir. Le discours nihiliste du FN, sans projet, sans avenir, toujours dans l’attaque et le déni, non constructif, balayant les valeurs de la démocratie et celles de la République, surfe sur le désespoir engendré par la crise.

La dénonciation des « tous pourris » n’est pas un programme politique, c’est même tout le contraire. Le nationalisme extrémiste ne l’est pas davantage dans une société où peu croient, au fond, à ses effets salvateurs.

La violence naît dans ce vide créé par la négation du lien social, la perte de toute foi dans la solidarité. Si tous sont pourris, il ne reste plus de branche où se raccrocher. On en voudra toujours à l’Autre, devenu le voleur de ce que je n’ai pas. La rancœur gère les relations humaines. Quelle créativité, quelle inventivité peut-on pourtant espérer d’une telle société, aigrie, agressive et suspicieuse?

La situation économique actuelle, le manque d’éthique et de conviction de certains politiques, le fléchissement de la confiance dans les institutions n’ont pas manqué d’alimenter une violence sourde, minant le quotidien de chaque citoyen, dans le métro, dans sa voiture, dans la rue, sur son lieu de travail, dans son foyer, à l’école. Nous avons laissé faire, oubliant que la violence tue.

Une violence chronique

Nous avons minimisé la place de la violence dans notre société. Une violence qui commence dans la façon de parler et de se comporter au quotidien. Nous avons jeté aux orties jusqu’aux bonnes manières, jusqu’à la politesse. Celles-ci n’empêchent certes pas la violence. Du moins la contiennent-elles un peu, nous permettant de vivre avec un peu moins de stress et un peu moins de vains conflits.

Ni les parents, ni les enseignants, ni les politiques n’ont su jeter les bases d’une solidarité authentique, antidote de la violence, d’un grand secours en une période de grande crise comme celle que nous traversons. La fréquentation des réseaux est édifiante : on est effrayé par la déferlante de violence langagière qui s’y donne libre cours pour un oui pour un non.

On accepte en se disant que c’est le langage des réseaux. Et l’on a tort. Ces réseaux, ce sont des réseaux de communication, ou les canaux de l’insulte ? Internet est un lieu de partage, ou un champ de bataille qu’aucune loi de la guerre ne vient réguler ?

Examen de conscience

Nous, les politiques, avons tous appris à tolérer la violence, l’infime, la quotidienne, et la sociale aussi.

Nous avons appris nous aussi à l’utiliser. Et ce en donnant à la politique un caractère outrageusement guerrier, en transformant l’art du mensonge en « art de la politique », en nous exprimant et en agissant comme des tueurs sans foi ni loi plutôt que comme des politiciens dignes de ce nom. La politique est violente, nous disent les plus aguerris, pas moyen d’y échapper… Bref, nous avons donné l’exemple, et nous ne sommes pas les seuls.
Quel enseignement de morale laïque saura donc arrêter la violence qui s’est emparée de notre société ? Car c’est cette violence-là qui a tué Clément. Aucune manifestation pour honorer sa mémoire et mettre un peu de baume au cœur des siens et de ses amis ne vaudra si elle ne nous incite pas à un examen de conscience collectif et à une vigilance redoublée.

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