DROIT DE VOTE DES ÉTRANGERS –
J’étais à Bruxelles à la veille des élections municipales belges. Sur les murs étaient apposées des affiches électorales portant des noms aux consonances pas très locales. Au fil de la conversation, je demande à mes amis si le droit de vote des étrangers pose problème aux citoyens « autochtones ». Avec détachement, on me répond que la participation des étrangers aux élections locales s’est banalisée à un tel point qu’on n’y fait même plus attention.
Soulever les montagnes, avec toute la gauche ensemble
Voyez-vous, moi aussi, j’aimerais bien ne plus avoir à faire attention à tout cela, et surtout ne plus avoir à me battre sans relâche contre des arguments éculés. Si les étrangers votaient, on ne mangerait plus que du halal dans nos écoles, hommes et femmes ne se baigneraient plus ensemble dans nos piscines, la France, en un mot, deviendrait musulmane… Et le communautarisme par-ci et le communautarisme par-là.
De quoi s’agit-il? D’une promesse vieille de trente ans, faite en 1981 par Mitterrand, que Hollande a reprise. J’ai été la rapporteure d’une proposition de loi allant en ce sens votée à l’automne dernier, dès le basculement du Sénat à gauche. Ce fut un authentique moment de communion de toute la gauche. Ce texte avait attendu longtemps à l’Assemblée, où les députés l’avaient voté en 2000. Alors, le rapporteur avait été un autre écologiste, Noël Mamère.
Je me souviens de la joie des présents dans l’hémicycle, au Sénat, le soir de ce scrutin du 8 décembre 2011. Nous avions l’impression d’avoir soulevé des montagnes, grâce à notre détermination, toute la gauche ensemble.
Une miette de démocratie
Nos concitoyens résidents avec qui nous partageons le quotidien dans nos villes, nos communes, nos quartiers, nos immeubles allaient enfin participer aux élections municipales -en votant et en se faisant élire- et ainsi intervenir directement dans la gestion de leur lieu de vie.
Quoi de plus naturel? Les ressortissants de l’Union européenne ne le font-ils pas déjà? Les « étrangers » dont nous parlons ici ne représentent que 2,3 millions de personnes majeures, dont 1,8 millions résidant depuis plus de cinq ans sur le sol français. Qu’ont-ils de moins que les autres, ces braves gens venus d’ailleurs que de l’Europe?
Rien à craindre. On ne demande pour eux, jusqu’ici, que le droit de voter aux élections locales, sans pouvoir accéder aux fonctions de maire ou de maire adjoint, ni intervenir dans l’élection des sénateurs. Des législatives, des présidentielles, ils resteront exclus. On ne prévoit pour eux qu’une petite miette de démocratie. Et même cette miette reste en travers de la gorge de certains.
Ces « étrangers » ont contribué à l’économie de notre pays et à sa démographie; ils ont envoyé leurs enfants dans nos écoles; leurs enfants, le plus souvent, sont français. On peut tout de même les élire conseillers municipaux. Oui, il est temps, grand temps, qu’ils aient ce droit de vote et d’éligibilité. Promis, pour le moment, ils n’occuperont pas de fonctions exécutives au sein des conseils de nos villes. Alors, où est le problème?
Mais notre identité nationale…
La droite est contre, parce qu’elle tremble pour sa fameuse « identité nationale ». Et s’effraie à loisir d’une montée possible du communautarisme.
Je pense, moi, exactement le contraire. Au lieu de parler sans cesse d’intégration, sans rien tenter de concret pour réaliser un vœu qui tourne à la pure incantation, faisons un geste en faveur de la cohésion nationale. Le droit au suffrage est le cheminement naturel de la démocratie. Il est le garant de cette cohésion dont la France a tellement besoin.
L’instauration de ce nouveau droit aura également des effets positifs sur la participation électorale des enfants français de ces « étrangers », ces fameux « deuxième génération » qu’on ne cesse de renvoyer à leur ascendance immigrée. Jusqu’à présent, ils ne votent pas ou trop peu. S’ils avaient seulement eu l’exemple de leurs parents.
Un tel appel à la participation démocratique, s’il était nettement formulé, favoriserait justement l’ouverture. Il casserait les réflexes de repli, de fermeture, qui font, précisément, le communautarisme. Nos « étrangers » n’ont d’étranger que le nom, puisqu’ils ne souhaitent plus retourner dans leur pays d’origine. Ils ont fait le choix de rester chez nous. La nationalité française n’est pas la seule clé de la citoyenneté. On peut se sentir français, participer pleinement à un destin -certains diraient à un rêve- français, sans être, au sens strict, de nationalité française.
Et d’ailleurs, après le droit de vote, ne seraient-ils pas tentés, nos « étrangers », de faire un pas de plus, vers une citoyenneté pleine et entière? Certes, notre ministre de l’Intérieur souhaite augmenter le nombre de naturalisations, ce qui est fort louable. Mais il ne pourra pas naturaliser tous les étrangers en règle. Et quand bien même nos dirigeants feraient preuve d’une générosité débordante, cette affaire risque de prendre pas mal de temps. Et en attendant, le repli des « étrangers » et de leurs descendants, ces mal-aimés de la nation, ira crescendo.
La machine à bloquer le temps du gouvernement
A partir des années 2000, la droite elle-même s’était ralliée à cette idée. Nicolas Sarkozy, le 30 octobre 2005, affirmait à ce propos:
« Je crois que c’est un facteur d’intégration ».
Que la droite varie, je ne m’en émeus guère. Mais que tant de socialistes semblent oublier leur promesse, voilà qui est rageant. En Europe, la Belgique, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède reconnaissent le droit de vote à tous les étrangers qui résident sur leur territoire. A ce que je sache, aucun de ces pays ne ressemble à la Mecque. Et leurs habitants ne se sont pas transformés en salafistes.
La gauche recule dès quelle sent que ça bouge un peu à droite. Pourquoi ne pas la bousculer, cette droite ringarde, quitte à la faire enrager? On n’a pas voté socialiste pour se retrouver avec un gouvernement sans audace ni courage, conduisant les affaires sociétales avec une prudence de vieux chauffeur, redoutant de causer des accidents parce qu’avec l’âge il a perdu un peu de ses réflexes, mais dont la lenteur extrême peut aussi être source de bien des dangers…
On nous dit, si j’ai bien compris, que pour le droit de vote des étrangers, on verra en 2014. Je suppose après les élections municipales. Eteignons le feu maintenant, on verra plus tard. Certes, les socialistes ne sont pas en état de lancer un référendum pour faire passer cette loi qui demande une révision de la Constitution. Ils ne sont pas sûrs non plus de gagner au Congrès, où il faut une majorité des 3/5e des sénateurs et députés réunis.
Reculade ou mollesse?
Est-ce pourtant une raison de ne rien tenter? La politique est l’art de la persuasion, pas du recul à la petite semaine. Hélas, on en est là. Dans le replâtrage ou l’esquive. Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres. Qui ne coûtent pas cher, pourtant, mais sont essentiels pour ceux qui attendent. Contrôles aux faciès, mariage entre personnes du même sexe, abrogation du délit de racolage passif, et j’en passe. Ca ne bouge pas, ça ne bouge pas. Pourquoi? En face, en revanche, nos adversaires s’en donnent à cœur joie, occupant agressivement le devant de la scène, y compris l’Eglise qui, en la personne de Mgr Vingt-Trois, prétendait s’opposer, il y a deux jours, au mariage pour tous au nom d’une conception étroite et rigide de la filiation.
Heureusement, les associations, elles, ne baissent pas les bras. Et celles qui depuis des lustres se battent pour le droit de vote des étrangers n’ont certes pas cessé de le faire. Les écologistes, quant à eux, ont ce droit inscrit dans leur programme depuis longtemps. Ils ne lâchent pas. Ils ne lâcheront pas. Mais seuls, ils n’ont pas les moyens de mener à terme cette belle entreprise. Certains socialistes, tels Jean-Christophe Cambadélis et Pouria Amirshahi ont pris l’initiative de lancer une pétition. Bravo!
Il est finalement assez facile de se battre contre la droite. Celle-ci a renoué avec ses vieux réflexes, elle s’agite, elle s’exalte à bon compte, son opposition au droit de vote des étrangers est, croit-elle, dans l’air du temps, d’un temps nationaliste. Mais comment lutter contre son propre camp?
Oui, les écologistes sont dans la majorité, et moi aussi. La voix de la conviction sonne faux, pourtant, on dirait. Elle offense cette fameuse prudence à laquelle l’exécutif appelle sans répit. Or c’est la prudence qui empêche de rajeunir la société, de lui insuffler l’énergie et l’optimisme dont elle a besoin.
Les Français sont las des stratégies politiques, stratégies de com’, stratégies de la courte vue. Ils demandent du vrai, du juste, du solide. Ne laissons pas la droite ou l’extrême droite feindre d’incarner ces valeurs.
C’est à nous, la gauche, de les réaliser pour gagner la confiance de nos concitoyens et pour en être digne, parce que beaucoup d’entre nous les portent, ou les ont longtemps portées, avec fierté.
La politique de la reculade ne nous sied pas. Encore moins la mollesse.
Pour lire cet article sur le site du Huffington Post: http://www.huffingtonpost.fr/esther-benbassa/droit-de-vote-des-etrangers-senat-socialisme_b_2074555.html?utm_hp_ref=france