Voiture de police incendiée: le procès s’ouvre sous haute tension (« AFP », 19 septembre 2017)

Les images du véhicule en flammes avaient fait le tour d’internet: le procès de l’attaque d’une voiture de police en plein Paris le 18 mai 2016 s’ouvre mardi, sous haute tension. Sur un petit film visionné à des centaines de milliers de reprises sur Youtube, on voit un groupe de personnes vêtues de noir, visage le plus souvent dissimulé, entourer un véhicule de police coincée dans la circulation, quai de Valmy. Des projectiles volent, des vitres du véhicule sont brisées à coups de pied ou de plot métallique, une fusée de détresse est lancée dans l’habitacle et la voiture s’embrase. Un colosse en uniforme sort et pare à mains nues des coups de barre de fer, avec un aplomb qui lui vaudra le surnom de « policier kung fu ». Ce fonctionnaire, Kevin Philippy, et sa collègue Allison Barthélémy sont parties civiles au procès, tout comme le premier syndicat de policiers Alliance. Neuf personnes au total ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris. Trois sont détenues et cinq sont sous contrôle judiciaire, tandis qu’un neuvième homme, résidant en Suisse et auquel est attribué le jet de la fusée de détresse, est sous le coup d’un mandat d’arrêt. Si certains prévenus ont reconnu les faits qui leur sont reprochés, d’autres nient toute violence, et l’un est resté muet face aux enquêteurs.

D’emblée, l’affaire a été politisée, avec par exemple un appel du Premier ministre d’alors, Manuel Valls, à des « sanctions implacables ». L’attaque est survenue alors que la mobilisation contre la loi Travail s’amplifiait, accompagnée selon les policiers d’une hostilité croissante à leur égard. Ce 18 mai 2016, Alliance avait appelé à manifester place de la République contre la « haine anti-flics ». Un collectif dénonçant les violences policières avait alors organisé un contre-rassemblement. Ce sont certains de ces contre-manifestants qui sont impliqués dans l’attaque de la voiture.

‘Instrument juridique inquiétant’

L’enquête a ensuite suscité son lot de critiques, de part et d’autre. Les trois premiers suspects, arrêtés au bout de quelques heures, l’ont été sur la base d’un témoignage anonyme dont il est apparu qu’il émanait d’un policier. Un protagoniste a été pendant un certain temps accusé à tort d’avoir frappé un policier. La détention provisoire pendant dix mois de celui qui sera le prévenu le plus en vue, Antonin Bernanos (29 ans), étudiant en sociologie à Nanterre, a par ailleurs indigné ses professeurs et suscité une mobilisation qui durera aussi le temps du procès. Des collectifs « antifa » et des groupes de gauche radicale ont par exemple appelé à un rassemblement mardi, à 19 heures, devant les grilles du Palais de justice de Paris. Un discours incompréhensible pour de nombreux policiers, à l’instar de Jean-Claude Delage, patron du syndicat Alliance, qui réclame « un signal fort » de la part de la justice, à travers « la peine et l’exécution de la peine ». Certains fonctionnaires n’ont pas digéré que l’affaire perde au cours de l’enquête sa dimension « criminelle » au profit d’une qualification « correctionnelle ».

Si l’enquête avait été ouverte pour tentative de meurtres, un crime passible des assises, les prévenus sont au final jugés pour « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences ou de dégradations ». Des intellectuels tels que le sociologue Geoffroy de Lagasnerie ou l’économiste Frédéric Lordon, l’une des figures du mouvement « Nuit debout », des artistes, le cinéaste Robin Campillo (« 120 battements par minute »), ou des élus tels que la sénatrice écologiste Esther Benbassa ont d’ailleurs appelé le 12 septembre sur le site Mediapart à abroger ce délit, considéré comme un « instrument juridique particulièrement inquiétant pour la liberté de manifester et la liberté d’opinion ». Six prévenus sont aussi poursuivis pour « violences aggravées sur policiers en réunion », et risquent à ce titre jusqu’à dix ans de prison. Le procès se tient jusqu’à vendredi.