Le mercredi 23 octobre, Esther Benbassa est intervenue en tant qu’oratrice pour le groupe CRCE lors de la discussion générale portant sur la proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art.
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cherEs collègues,
La France possède une culture riche, pluriséculaire et probablement l’une des plus belles au monde. Elle est un haut lieu de l’art depuis la Renaissance. Paris a longtemps tenu la première place du marché de l’art mondial.
Depuis les années 1960, le marché de l’art français est pourtant sur le déclin. Avec 5 à 6% de part de marché à l’échelle mondiale (19% en Europe), la France se situe à la 4ème position, loin derrière les Etats-Unis (avec 43%), le Royaume-Uni (21%) et la Chine (19%).
Les raisons en sont multiples et touchent aux domaines artistique, fiscal et administratif.
Premièrement artistique, car la France n’arrive plus à produire suffisamment d’œuvres correspondant aux attentes du marché mondial de l’art. Sa politique culturelle s’est détournée de l’art pictural pour embrasser, à partir des années 1980, un art conceptuel qui n’a trouvé que relativement peu de débouchés sur la scène mondiale.
Deuxièmement fiscal, car la France n’a pas mis en place des mécanismes suffisamment incitatifs pour que le mécénat vienne compenser l’investissement public, en baisse dans le milieu de l’art ces dernières décennies. La Loi Aillagon de 2003 était pourtant venue réformer les modalités des dons des particuliers, du mécénat des entreprises et de la fiscalité des fondations. Mais de toute évidence, pas suffisamment pour que le secteur privé assure le maintien d’une véritable politique culturelle de qualité, là où l’Etat se fait défaillant.
Le Conseil des ventes volontaires pose un problème de taille. Dès sa création en 2011, le groupe CRCE avait alerté sur les problèmes que pouvait causer une autorité de régulation venant libéraliser le marché de l’art. Cette mesure avait permis de faire la part belle aux grandes maisons de ventes mondialement célèbres, au détriment des petites maisons françaises.
Cette proposition de loi a pour mérite de vouloir renforcer la présence des professionnels du marché de l’art au sein du CVV. L’institution devrait ainsi servir à faire le lien entre les artistes et les autorités de régulation, à l’image du Ministère de la Culture.
On peut s’interroger sur l’injonction à vouloir faire de Paris une place primordiale sur le marché mondial de l’art. En effet, le tissu artistique français, si spécifique, le rend peut être antagonique à une vision libérale et concurrentielle.
Surtout, gagner une place de choix, tant prisée sur le marché mondial, ne garantit pas une prospérité économique pour des centaines d’artistes français qui n’arrivent aujourd’hui pas à joindre les deux bouts.
Nos artistes doivent pouvoir vivre de leur travail et être soutenus dans ce sens.
Pour ce faire, la France possède un potentiel hors du commun : sa capitale dispose d’un des maillages de galeries d’art les plus denses au monde et le savoir-faire de ses musées est reconnu internationalement, au point que certains d’entre eux possèdent des antennes culturelles à l’étranger, à l’image du Centre Pompidou à Shanghai, ou encore du Louvre d’Abu Dhabi.
Accroître le rayonnement culturel de la France dans le monde est certes un objectif souhaitable, mais pas suffisant.
Ainsi devons-nous valoriser nos filières artistiques ; permettre l’émulation saine entre nos jeunes talents par la création d’un concours national à l’image du Turner Prize britannique. Mettre en place plus d’événements dédiés à l’art, sur le modèle de ce que nous faisons pour le cinéma à Cannes, ou pour la BD à Angoulême. Exigeons également l’exposition de plus d’artistes français d’art contemporain dans nos musées…
Pour l’heure, seule une réforme de grande ampleur permettra à l’art français de retrouver son influence d’antan. Le présent texte contient un ensemble de dispositions bien timorées qui ne suffiront pas à réaliser cet objectif. Sans compter un certain nombre d’amendements de la rapporteure, venus alourdir la proposition de loi. En l’état, le groupe CRCE s’abstiendra.
Je vous remercie.