Les 35 Français seront régulièrement invités à se prononcer sur la campagne de vaccination contre le covid-19 en France. Des communistes aux Républicains, les sénateurs dénoncent cette initiative de l’exécutif.
Emmanuel Macron l’avait promis. Ce sera chose faite. Le chef de l’État avait indiqué lors de son allocution du 24 novembre qu’un « collectif de citoyens » serait « mis en place pour associer plus largement la population» à la campagne de vaccination contre le covid-19. Ce qu’ont été chargés de mettre en œuvre le Premier ministre Jean Castex et le Conseil économique et social (CESE). Une volonté de transparence et d’association de la population sur laquelle insiste également depuis plusieurs semaines le « Monsieur vaccin » du gouvernement, Alain Fisher, pour contrer la défiance importante des Français face au vaccin. À partir de ce lundi, un tirage au sort de 35 Français va donc commencer pour constituer ce groupe, a annoncé le JDD dimanche 3 janvier. Il doit aboutir d’ici à dimanche prochain à la sélection de 30 citoyens et de 5 suppléants.
Comment va-t-il fonctionner ?
Le tirage au sort doit être guidé par des critères d’âge, de genre, de région, de niveau de diplôme, des catégories socioprofessionnelles, des types d’habitation, explique le CESE, qui accueillera les travaux. Ces critères doivent ainsi permettre d’obtenir un panel de citoyens représentatifs de la société, des plus méfiants aux plus convaincus vis-à-vis de la vaccination. En sus, les tirés au sort devront répondre à une question indique le JDD : « Avez-vous l’intention de vous faire vacciner dans l’année 2021 contre le covid-19 ? » et classer leur réponse sur une échelle de 1 à 5. « Cette expression de leur position permettra de constituer a posteriori les équilibres au sein du collectif de citoyens, afin d’avoir des avis et des recommandations reflétant les positions en présence au sein de la société française », ajoute le CESE.
Une fois sélectionnés, les 35 membres pourront faire part de leurs approbations mais aussi de leurs réticences sur les choix du gouvernement tout au long de la campagne de vaccination. Ils pourront «interpeller (le ministre de la Santé) Olivier Véran ou le professeur Alain Fischer », a indiqué samedi, dans Le Parisien, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. Le collectif pourra s’appuyer sur la plateforme numérique de consultation du grand public qui sera lancée en janvier. Leurs observations seront soumises au Conseil d’orientation de la politique vaccinale et au CESE, qui s’en servira pour élaborer les recommandations qu’il adressera directement au gouvernement. Ils rendront un rapport au cours de l’été.
La colère de l’opposition
Ce nouveau collectif a provoqué l’ire de nombreux représentants politiques, en particulier des sénateurs. Une bonne partie d’entre eux dénonce son « inutilité » et estime, qu’une fois de plus, le gouvernement « enjambe » le parlement avec un groupe de citoyens non élus, à l’image de ce qu’a pu être la Convention citoyenne sur le Climat réunissant 150 citoyens tirés au sort.
« Ça frise le ridicule. C’est du gadget ! », réagit « désespérée » la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Deroche. La sénatrice les Républicains déplore le maquis d’instances décisionnaires dans la gestion de la crise alors que des milliers de personnes attendent de se faire vacciner : « On a un monsieur vaccin, la Haute autorité de la santé, un directeur général de la santé, un ministre de la Santé, deux débats au parlement… et maintenant le président de la République veut s’entourer de 35 personnes tirées au sort ? Les 35 c’est sympathique, mais il y a une multiplication des organes et des chefs. Il y a 50 000 chefs et comme disait Chirac, un chef, c’est fait pour cheffer ! ». Sur Twitter, son collègue Roger Karoutchi (LR), premier vice-président du Sénat, ne dit pas mieux. « Aujourd’hui, un tirage au sort de citoyens pour contrôler la stratégie vaccinale… Vu le succès de celle-ci en France, on va donc demander à des néophytes de contrôler des amateurs… C’est pas gagné… Et si on faisait cela avec de vrais logisticiens professionnels ? »
Au centre, le sénateur de la Haute-Savoie Loïc Hervé (Union centriste) trouve que pour « délégitimer » le parlement, « il n’y a rien de tel ». « Tout ça tourne au ridicule parce qu’on a une hyperspécialisation de la décision politique avec le conseil de défense et le conseil scientifique, et pour ce qui est de la représentation du peuple, on shunte ça avec un débat sans vote pour amuser la galerie, puis on confie un rôle à 35 personnes tirées au sort. Pour la boutade, j’ai proposé qu’on les prenne parmi les gens arrêtés en revenant du ski en Suisse », blague-t-il. Et de poursuivre : « On a déjà l’expérience de la Convention citoyenne pour le climat… » Dans un communiqué, sa collègue Nathalie Goulet a fustigé la mise en place du comité citoyen s’apparentant, selon elle, à une « opération de communication qui méprise le parlement ».
« Du coup c’est acté, le parlement on s’en fout. Certainement un « truc » ! On pourrait aussi choisir à courte paille un président de la République et décider au chifoumi s’il faut accélérer la vaccination », a lui aussi raillé le président du groupe Ecologiste – Solidarité et Territoires, Guillaume Gontard, dans un tweet. « « C’est un subterfuge, le gouvernement fait de la démagogie. On va réunir 35 citoyens qui ne donneront qu’un avis consultatif, ça sert à quoi ? C’est pour gagner du temps. Il nous faut des vaccins ! Ce ne sont pas les 35 citoyens qui vont sauver le soldat Macron ! C’est devenu à la mode, quand on n’arrive pas à prendre la décision, les citoyennes et citoyens partagent la responsabilité. Comme ça, Macron pourra dire qu’il a écouté tout le monde », déplore auprès de Public Sénat sa camarade écologiste, Esther Benbassa.
À gauche, d’humeur taquine, Patrick Kanner se marre : « Vous écrivez un article sur du n’importe quoi ? » Passé la galéjade, le président du groupe socialiste se dit « atterré ». « Ces 35 citoyens encadrés par le CESE, c’est une bonne chose mais c’est un nouvel effet de com’en total décalage avec les préoccupations des Français », estime-t-il. « Si on en était à 50 000 vaccinés, on pourrait dire que ça vient accompagner le mouvement. Mais il n’y a même pas de mouvement ! On a l’impression que ces 35 vont monter dans un omnibus alors qu’on devrait être dans un TGV puissance 10… Il y a le feu ! », alerte-t-il, face un Etat qu’il juge « en dessous de tout dans la vaccination ». Il prévient : « Il y a beaucoup d’interrogations et cela peut relever d’une nouvelle commission d’enquête ». Les sénateurs de la commission des affaires sociales entendront dès cette semaine le ministre de la Santé, Olivier Véran. Une initiative lancée par Bernard Jomier. Le sénateur apparenté socialiste est moins dur contre le comité de citoyens, puisque « favorable à des initiatives de transparence », mais n’en décèle pas moins « la pure opération de communication » du gouvernement. Il regrette surtout que des mesures en faveur de la vaccination n’ont pas été prises plus tôt, malgré les propositions. « La participation citoyenne sur la vaccination est une question posée il y a plusieurs années. Alain Fisher a fait un rapport en 2016 qui trace les différentes actions à entreprendre. Il est temps de mettre en œuvre ces propositions… » L’actuel « Monsieur vaccin » du gouvernement y égrenait déjà de nombreuses recommandations comme « l’écoute de la population et des professionnels, la transparence de l’information et des experts, la diffusion à partir d’un site unique et connu de tous d’informations validées et qui participe à l’écoute des interrogations, la formation initiale et continue des professionnels de santé, l’implication de l’école… » Chez les communistes, le sénateur de Seine-Saint-Denis Fabien Gay, ironise : « Chouette ! Un grand débat national qui déboucherait sur une convention citoyenne qui donnerait 150 propositions pour une stratégie de vaccination. Sinon, il y a le parlement… La start-up nation ressemble de plus en plus à la Minitel nation ! ».
Pour l’heure, espérant accélérer le rythme des vaccinations, Emmanuel Macron pilote à 17 heures une réunion à l’Élysée avec le Premier ministre Jean Castex et les ministres concernés.
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