Question n° 02304 adressée à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur
Publiée le : 07/12/2017
Texte de la question :
Mme Esther Benbassa interroge M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, sur l’usage, par les policiers et gendarmes, de leur arme en dehors de leur service en 2016 et 2017. Depuis les attentats du 13 novembre 2015, les gendarmes et les policiers sont autorisés à porter leur arme en dehors de leur service. En juillet 2016, à la suite du meurtre d’un couple de fonctionnaires du ministère de l’intérieur à Magnanville, la mesure a été pérennisée. Samedi 18 novembre 2017, à Sarcelles, un policier de 31 ans a tué trois personnes et blessé trois autres avec son arme de service avant de se suicider. Un tel drame, s’ajoutant aux chiffres alarmants, depuis le début de l’année 2017, du nombre de suicides de policiers et gendarmes, amène à relancer le débat autour de la question du port d’arme des forces de l’ordre en dehors de leur service. En conséquence, elle souhaiterait connaître, deux ans après l’instauration de cette mesure, le nombre de fois où les forces de l’ordre ont fait usage de leur arme en dehors de leur service pour les années 2016 et 2017. Elle souhaiterait également savoir comment se répartissent ces usages, entre ceux liés à la protection des personnes et ceux liés à des motifs étrangers à leur mission.
Réponse de M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur
La question écrite évoquant l’usage de l’arme « en dehors de leur service » par les membres des forces de l’ordre, il convient en premier lieu de préciser cette notion. En raison du caractère particulier de leurs missions et des responsabilités exceptionnelles qu’ils assument, les personnels actifs de la police et de la gendarmerie nationales constituent en effet dans la fonction publique et dans la fonction militaire une catégorie spéciale. Ce statut spécial leur impose un certain nombre de contraintes professionnelles, notamment celle d’être disponibles, même en dehors des heures habituelles de travail. Les dispositions de l’article 19 du décret n° 95-654 du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale prévoient en effet que leurs « obligations ne disparaissent pas après l’accomplissement des heures normales de service » et que « dans tous les cas où le fonctionnaire intervient en dehors des heures normales de service soit de sa propre initiative, soit en vertu d’une réquisition, il est considéré comme étant en service ». Concernant les gendarmes, l’article L. 4111-1 du code de la défense indique notamment que « l’état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité » alors que l’article L. 4121-5 du même code dispose que « les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu ». Ces dispositions permettent au gendarme, qui décide d’intervenir hors service de sa propre initiative pour la protection de la population, d’être considéré en service. Ainsi, en cas de nécessité, que ce soit de jour comme de nuit, le policier ou le gendarme peut être appelé à exécuter une mission, notamment pour répondre aux exigences de l’article R. 434-19 du code de la sécurité intérieure qui dispose que « lorsque les circonstances le requièrent, le policier ou le gendarme, même lorsqu’il n’est pas en service, intervient de sa propre initiative, avec les moyens dont il dispose, notamment pour porter assistance aux personnes en danger ». S’agissant du port de l’arme hors service, il a été décidé dès le 18 novembre 2015, dans le contexte de l’état d’urgence, la mise en place temporaire d’un régime dérogatoire permettant d’autoriser les policiers actifs à porter leur arme individuelle en dehors de leur service afin de leur permettre de faire face, à tout moment, dans le respect du droit applicable, à des individus armés. Le cadre légal du port de l’arme hors service a été clarifié et conforté par un arrêté du 4 janvier 2016 modifiant l’arrêté du 6 juin 2006 portant règlement général d’emploi de la police nationale. L’intensification de la menace terroriste et l’assassinat en juin 2016, à leur domicile, de deux agents du ministère de l’intérieur, ont conduit le ministre de l’intérieur à décider de pérenniser cette possibilité du port de l’arme hors service, en dehors même donc de toute période d’état d’urgence, par arrêté du 25 juillet 2016 modifiant l’arrêté du 6 juin 2006 portant règlement général d’emploi de la police nationale. Le port de l’arme peut désormais s’effectuer sur l’ensemble du territoire national et pendant les périodes de repos et de congés. Toutefois, le port de l’arme répond à certaines conditions (déclaration préalable, etc.) et le policier est tenu de respecter certaines précautions. Il doit ainsi, en particulier, pouvoir être identifiable ès qualités, détenir sa carte professionnelle et un brassard « police », et porter son arme de manière discrète. Pour les mêmes motifs, un régime temporaire d’autorisation de port de l’arme hors service, avec des conditions très limitatives (unités d’intervention, région parisienne etc.) a été créé pour les officiers et sous-officiers d’active de la gendarmerie en novembre 2015. Depuis le 1er juillet 2016, le dispositif d’autorisation a été assoupli (élargissement du périmètre territorial de l’autorisation et suppression des analyses en opportunité) pour être totalement remanié le 1er février 2018. En effet, il vient d’être mis fin au système d’autorisation préalable avec la mise en place d’un dispositif qui vise à doter individuellement, et pour toute leur carrière, les officiers et sous-officiers d’active de la gendarmerie d’une arme de poing. Ces dispositions leur permettent notamment d’être porteur de leur arme de dotation, y compris hors service. S’il n’y a plus d’autorisation préalable, les règles de port et d’emploi ainsi que le contrôle hiérarchique ont été rénovés et renforcés pour mieux encadrer ce nouveau régime. Encore récemment, le ministère de l’intérieur a publié le 17 janvier 2018 sur son site intranet une fiche rappelant aux policiers les règles applicables en la matière et les bonnes pratiques, notamment de sécurité, à adopter pour les agents faisant le choix de porter leur arme hors service. De même, depuis le 23 janvier 2018, le site intranet de la gendarmerie a diffusé les nouvelles mesures liées à la mise en place des nouvelles directives accompagnées de nombreux supports pédagogiques (film, fiches, infographies, référentiels sur les armes employées) au titre de la formation continue des militaires. Il convient, cependant, de rappeler que, pour être en mesure de porter efficacement assistance à la population, les policiers pouvaient déjà précédemment décider de porter leur arme hors service. En effet, si les modalités du port de l’arme dans le cadre de la vie privée ont été largement étendues à compter de 2015-2016 comme rappelé ci-dessus, les dispositions réglementaires antérieures autorisaient déjà les agents à garder leur arme, soit sur le trajet entre leur domicile et leur lieu de travail, soit dans le ressort territorial où ils exerçaient leurs fonctions. Ce régime, largement adopté par les personnels exerçant des missions de police judiciaire, leur permettait d’être immédiatement disponibles pour répondre à une demande de rappel effectuée par leur hiérarchie pendant leurs périodes de repos, les temps d’intervention étant alors d’autant plus réduits. S’agissant du recensement des usages de l’arme individuelle, les informations relatives aux conditions de l’usage des armes individuelles et collectives sont enregistrées pour la police nationale, depuis janvier 2012, dans une application dénommée « traitement relatif au suivi de l’usage des armes » (TSUA). Y sont enregistrés les tirs opérationnels effectués dans les conditions légales requises (légitime défense, état de nécessité, etc.), que l’usage de l’arme individuelle ait lieu pendant ou en dehors du temps réglementaire de travail, dès lors que cet emploi est légitime et répond à un besoin de protection. Aussi, dans l’application, les usages d’arme effectués en dehors du temps de service ne sont pas recensés en tant que tels, puisque tout fonctionnaire de police auteur d’un tir opérationnel est légalement réputé être en fonction. Le TSUA ne recense en outre pas les usages résultant d’un acte d’auto-agression ou d’une tentative de suicide. Concernant la gendarmerie, l’usage des armes en instruction est suivi dans le système Aghor@ par le biais du carnet de tir électronique. S’agissant du recensement des usages des armes en ou hors service, il est réalisé de manière systématique avec collationnement national par la direction générale de la gendarmerie nationale à l’aide d’un système d’information interne à caractère obligatoire (Evengrave). Les cas d’usage des armes hors service recensés en 2016 et 2017 ne concernent que les actes auto-agressifs (y compris les tentatives) ou les erreurs de manipulation hors unité en vue d’une prise de service ou à la fin d’un service. En 2016, il a ainsi été comptabilisé 1 tentative de suicide hors service et en 2017 1 suicide hors service avec l’arme de dotation. S’agissant des problèmes que peuvent poser les usages d’arme hors service, l’inspection générale de la police nationale (IGPN) traite des dossiers judiciaires portant sur des cas d’utilisation dans lesquels existe un doute sur la légitimité du tir. Ces dossiers sont toutefois peu nombreux et ne remettent nullement en cause le principe et la pertinence du port d’une arme hors service. Le constat est identique pour la gendarmerie qui dispose de l’inspection générale de la gendarmerie nationale qui est chargée de diligenter ce type d’enquête. En 2016, l’IGPN était saisie de trente-deux enquêtes judiciaires relatives aux circonstances de l’usage de l’arme individuelle, dont seulement deux portaient sur des tirs hors service. En 2017, sur quarante-six enquêtes judiciaires portant sur l’emploi de l’arme individuelle, trois concernaient des tirs hors service. S’agissant de l’inspection générale de la gendarmerie nationale, elle a diligenté huit enquêtes relatives à des usages des armes en 2016 et neuf en 2017. Elle n’a été saisie d’aucune enquête judiciaire suite à un usage des armes hors service commis par un militaire de la gendarmerie. Il doit toutefois être noté que l’IGPN, tout comme l’IGGN, n’est pas saisie de tous les cas d’utilisation de l’arme individuelle, en service comme hors service, la saisine d’un service d’enquête relevant de la seule décision du parquet. En tout état de cause, le ministère de l’intérieur n’entend pas revenir sur cette possibilité offerte aux policiers et aux gendarmes, qui leur permet en particulier de se protéger. Il convient à cet égard de rappeler que les attentats commis depuis novembre 2015 sur le territoire national ont coûté la vie à plusieurs policiers, qui de surcroît, comme les gendarmes, ont été à plusieurs reprises les principales cibles d’agressions terroristes. Par ailleurs, il convient de souligner, sans pouvoir toutefois le comptabiliser, que le port de l’arme hors service facilite leur intervention et leur permet ainsi de remplir leurs missions et de contribuer à la résolution d’affaires en procédant notamment à l’interpellation d’auteurs en flagrance. Ceci relève pleinement des missions fondamentales qui incombent à l’État, notamment aux termes de l’article L. 111-1 du code de la sécurité intérieure qui dispose que « l’État a le devoir d’assurer la sécurité en veillant, sur l’ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre publics, à la protection des personnes et des biens. »