STÉPHANE HESSEL – Sa mort aura fini par sanctifier Stéphane Hessel. Malgré tout le respect qu’on peut, qu’on doit avoir pour l’itinéraire d’un homme qui a traversé le siècle bon pied bon oeil, et qui est devenu une star une fois atteint le 4ème âge, le plus captivant et le plus difficile reste de comprendre le phénomène Hessel.
Jeudi 28 février, nos journaux seront remplis d’hommages. Chacun de nous arrivera l’éloge au fusil et saluera sa grandeur. Moi comprise. Un succès venu tardivement reste toujours mystérieux. Hessel est avant tout une légende créée par l’homme lui-même et par les vicissitudes d’une existence qu’il sut mettre en scène avec élégance.
Le film Jules et Jim relatant la vie de ses parents, son engagement de résistant et sa déportation à Buchenwald, qui en faisaient un exemple de courage, sa longue vie, son inépuisable énergie et surtout son optimisme ont fini par en faire un héros, en ces temps où nous en manquons cruellement. Il pouvait réciter des poèmes, toujours les mêmes, faire des discours, souvent un peu longs et répétitifs, soutenir avec enthousiasme toutes les causes perdues, être partout pour en parler avec plaisir. Il était quelque part devenu l’arrière-grand père des désespérés. Il n’était pas un grand intellectuel, mais parlait bien, maniant les mots avec art, se contemplant un peu lui-même dans ces mots.
Il soutenait chaque personne qui le lui demandait, sans distinction. Et il m’a soutenue, moi aussi, lorsque j’ai fait appel à lui. Qui ne souhaitait pas l’avoir de son côté, à ses côtés? Était-il un homme gentil? Quelle importance? L’essentiel était qu’il soit partout. Tout le monde voulait l’avoir à son colloque, à sa journée de commémoration, à sa radio, à sa télé. Il avait été érigé en auguste amuseur de ceux qui étaient tristes pour s’être trop amusés ou pas assez. Avec quelques pages remplies d’empathie, il fit de l’indignation une religion, une vocation. Et c’est là que résida sa grandeur, plus que dans ce qu’il écrivait ou disait. S’indigner, plutôt que se révolter, voilà le slogan de notre modernité moderne. Avec l’autorité que lui conféraient le grand âge, son parler de grand bourgeois et son rire, il a pu devenir cette rock star dont une jeunesse à bout et sacrifiée par la crise avait besoin un peu partout.
Il était aussi un vrai Européen, ne serait-ce que par le fait de sa propre histoire. Et il l’était en ces sinistres temps de scepticisme européen. C’était un humaniste aussi, humanités comprises. Il était ce que nous ne sommes plus, et son côté démodé lui-même était précieux, qui rappelait ce passé dont nous avons besoin pour nous construire et qui nous manque. Il était à lui tout seul un siècle qui n’en finit pas, comme d’ailleurs ses interminables discours. En ces temps de jeunisme, il incarnait ce vieux sage que nous n’avons plus l’occasion de fréquenter puisque, nos parents et nos grands-parents, désormais, nous les enfermons dans des maisons de retraite. Dans cette société qui n’aime pas les anciens et qui tente de s’en débarrasser, lui était là pour dire ou démontrer le contraire. Et contre l’Alzheimer qui nous détache de notre mémoire, il était, par son hypermnésie, le modèle de ce que nous voudrions être lorsque nous serons vieux nous-mêmes.
Oui, c’est ainsi qu’il était devenu l’idole des jeunes et des vieux. Ses livres populaires, petit format et peu de pages, donnaient l’illusion à ceux qui ne lisaient plus qu’ils les rendaient intelligents. Ils leur donnaient du courage, aussi. Bestseller inattendu, rock star sans en avoir le look, sage sans l’être vraiment, vrai héros et héros fabriqué de toutes pièces, Hessel était au fond tout ce qu’il n’était pas vraiment, et on l’aimait aussi pour cela.
On pouvait ne pas être toujours d’accord avec ses idées, mais on ne pouvait pas ne pas reconnaître qu’il était un phénomène. Prenons le temps maintenant, au calme, de comprendre ce phénomène. Jusqu’au prochain?
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