Elle milite pour l’abrogation du délit de racolage passif et soutient le droit de vote des étrangers. L’écologiste Esther Benbassa détonne au Palais du Luxembourg.
Avis de gros temps sous les combles du palais du Luxembourg. « Mais qu’est-ce que c’est que ces complots? On se croirait au Vatican ! », tonne, téléphone en main, la sénatrice écologiste Esther Benbassa. L’élue Europe Ecologie-Les Verts (EELV) du Val-de-Marne vient d’apprendre que le groupe socialiste du Sénat, qui soutenait sa proposition de loi visant à abroger le délit de racolage passif – le texte est actuellement en débat au Sénat –, vient de faire volte-face trois jours avant la discussion en séance. « Après l’avoir voté en commission, ils veulent désormais l’enterrer ! On n’y comprend plus rien ! », s’étrangle-t-elle. Ce matin-là, l’universitaire entrée sur le tard en politique organise la riposte. « J’ai la peau dure, je suis une teigneuse », grince-t-elle. Vingt-quatre heures plus tard, la motion de renvoi des socialistes sera retirée.
Un accord arraché au forceps tant ses positions sur la prostitution dérangent certaines sénatrices, aiguillonnées par de très actives associations favorables à la politique abolitionniste voulue par la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud- Belkacem. Esther Benbassa « ne cache nullement son engagement pour la reconnaissance du “travail sexuel” et contre la pénalisation des clients, ni son soutien financier au Syndicat des travailleurs du sexe [Strass] », dénonce le collectif Abolition 2012 qui rassemble une cinquantaine d’associations abolitionnistes. De fait, la sénatrice n’a jamais nié avoir versé, sur sa réserve parlementaire, une subvention de 4 000 euros au Strass.
Depuis son élection, en 2011, Esther Benbassa n’est pas passée inaperçue au Palais du Luxembourg, avec ses cheveux rouges en pétard, ses chaussures tantôt pailletées, tantôt multicolores, toujours à talons, ou ses mains qui agrippent sans façon les costumes passe-muraille. Jusqu’à ses « r » roucoulés à l’orientale. « Mon accent, c’est ma négritude. Je suis comme je suis. Je n’ai pas envie de devenir blanche », lâche Madame la sénatrice, qui n’a surtout pas envie de ressembler aux « professionnels de la politique, jamais habités par le moindre engagement, ceux qui ont peur de tout ».
Elle a défendu le mariage gay, s’est déclarée favorable à la procréation médicalement assistée, a lu des textes en faveur du vote des étrangers aux élections locales et dénoncé les contrôles au faciès. « Faute de pouvoir changer l’environnement économique, on doit se battre pour des réformes voulues par le peuple de gauche : il faut répondre à ces questions symboliques », plaide-t-elle. Pourtant, jusque dans son propre camp, on aimerait voir se tarir un peu le flot de ses indignations. « J’étais modérément enthousiaste au fait que l’espace réservé aux écologistes soit encore trusté par un sujet sociétal comme le racolage passif », avoue le chef de file des écologistes au Sénat, Jean-Vincent Placé. Mais Esther avait pris soin d’assurer ses arrières en obtenant au préalable le soutien du conseil fédéral d’EELV.
Née à Istanbul il y a soixante-trois ans, Esther Benbassa a étudié à Tel-Aviv avant de débarquer en France en 1972. Chercheuse au CNRS, elle enseigne aux Etats-Unis. Elle est aussi la première femme à occuper la chaire d’histoire du judaïsme moderne à l’Ecole pratique des hautes d’études. L’activiste hyperactive cache à peine une rouée politicienne (elle appelle ça « faire du racolage au Sénat »). « Elle est à l’aise, utilise tous les codes de la politique même si elle n’a pas aseptisé son discours », confirme la sénatrice UDI Chantal Jouanno. « Au Sénat, elle ne passe plus pour une punk », constate Jean-Vincent Placé. Régulièrement, elle prend un café place Vendôme avec Christiane Taubira. Elle lui trouve « un charisme à vous foudroyer ». Et lui rappelle : « Quoi que tu fasses, tu resteras une négresse. » Et elle, une immigrée juive au bel accent oriental.
Stéphanie Marteau