Un plan global contre la traite des êtres humains cet automne (Localtis.info, 4 avril 2013)

Par Michel Tendil.

 » En abrogeant le délit de racolage passif, les sénateurs ont anticipé le plan global sur lequel travaille le gouvernement. Au Sénat, la ministre des Droits des femmes a ainsi relancé l’idée d’une pénalisation des clients. En attendant, sur le terrain, des élus s’estiment totalement désarmés devant les filières.

Hasard du calendrier : le ministre de l’Intérieur a annoncé, le 2 avril, le démantèlement de deux réseaux de prostitution organisée à Toulouse et dans le département de la Seine-Saint-Denis. Et ce, quatre jours après l’adoption par le Sénat de la proposition de loi d’Esther Benbassa (EELV, Val-de-Marne) abrogeant le délit de racolage passif instauré en 2003. « Toutes ces opérations sont le résultat d’un travail d’enquête minutieux qui s’est déroulé sur plusieurs mois, a indiqué le ministre. Les investigations se poursuivent actuellement afin de mettre un terme à ces filières qui exploitent la misère de femmes venues de Roumanie. »
Le délit de racolage passif prévu à l’article 225-10-1 du Code pénal a été instauré par la loi de Sécurité intérieure du 18 mars 2003 avec un double objectif : répondre aux riverains qui se plaignaient de la présence de prostituées en ville tout en luttant plus efficacement contre les réseaux de proxénétisme, notamment en recueillant des renseignements auprès des prostituées placées en garde à vue. Dix ans après, le bilan est décevant. Selon les statistiques du ministère de l’Intérieur citées dans le rapport de la commission des lois du Sénat, le nombre de gardes à vue pour racolage n’a cessé de diminuer depuis sa mise en oeuvre, passant de 4.712 en 2004 à 1.668 en 2012. Quant aux gardes à vue pour proxénétisme, elles sont restées plutôt stables : 752 en 2012, contre 775 en 2000, avant la création du délit… En 2009 par exemple, 2.315 personnes ont été mises en cause pour racolage mais sur les 465 personnes mises en cause pour proxénétisme et proxénétisme aggravé, aucune n’a été condamnée, rappellent les auteurs de la proposition de loi !
Non seulement le délit de racolage n’a pas permis de lutter contre les réseaux de prostitution, mais il n’a fait que déplacer le problème. La sénatrice Virginie Klès, rapporteur du texte, constate ainsi « une diminution des personnes prostituées en centre-ville » et « un éloignement des personnes prostituées des lieux d’accès au droit et aux soins ». Les prostituées ont été amenées à se déplacer vers des endroits isolés : zones industrielles, bois, routes nationales, où elles se trouvent « plus exposées à un risque de violences » et « éloignées des associations qui peinent à accéder à elles ». Cette situation avait été dénoncée par l’Igas dans un rapport de décembre 2012.
Interpellé récemment par le sénateur Roland Courteau (PS, Aude) qui s’inquiétait d’une recrudescence de la prostitution « sur certaines sections de routes du département de l’Aude et des départements limitrophes », le ministre de l’Intérieur avait indiqué que « les prostituées exploitées par des réseaux [restaient] peu enclines à se confier aux enquêteurs par peur de représailles ».

« Bordels flottants »

En supprimant le délit de racolage passif, les sénateurs répondent à un engagement de campagne de François Hollande. Seulement, le gouvernement souhaiterait l’inscrire dans un « plan global contre la traite des êtres humains » qui, selon la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, sera présenté à l’automne. Ce plan pourra s’appuyer sur les travaux actuellement menés à l’Assemblée par les députés Catherine Coutelle, Maud Olivier et Guy Geoffroy, et au Sénat par Jean-Pierre Godefroy et Chantal Jouanno.
La ministre voudrait éradiquer la prostitution en associant des mesures de protection pour les prostituées et une répression accrue sur les proxénètes. « Nous nous sommes engagés à abroger le délit de racolage passif : cet engagement sera bien sûr tenu », a-t-elle insisté, avant de relancer aussitôt l’idée d’une pénalisation des clients citant les exemples de la Suède, du Royaume-Uni et du Danemark (sur le sujet, voir l’analyse comparée du Sénat). « Gardons à l’esprit que, en France, les clients de prostituées mineures ou de femmes vulnérables sont d’ores et déjà sous le coup de la loi pénale », a-t-elle fait valoir. L’ancienne ministre Chantal Jouanno est sur la même ligne. Elle a d’ailleurs déposé des amendements, finalement rejetés, punissant les clients d’une peine de deux mois de prison et de 3.750 euros d’amende, assortie d’un « stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution ».
L’exemple de la Suède a pourtant été mis à mal par Esther Benbassa qui y a constaté l’existence de véritables « bordels flottants » permettant de contourner la loi, de même qu’un essor de la prostitution sur internet…

Des maires « totalements désarmés »

Dans son plan, la porte-parole du gouvernement veut par ailleurs impliquer les collectivités, notamment pour le financement des associations. Elle a indiqué qu’un travail spécifique était en cours avec les conseils généraux « afin que les dispositifs de protection existant dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance soient également pleinement mobilisés pour protéger les prostituées mineures ».
La suppression du délit de racolage en l’absence de mesures complémentaires suscite des inquiétudes chez les élus. Jean-Pierre Godefroy (PS, Manche) a mis en garde sur les difficultés que la suppression du délit de racolage faisait peser sur les maires. « On me dit qu’il est possible de s’en remettre aux arrêtés municipaux. Mais ce sera très difficile pour les maires », a-t-il souligné, rappelant que, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat et celle de la Cour de cassation, la prostitution sur la voie publique ne peut constituer un trouble à l’ordre public pouvant justifier une mesure de police administrative. « Autrement dit, en l’absence de racolage actif, la prostitution ne relève pas du trouble à l’ordre public, et les maires sont totalement désarmés. »
Récemment, le député du Gard Patrice Prat (SRC) avait ainsi alerté la garde des Sceaux, dans une question écrite, sur l’exaspération de nombreux élus locaux du département suite à l’afflux de « prostituées souvent d’origine bulgare ou roumaine, au nombre d’une centaine, remontées d’Espagne à cause d’un durcissement de la législation sur le racolage et des conséquences de la crise économique », causant « de graves troubles à l’ordre public (nuisance de voisinage, outrage à la pudeur, problèmes de santé publique… ». « Les forces de l’ordre s’avouent aujourd’hui impuissantes à endiguer ce phénomène, faute de dispositif juridique adéquat », avait-il déploré.
S’agissant de la lutte contre les filières, Esther Benbassa a demandé de s’inspirer des mesures en vigueur en Italie depuis 1998, permettant aux prostituées, une fois sorties d’un réseau, de se voir accorder un permis de séjour de six mois renouvelable un an si elle trouve un emploi. La garde des Sceaux Christiane Taubira lui a répondu que ses services et ceux de l’Intérieur étaient en train de finaliser le décret sur le statut de repenti en attente depuis 2004. Elle a également annoncé un projet de décret portant création d’une mission interministérielle de coordination pour la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains et la protection des victimes. Désignant nommément les filières tsiganes, nigériannes et chinoises, Najat Vallaud-Belkacem a pour sa part insisté sur l’importance de la coopération internationale dans les zones transfrontalières. Selon elle, l’action de l’OCRETH (Office central pour la répression de la Traite des êtres humains) a permis le démantèlement de 51 réseaux en 2012, « soit 30% de plus qu’il y a deux ans ». »

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