Sur les plus de 1.200 perquisitions réalisées depuis le début de l’état d’urgence, les médias rapportent plusieurs erreurs. Ces dérives commencent à être soulignées. Un comité de suivi a été mis en place au Sénat. Toutes les semaines, l’exécutif va tenir au courant les parlementaires.
L’état d’urgence passé au crible. Depuis la mise en place de ce régime d’exception par François Hollande, au lendemain des pires attentats qu’ait connu la France, l’état d’urgence a permis 1.233 perquisitions, 165 interpellations, dont 142 gardes à vue et 230 armes saisies, et 266 assignations à résidence, selon des chiffres donnés mardi par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve.
Réveillé en pleine nuit par la police, sa femme a cru « que c’était des terroristes »
Si politiquement la quasi-totalité du Parlement a soutenu la prolongation de trois mois et le renforcement de l’état d’urgence, certains s’interrogent sur les abus, dérives ou bavures qui commencent à s’accumuler. Si ces faits restent une minorité, les récits de ses perquisitions qui seraient faites par erreur ne sont pas anodins. Premier cas relevé dans la presse régionale : celui de cette petite fille de 6 ans, blessée par des éclats au cou lors d’une perquisition réalisée par erreur. Son père a été plaqué au sol alors que les policiers visaient son voisin, rapporte Nice Matin. A Toulouse, La Dépêche du Midiraconte comme Taoufik Mhamdi a été réveillé en pleine nuit avec sa femme et leur fils de deux ans par « une cinquantaine » de forces de l’ordre. Sa conjointe « a cru que c’était des terroristes » raconte-t-il, ne comprenant pas pourquoi la police les ont ciblés.
D’autres exemple : ici un restaurant halal perquisitionné dans le Val-d’Oise, comme le raconte Le Monde. Là une ferme bio du Périgord, dont les occupants, membres de la CNT, avaient bloqué un péage il y a trois ans pour s’opposer à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, relate le site d’info Bastamag.
« Espérons qu’on n’arrive pas à des grosses bavures »
« Tout ça, se sont des réminiscences historiques. Les bavures, l’Etat en a déjà commis pendant l’état d’urgence » lors de la guerre d’Algérie, rappelle la sénatrice Esther Benbassa, qui évoque « les tueries du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962, métro Charonne ». La sénatrice EELV s’est abstenue lors du vote sur la prolongation de l’Etat d’urgence. « J’ai demandé qu’il ne soit pas trop long. Plus il est long plus y a des bavures possibles. Vues les peurs et les attentes de la population, la police fera du zèle à la fin. Espérons qu’on n’arrive pas à des grosses bavures », affirme Esther Benbassa, qui craint « un ressentiment » chez les populations visées. « Qui va-t-on arrêter dans la rue ? Ce sera au faciès. On ne va pas arrêter le garçon aux yeux bleus ».
Pour le sénateur Les Républicains François-Noël Buffet, « plus vous avez des pouvoirs importants, plus il faut être vigilant dans la manière de les exercer ». Mais pour le sénateur, « on n’a pas le choix ». « S’il y a des abus manifestes, il faudra éventuellement sanctionner » ajoute-t-il. « S’il y a des abus, il faut les signaler » encourage la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann, « pour que le comité de suivi puisse les évaluer ».
Comité de suivi au Sénat
Ce comité de suivi de l’état d’urgence vient d’être mis en place par la commission des lois du Sénat. L’institution revendique un rôle de garant des libertés individuelles. Le comité a pour rapporteur le sénateur UDI Michel Mercier, ancien garde des Sceaux, et l’ensemble des groupes sera représenté. Une première audition est prévue le 9 décembre avec François Molins, le procureur de la république de Paris, chargé de faire le point de l’enquête sur les attentats pour les medias.
En parallèle, le Parlement sera informé régulièrement de l’évolution de l’état d’urgence et des questions terroristes. Ce matin, députés et sénateurs ont été reçus par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Côté Haute assemblée, Philippe Bas (président LR de la commission des lois), Alain Richard (PS), Jean Vincent Placé (groupe écologiste), Guillaume Arnell (RDSE), Vincent Capo-Canelas (UDI) et Elianne Assassi (PCF) ont fait le déplacement. « J’apprécie que le gouvernement réunisse les parlementaires et les informe. Nous sommes des parlementaires et des élus de proximité. C’est normal qu’on soit informé en tant que représentant du peuple », souligne la présidente du groupe CRC.
La semaine prochaine, rendez-vous rue de Varenne. « Nous réunirons tous les 15 jours à Matignon les présidents des assemblées, des commissions concernées et des groupes pour donner des informations précises sur la lutte contre le terrorisme. Et tous les 15 jours, en alternance, le ministre de l’Intérieur va recevoir les responsables des groupes » a expliqué Manuel Valls lors des questions d’actualité au gouvernement, ce jeudi au Sénat. « Bien sûr, le Parlement exercera son contrôle » assure le premier ministre.
« Dans la plupart des cas, les perquisitions apportent des informations »
Alain Richard, ancien ministre de la Défense, est revenu satisfait de son entrevue Place Beauvau. Il met en garde contre « une certaine facilité – car il faut remplir de la copie tous les jours – à dire qu’il y a des perquisitions qui ne servent à rien. Elles serviront sans doute plus tard » souligne le sénateur-maire PS de Saint-Ouen-l’Aumône. C’est la commune du restaurant halal qui a subi une perquisition infondée, selon son propriétaire. « Le ministre a dit ce qui est de bon sens. Dans un très grand nombre d’interventions, il y en a quelques-unes qui sont mal organisées ou mal planifiées. Il fait des rappels. Et ils sont justifiés. (…) Mais quand il n’y a pas de délit constaté immédiatement, est-ce que ça veut dire que la perquisition n’a apporté aucune information ? Dans la plupart des cas, elles en apportent. Simplement, elles ne sont pas publiées au Journal officiel dans le quart d’heure. Ça s’appelle du renseignement… » lance l’ancien ministre (voir la vidéo).
Le ministre n’a pas fait simplement le point sur l’état d’urgence devant les parlementaires. « Bernard Cazeneuve a insisté sur le fait que dans les 27 partenaires du réseau Schengen, il y avait de grandes inégalités dans l’approfondissement de l’information et le partage de cette information » affirme Alain Richard. Autrement dit, on parle ici des faillites du renseignement entre Etats membres de l’Union. Les terroristes ont pu utiliser ce manque d’échange comme « stratégie » pour être « le moins possible détectés par avance », a « suggéré le ministre » selon le sénateur du Val-d’Oise. Alain Richard ajoute pour sa part cette hypothèse, pour le moins troublante : « Chez certains de nos partenaires européens, il peut y avoir de la lenteur, mais pour d’autres, on peut s’interroger, compte tenu de leur parcours et l’histoire de leur système policier, sur la question de savoir si ce ne serait pas délibéré. C’est-à-dire moins on gêne ces réseaux là, moins on risque d’avoir des ennuis. Ça peut être un calcul ». Des partenaires européens qui n’auraient pas transmis à la France un renseignement d’ordre terroriste pour se protéger eux-mêmes en somme. Il faudra peut-être créer un comité de suivi du renseignement européen.
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