Pour préserver les droits et la dignité humaine, une politique européenne de l’asile
- 18 AVR. 2018
- PAR LES INVITÉS DE MEDIAPART
- ÉDITION : LES INVITÉS DE MEDIAPART
Le projet de loi asile et immigration présenté cette semaine au vote de l’Assemblée nationale constitue une nouvelle attaque contre les droits humains : réduction du délai de dépôt des demandes d’asile ainsi que de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, enfermement plus long (90 jours) et systématique, généralisation de la visioconférence… Ce texte n’aura aucun effet sur les mouvements de population, tout en instituant une nouvelle entaille dans l’Etat de droit. Ces reculs fondamentaux constituent des attaques contre la dignité humaine.
La France choisit son Europe à la carte, et en matière de droits humains, le compte n’y est pas. Malgré les fanfaronnades du Président de la République devant Messieurs Bourdin et Plenel, nous avons mis à mal l’état de droit avec une loi établissant une sorte d’état d’urgence permanent. Nous sommes régulièrement condamnés par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour violences policières, expulsions abusives ou mauvais traitements dans les prisons. Enfin, nous sommes l’un des pays ayant le moins pris notre part de la solidarité dans l’accueil des réfugié·e·s, d’autres Etats comme l’Allemagne ou la Suède les ayant accueillis en plus grand nombre et avec plus de dignité.
La manière dont nous traitons aujourd’hui en France les réfugié·e·s et aux personnes qui les aident, ne préserve ni n’honore nos valeurs et notre identité, elle n’aidera pas non plus à insérer durablement ces personnes en détresse qui nous demandent asile. L’Allemagne ou la Suède avaient pourtant tenté de montrer une autre voie et continuent à le faire.
Pour une véritable politique européenne de l’asile
Les extrêmes droites, à l’Est comme à l’Ouest, se nourrissent de l’incapacité de l’Union et de nombre de ses Etats-membres à faire vivre l’hospitalité, l’humanité et la fraternité. Alors que les murs se construisent entre les Etats-membres jusqu’au sein de l’espace Schengen, et que les pays les plus en difficulté économique se retrouvent souvent seuls face à l’accueil comme l’Italie ou la Grèce, les Européens choisissent de nouer des accords bilatéraux ou multilatéraux avec des pays tiers prétendus « sûrs » comme la Turquie ou la Libye.
L’Union européenne, ce projet de paix et de solidarité entre les nations, est née au moment où nous condamnions les crimes contre l’humanité. Elle fut bâtie sur l’idéal du bien-vivre et des libertés, dont la liberté de circulation. Il n’y aura pas de solution au défi migratoire tant que les Etats-membres joueront le jeu du « chacun pour soi ».
La réponse au défi migratoire se situe dans la mise en place d’une véritable gouvernance européenne de l’asile, d’une Agence européenne qui remplacerait les offices nationaux, dotée de règles communes de réception des demandes d’asile et capable d’un traitement administratif direct. Cette réponse implique également la mise en place de voies légales et sûres de migration pour un terme aux drames à nos frontières.
Cette politique européenne aurait pour objectif de garantir l’effectivité des droits pour tout·e·s et de répartir équitablement les réfugié·e·s sur les territoires, en tenant compte à la fois de leurs capacités d’accueil et des souhaits des personnes arrivant en Europe. Cette politique aurait aussi pour objectif d’investir sur les territoires d’accueil pour accompagner dans l’insertion durable des arrivant.es.
Nos villages, villes et territoires européens agissent déjà. Grande-Synthe, Grenoble, Wuppertal (Allemagne), Barcelone (Espagne), Riace et Camini (Italie), Bosilegrad (Serbie)… oeuvrent à l’accueil des réfugié·e·s, la protection de celles/ceux qui les aident, l’hébergement et l’organisation urbaine, la formation universitaire et professionnelle, et tissent des politiques de solidarité. Elles visent aussi à répondre à la détresse sociale créée par la pauvreté et l’exclusion, le mal-logement ou le chômage de longue durée. Nombre de maires créent, sur le terrain, l’Europe sociale dont nous attendons toujours l’avènement. Devant le Parlement européen, Emmanuel Macron a évoqué un pacte européen qui financerait les collectivités locales accueillant des réfugiés. Cette proposition ne doit pas rester une parole en l’air, les collectivités accueillantes ont bien trop besoin de soutiens. Le Président Macron doit agir et porter rapidement cette proposition devant ses homologues européens au Conseil.
Prendre notre part aux enjeux du monde
Les migrations actuelles et celles à venir sont en grande partie dues à une politique colonialiste et productiviste menée par les pays occidentaux, et en premier lieu par les pays européens. La prospérité dont nous avons bénéficié est due à l’exploitation assidue des ressources des pays dits « du Sud », à un modèle agricole niant la souveraineté alimentaire, à un commerce mondial mettant toujours et toujours plus les bénéfices entre les mains de quelques-un.es.
Les migrations ne se tariront pas : le modèle productiviste engendre aujourd’hui des conflits et des dégradations environnementales dans les pays n’ayant jamais bénéficié de la croissance ni des avancées technologiques. De l’Érythrée au Soudan et à la Syrie, le nombre de déplacé·e·s environnementaux s’élève à 25 millions en 2016, et devrait s’élever à 143 millions d’ici 2050. Ces déplacé.es environnementaux migrent d’abord à l’intérieur de leurs pays, ou dans les zones voisines. L’Union a tout à gagner à tendre la main aux Etats concernés et à se saisir de la proposition de mise en place d’une gouvernance mondiale des migrations, comme cela a déjà été engagé dès 1992 pour l’environnement, le climat, la biodiversité, la désertification. Le soutien au Pacte mondial des migrations sûres proposé par l’ONU pour adoption en décembre serait déjà un premier pas.
Plutôt que de tourner le dos à la liberté, l’égalité, et la fraternité, la France doit promouvoir une Union européenne réaffirmant ses valeurs face aux conservateurs réactionnaires. L’Europe devrait redevenir la première puissance mondiale : celle de l’humanité, celle de la solidarité.
Signataires :
Esther Benbassa, sénatrice EELV de Paris et universitaire ; Damien Carême, maire de Grande-Synthe ; François Gemenne, spécialiste en géopolitique de l’environnement et des migrations ; Eva Joly, eurodéputée écologiste ; Eric Piolle, maire de Grenoble ; Sandra Regol, porte-parole d’Europe Ecologie – Les Verts ; Marie Toussaint, déléguée à l’Europe pour EE-LV.