Quand la torpeur de l’été et une certaine atonie de l’information menaçaient, les émeutes de vendredi à Trappes sont venues envahir nos écrans et les colonnes de nos journaux. Les commentaires politiques ont fleuri, pas toujours marqués au coin du sang froid ou de la bonne foi. C’est qu’il ne s’agit pas là, pour sûr, d’un simple fait divers.
L’ère Sarkozy n’est donc pas finie ?
Les problèmes ne manquent pas dans nos quartiers populaires. Les remèdes invoqués relèvent pour le moment d’une stratégie de l’affichage. Rien d’exceptionnel n’est encore sorti des décisions prises par les ministères qui les ont en charge. Espérons que les solutions-miracles ne tarderont pas davantage. Car il y a urgence. Et depuis si longtemps!
Le quotidien des habitants de ces ghettos pauvres et abandonnés à eux-mêmes depuis des lustres ne s’améliore pas. L’arrivée de la gauche au pouvoir n’a pas eu l’impact positif que certains en attendaient. Ceux qui vivent là peuvent facilement se dire que, globalement, droite ou gauche aux manettes, rien ne change jamais vraiment pour eux.
Cette « stabilité » du désespoir n’attend que l’occasion de se manifester. Une étincelle suffit à déclencher d’incendie. C’est ce qui est arrivé à Trappes, en ce mois de ramadan où la faim, la soif et la chaleur ne sont pas spécialement de nature à inciter au calme.
Avouons-le. Nous sommes encore, pour les quartiers, sous le régime Sarkozy. L’incident de Trappes, même si nous ne connaissons pas son déroulé avec certitude, revêt de toute évidence un double aspect. D’un côté, une certaine pratique du contrôle d’identité. De l’autre, l’interdiction du port du voile intégral par la loi entrée en vigueur en avril 2011.
Le voile de la discorde
S’il n’est pas question d’encourager le port de la « burqa » dans l’espace public ni de le tolérer dans l’indifférence, force est de constater que la loi de 2011 n’a pas eu l’effet escompté. Le nombre des personnes qui la portent n’a pas diminué. En avril 2013, 705 contrôles pour le même motif avaient donné lieu à 661 verbalisations à l’encontre de 423 femmes pour la plupart âgées de moins de 30 ans et nées en France. Cinq d’entre elles seraient des multirécidivistes contrôlées 10 fois en en deux ans.
A quoi sert donc cette loi qui ne réussit pas à endiguer le phénomène « burqa »? N’y aurait-il donc là rien de plus qu’une loi d’affichage anti-islam, drapée des atours de la bonne conscience laïque, destinée à persuader le peuple de France que l’Etat veille et lutte contre la « communautarisation » du pays ? Les chiffres sont éloquents : cette loi n’a servi qu’à une chose, à stigmatiser un peu plus les musulmans.
L’ironie, si l’on peut dire, en cette affaire, c’est que le port du voile intégral serait davantage le fait de converties à l’islam et de femmes nées en France. Et que la loi elle-même stimule et renforce le fameux « communautarisme » dont on taxe les Arabo-musulmans de France, comme d’une sorte de signe distinctif infâmant. Tant qu’à faire, ceux qui souffrent du rejet ne peuvent qu’être tentés de se replier un peu plus sur eux-mêmes et de se conformer à l’image qu’on renvoie d’eux. Le port de la « burqa », identité d’emprunt, hautement revendiquée, en est le témoignage.
Première question : pourquoi ces jeunes femmes, quand leurs aînées vivaient un islam traditionnel, s’engagent-elles dans une pratique radicale importée des pays musulmans les plus rigoristes? Deuxième question : pourquoi des femmes non musulmanes se convertissent-elles à un islam si radical? Certes, lorsqu’on se convertit, on a tendance à faire du zèle, à adopter les formes les plus strictes de la religion qu’on embrasse, histoire de se convaincre soi-même et de convaincre les membres de sa nouvelle communauté de l’authenticité et de la profondeur de son choix. Il n’en demeure pas moins une troisième question : pourquoi, tout simplement, ces jeunes femmes se convertissent-elles? Celle-là reste posée. Et nos élites feraient bien d’y réfléchir.
Ce sont toujours les mêmes qu’on contrôle
L’interdiction du port du voile intégral n’a sûrement pas aidé à pacifier les relations entre les habitants des banlieues (les jeunes notamment) et la police. Ces relations étaient déjà exécrables. Désormais, les forces de l’ordre peuvent multiplier les contrôles aussi auprès des femmes, jusqu’ici en général épargnées par les contrôles au faciès.
Finalement, ce sont toujours les mêmes qui sont contrôlés : les « Arabo-musulmans », ce groupe religieux et culturel le plus stigmatisé de notre pays. Personne n’osera jamais contrôler un Juif ultra-orthodoxe paré des attributs vestimentaires fort visibles de son engagement religieux. Ni une Juive ultra-orthodoxe en robe longue, perruque et/ou foulard. Mais une femme voilée, pire, en « burqa », là, c’est une autre histoire. Mais où est donc la différence ? Pourquoi, dans l’espace public, un vêtement gênerait plus que l’autre ?
Nul ne peut nier ni l’aspect humiliant de ces contrôles « au voile » ou « au faciès », ni la stigmatisation qui les encourage et qui en découle. Si rien ne justifie de brûler des voitures et des abris bus, il n’est en revanche pas difficile de comprendre les répercussions d’un acharnement qui met le feu aux poudres en un instant. Comme si toutes les frustrations et le ressenti des injustices accumulées cristallisaient autour d’une banale affaire de contrôle. Banale pour nous, du moins, qui ne le subissons jamais, ce contrôle. Pas banale du tout, en revanche, pour ceux qui en sont victimes quotidiennement.
Pourvu qu’ils ne bougent pas
Tant que le contrôle au faciès (et le contrôle de la femme en « burqa » en est un, quoi qu’on dise) ne sera pas rendu difficile, sinon impossible, par une réglementation et un usage rigoureux, et tant que notre ministre de l’Intérieur ne prendra pas les mesures indispensables à son éradication, tout en veillant à l’éducation d’une police qui, face aux faibles, se croit parfois trop forte, et dont certains des membres ne sont sûrement pas imperméables aux préjugés qui pèsent sur certains groupes, rien ne changera.
Manuel Valls aspire à vivre en paix avec sa police, et on peut le comprendre. D’où, sans doute, sa réticence à avancer sur la question du contrôle au faciès. La plupart des syndicats de police sont résolument contre l’instauration du récépissé. Aucune de nos tentatives pour faire bouger les lignes n’a abouti. Et je ne dis rien, bien sûr, des mesures fortes qu’il faudrait prendre pour lutter contre la relégation, la misère et le désespoir de nos quartiers populaires.
Que faire, dès lors, sinon subir ces émeutes ponctuelles, qui rappellent (en vain ?) à nos dirigeants le mal-vivre des banlieues ? Ce ne sont ni des réformettes, ni de beaux discours, ni les rapports à la chaîne et les concertations à l’infini qui déracineront ce mal-vivre. Mais une authentique volonté politique de lutte pied à pied contre l’injustice, contre la stigmatisation, contre l’humiliation, contre le chômage massif et contre la pauvreté endémique de ces zones en déshérence. Y ramener la République, c’est d’abord cela.
Je finirai en disant que l’on récolte ce que l’on sème. Les émeutes ne sont que des signaux d’alarme. Pour dire : ça suffit ! La répression est une réponse de circonstance, qui ne règle en rien les problèmes accablant ces territoires « lointains ». Loin des yeux, loin du cœur. Pourvu qu’ils ne bougent pas, n’est-ce pas ? Pour le reste, on verra.
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