La question de l’élaboration de statistiques ethniques revient dans le débat public. La porte-parole du gouvernement a remis au goût du jour cette discussion. En France, il est interdit de collecter des données en lien avec l’origine des personnes. A quelques exceptions près.
C’est un débat qui revient régulièrement dans l’opinion publique. Faut-il autoriser les statistiques ethniques en France? La discussion a été relancée par la porte-parole du gouvernement elle-même, dans une tribune publiée dans Le Monde. Sibeth Ndiaye estime que ces données permettraient de lutter contre une « forme de racisme impensé ». Plusieurs de ses collègues du gouvernement se sont positionnés contre cette idée. Le président de la République a tranché: « à ce stade », le débat sur les statistiques ethniques ne sera pas ouvert.
BFMTV.com fait le point sur ces statistiques ethniques, présentées comme interdites en France, à quelques exception près.
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Depuis quand les statistiques ethniques sont interdites en France?
Les statistiques ethniques sont interdites en France par la loi Informatiques et libertés qui date du 6 janvier 1978. Dans ce texte est stipulé qu' »il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci. » Le non-respect de cette interdiction est passible de cinq ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende, selon l’article 226-19 du code pénal.
Cette interdiction a été rappelée en 2007, quand le Conseil constitutionnel s’est prononcé contre l’élaboration de statistiques reposant sur l’origine ethnique des personnes. Les Sages s’opposaient alors à l’article 63 de la loi sur l’immigration qui visait à modifier la loi de 1978 en autorisant les statistiques ethniques sous le contrôle de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, uniquement dans le cadre de la « conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration ». Le Conseil avait alors rappelé l’article 1 de la Constitution française, qui dispose que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Face à cette interdiction de principe, il existe une multitude de dérogations. Ainsi, la même loi de 1978 précise de nombreuses exceptions: si « la personne concernée a donné son consentement exprès », si ces statistiques visent à défendre l’intérêt général ou à protéger une personne. L’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques, ou l’un des services statistiques ministériels peuvent procéder à ces statistiques mais ce travail est soumis à l’avis de la CNIL et du CNIS, le Conseil national de l’information statistique, qui étudie au cas par cas les demandes des chercheurs en fonction de l’objectif de leurs recherches, du consentement des personnes interrogées ou de l’anonymisation des données.
Le Conseil constitutionnel a lui aussi en 2007 nuancé sa décision puisqu’il considère dans son avis que « les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration peuvent porter sur des données objectives ». « Ces données objectives pourront, par exemple, se fonder sur le nom, l’origine géographique ou la nationalité antérieure à la nationalité française », écrivent les Sages. Ils autorisent également le traitement des « données subjectives ». Ainsi l’Insee et l’Ined, l’Institut national d’études démographiques, étudient le « ressenti d’appartenance » des personnes interrogées.
« Ce que dit la loi c’est qu’il est possible de collecter des données sur l’origine ethnique ou raciale sous certaines conditions, dont la plupart sont examinées par la CNIL pour valider le protocole de collecte des données. Il est donc faux de dire que les statistiques ethniques sont illégales: elles ne le sont pas plus ni moins que les statistiques de santé. Elles sont contrôlées », résume pour Checknews Patrick Simon, directeur de recherches à l’Ined.
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Pourquoi relancer le débat maintenant?
La mort de George Floyd a relancé le débat sur le racisme aux Etats-Unis, mais aussi en France, où une manifestation rassemblant 15.000 personnes s’est tenue à Paris le week-end dernier.
Dans ce contexte, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, s’appuyant sur son parcours personnel, a indiqué vouloir rouvrir le débat sur les statistiques ethniques « de manière apaisée ». Regrettant « l’effacement de l’universalisme républicain », Sibeth Ndiaye estime qu’il ne faut pas « hésiter à nommer les choses, à dire qu’une couleur de peau n’est pas neutre, qu’un nom ou un prénom stigmatise ». « Le problème du racisme en France n’est pas réglé » estime-t-elle, dans la tribune.
« Mais nous pouvons le faire refluer au prix d’un combat inlassable, économique et social, démocratique et républicain, qui doit redevenir l’honneur de la France. Osons débattre publiquement de certains sujets hier encore discutés, aujourd’hui devenus tabous, sans sombrer dans les habituels procès d’intention. »
Une position bien isolée, puisque ses collègues du gouvernement se sont opposés à cette idée. « Je reste défavorable aux statistiques ethniques qui ne correspondent pas à l’universalisme français, au fait qu’un Français est un Français et que je ne regarde pas quelle est sa race, son origine, sa religion, et que je ne souhaite pas le regarder », a expliqué Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, sur France Info. Le ministre de la Ville Julien Denormandie, qui prône le suppression du mot « race » de la Constitution, en appelle dans Le Parisien à des statistiques par géographie, c’est-à-dire des « statistiques en fonction du lieu d’habitation », qu’il juge « moins stigmatisant » et « très performant ».
Le président de la République a semble-t-il signé la fin du débat. Emmanuel Macron a fermé pour l’instant l’idée d’autoriser les statistiques ethniques. Le président a indiqué à ses conseillers qu’il ne souhaitait « pas ouvrir à ce stade » de discussion.
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Pourquoi aucun gouvernement ne s’y est frotté?
Souvent abordée, l’élaboration des statistiques ethniques, terme derrière lequel se cache une définition mal établie, n’a finalement jamais été débattue. « Très souvent le débat s’enlise à la simple définition du terme « ethnique ». « Le débat s’arrête sur l’expression même de ‘statistiques ethniques’ et plus particulièrement sur la signification de l’adjectif ‘ethnique' », estimaient dans leur rapport sur la lutte contre les discriminations les sénateurs Esther Benbassa et Jean-René Lecerf.
L’idée de collecter ces données personnelles est souvent comparée au fichage des juifs pendant la Seconde guerre mondiale. Les opposants à ces données en fonction de l’origine des personnes estiment qu’elles vont à l’encontre des valeurs républicaines de la France, son universalisme, qui ne reconnaît aucune communauté. Ses partisans estiment à l’inverse qu’elles sont un moyen de lutter contre les discriminations.
« Je nous vois nous diviser pour tout et parfois perdre le sens de notre Histoire. Nous unir autour du patriotisme républicain est une nécessité », a affirmé Emmanuel Macron, avant de reconnaître brièvement qu’il persistait ici ou là, en France, des inégalités tributaires des origines ou de la religion de certains.
Mais ce débat est loin de répondre à une logique d’opposition gauche/droite. En 2009, sous Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux avait fait voter une loi pour autoriser ces statistiques. « L’idée, c’était ensuite de s’en servir pour faire de la discrimination positive », explique Nicolas Poincaré, journaliste politique à RMC. Le texte a été sanctionné par le Conseil constitutionnel. A l’Elysée, c’est François Hollande qui a hérité du débat, et juge ces statistiques inutiles en 2015. A cette époque, Robert Ménard, maire de Béziers affilié au Front national, est mis en cause dans une enquête après avoir évoqué un décompte des élèves musulmans de sa commune. Christiane Taubira, alors ministre de la Justice, s’insurge dénonçant une position « contraire à la loi » et « complètement imbécile ».
« Où l’on s’arrête? » s’interroge alors à l’époque Bruno Le Roux, président du groupe PS à l’Assemblée nationale.
En 2015, la droite remet les statistiques ethniques au menu des débats. C’est alors François Fillon, candidat pour la primaire, qui doit choisir le candidat pour la présidentielle, qui estime qu’il s’agit d' »un tabou qu’il faut faire sauter » invoquant comme justification la crise migratoire en Europe et en France. Mais la question de la définition a alors resurgi. Son adversaire Hervé Mariton s’était positionné contre, avançant son histoire personnelle. Il expliquait que son père était de la Drôme, alors que sa mère était juive pied noir. « Et moi, je coche quelle case? », avait demandé le député. « Juif Berberisé, Berbère judaïsé ou bien Dauphinois? ».
Manuel Valls, alors Premier ministre sous Hollande, avait évoqué à la suite des attentats contre Charlie Hebdo en 2015, un « apartheid territorial, social et ethnique ». Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national, s’est elle prononcée contre à plusieurs reprises, y voyant un moyen de préparer « la discrimination positive ».
Face à la résurgence de ce débat il y a quelques jours, le délégué interministériel à la lutte contre le racisme Frédéric Potier a estimé que les textes actuels permettaient déjà de mesurer les discriminations. « Nous pouvons mesurer les parcours intergénérationnels, voir que des personnes dont les parents étaient étrangers n’ont pas forcément la même mobilité, la même progression professionnelle que des personnes dont les parents seraient Français depuis plusieurs générations », a-t-il estimé sur Europe 1.
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Quelle utilisation de ces statistiques à l’étranger?
La France fait figure d’exception, comparée à ses pays voisins. En 2008, le Sénat, dans son rapport relatif à la lutte contre les discriminations, notait que 22 pays sur les 42 États membres du Conseil de l’Europe utilisaient dans les questionnaires de statistiques publiques des questions portant explicitement sur l’ethnicité. En Angleterre et au Pays-de-Galles, lors du recensement de 1991, une question sur l’appartenance ethnique était posée pour la première fois, avec 15 réponses possibles.
En Allemagne, les statistiques ethniques ou religieuses sont interdites, mais au moment de déclarer leurs impôts, les Allemands doivent dire s’ils sont catholique, protestant ou athée car les membres de ces Eglises paient un impôt. La Suisse, la Grèce et les Pays-Bas autorisent le relevé de données ethniques uniquement à des fins statistiques.
Au Canada, une question sur l’origine ethnique est posée depuis 1897 lors du recensement. Provoquant de plus en plus d’opposition. Chez son voisin américain, les statistiques ethniques sont autorisées. C’est notamment à partir de ces données que des études ont montré que les Noirs étaient davantage touchés par le coronavirus, à la fois car ils sont davantage atteint de pathologies facteurs de co-morbidité et en raison de leur précarité.