Investie dans les questions relatives aux droits de l’homme en milieu carcéral, la sénatrice Esther Benbassa a effectué un déplacement de trois jours dans le Sud de la France dans les prisons dites « sensibles ». De la Maison d’arrêt de Grenoble-Varces, en passant par le centre pénitentiaire de Perpignan où se trouve également une Maison d’arrêt pour femmes, la sénatrice termine son parcours à la prison d’Aix-Luynes.
À la suite de ses visites, la sénatrice souhaite partager ses observations pour alerter les autorités publiques sur les conditions de détention jugées indignes. Si l’administration pénitentiaire a connu une augmentation des crédits de paiement ces dernières années (4,5 milliards d’euros pour le budget 2022), ces efforts demeurent insuffisants. Il est urgent d’accorder davantage de moyens, notamment dans la rénovation du parc pénitentiaire et d’envisager une alternative sérieuse à la surpopulation carcérale.
Mardi 29 mars 2022 – GRENOBLE
Arrivée devant le centre pénitentiaire Grenoble-Varces, la sénatrice est directement interpellée par deux femmes et un homme qui attendaient devant la Maison d’accueil des familles. Ce lieu, situé à quelques mètres de la prison, se charge d’accueillir les familles avant le parloir. Les bénévoles servent du café et des petites collations, et un espace de jeux est réservé aux enfants. Tout détenu a droit au maintien de ses liens familiaux. Néanmoins un permis de visite doit être accordé par l’autorité judiciaire.
Après s’être annoncée à l’interphone, Esther Benbassa est accueillie par Patrick Malle, à la tête de la prison depuis le 1er septembre 2021. Il n’oppose pas de résistance à la visite alors que certains directeurs peuvent s’avérer parfois beaucoup plus méfiants et pointilleux sur le protocole. Solène Rostand, responsable du quartier des mineurs et adjointe au chef de détention, se charge d’effectuer la visite. Cette dernière travaille au sein de l’établissement depuis 2016.
La visite commence par le quartier des mineurs, fraîchement rénové. Cette structure, construite en 2005, est élaborée en surplus de la Maison d’arrêt. Situé près des locaux administratifs, le quartier pour mineurs est doté d’une capacité de 20 places. Aujourd’hui, 11 détenus mineurs occupent ces cellules individuelles.
Journée type d’un détenu mineur :
- 2 à 3 heures d’école (programme élaboré par l’Éducation nationale / 27h hebdomadaires de cours)
- 1 heure de promenade en matinée
- Activités (médiathèque, salle de sport)
- 1 heure de promenade l’après-midi
Des groupes de cinq mineurs sont formés pour des raisons de sécurité. Le professeur précise qu’il y a peu de situations d’illettrisme mais beaucoup de difficultés à suivre en classe, notamment en ce qui concerne les cours de français. Néanmoins, un détenu mineur s’est inscrit pour les épreuves anticipées de français qui auront lieu à la fin de l’année scolaire.
Un système de couleurs a été mis en place pour valoriser la bonne conduite des détenus mineurs. Les couleurs orange et vert permettent de bénéficier de 30 minutes supplémentaires de promenade ou d’un accès privatif à la médiathèque. Une brigade de cinq agents est formée pour accompagner ces mineurs qui ont un régime différencié des autres détenus.
Dans la cour de promenade réservée aux détenus mineurs, la sénatrice a pu échanger avec quelques-uns d’entre eux. Ils n’ont pas relevé de difficultés particulières liées à leur détention. Ils aimeraient en revanche que plus d’activités soient proposées. Cette mission relève des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Malheureusement, du fait de la surpopulation carcérale, les SPIP peinent à mettre en œuvre de telles activités tant au quartier des mineurs que côté Maison d’arrêt.
La visite se poursuit à la Maison d’arrêt, qui se trouve en marge du quartier des mineurs. Le directeur annonce les chiffres : 350 détenus pour une capacité maximale de 213. L’établissement dépasse les 166% d’occupation.
Les détenus cohabitent à deux dans une cellule de 9m2. L’état des lieux est déplorable. Les murs sont couverts de moisissures, le toilette se trouve dans le coin, sans séparation. Les douches sont collectives. L’un des projets de la prison est l’installation de douches dans chaque cellule mais ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Les détenus se plaignent du manque d’eau chaude.
La sénatrice a échangé avec quelques-uns d’entre eux. Elle note une certaine violence entre détenus. La cohabitation se révèle très compliquée. Certains reprochent à leur codétenu le manque d’hygiène et le vol d’affaires. Cela finit généralement en confrontations où les surveillants sont obligés d’intervenir. Ce fut le cas, le 27 mars 2021, où quatre détenus ont tabassé un autre détenu et un surveillant qui tentait de s’interposer.
Le virus du Covid-19 a sévi d’une manière conséquente dans les murs de la prison qui a eu du mal à endiguer sa propagation. En janvier 2022, un cluster s’est déclaré : 87 détenus et 6 membres du personnel ont été testés positifs. Double peine pour les prisonniers qui sont condamnés à rester dans leur cellule de 9m2 sans promenade ni autre activité. Cela a eu un impact sur leur santé mentale. Le service médical a pris en charge les détenus les plus vulnérables.
Esther Benbassa demande à visiter le quartier disciplinaire (QD), rénové il y a trois ans. L’état des sept cellules laisse penser le contraire. À cela, le directeur répond que les détenus sont responsables de la dégradation. Trois détenus étaient placés au QD au moment de la visite. La sénatrice a échangé avec un détenu qui refusait de s’alimenter depuis deux jours pour protester contre sa mise à l’isolement. Il vivait entouré de détritus, sans aucune lumière.
À la demande de la sénatrice, l’agent pénitentiaire ouvre la porte sur laquelle est indiqué « promenade ». Outre le fait que ce n’est pas une cour de promenade mais plutôt une pièce pas plus grande que deux cellules, cet espace est contraire à la réglementation. En effet « Toute personne détenue doit pouvoir effectuer chaque jour une promenade d’au moins une heure à l’air libre. » (Article 12 de l’annexe de l’article R57-6-18 du code de procédure pénale). Les conditions de détention du QD portent atteintes à la dignité humaine. Comme des bêtes en cage, les détenus ne peuvent même pas entrevoir la couleur du ciel.
Échange avec les syndicats
Le personnel pénitentiaire souffre de l’absentéisme et par conséquent du manque d’effectifs. 1 surveillant peut être amené dans certains cas à gérer 100 détenus. FO annonce que 60 agents gèrent aujourd’hui 350 détenus.
Le manque d’attractivité et les contraintes horaires liés à la profession créent un turnover que l’administration pénitentiaire peine à gérer. Bien souvent, les surveillants ne sont pas remplacés, un agent peut travailler de 7h à 19h sans pause.
Face à une population carcérale difficile, les syndicats réclament plus de moyens, notamment au niveau de la rémunération des agents (1600€ net). L’échange a eu lieu avec les syndicats FO et l’UFAP.
Mercredi 30 mars 2022 – PERPIGNAN
Le jour suivant, la sénatrice est accueillie par Dimitri Besnard, directeur du centre pénitentiaire de Perpignan. L’établissement se décompose comme suit : une Maison d’arrêt pour hommes, une Maison d’arrêt pour femmes, un quartier pour mineurs, un quartier de semi-liberté pour hommes, et un centre de détention pour hommes.
L’établissement héberge près de 750 détenus. Dans la Maison d’arrêt pour hommes, la densité carcérale atteint les 250%. Perpignan fait partie des 5 prisons les plus surpeuplées de France. Le directeur nous précise qu’il y a bien une cohabitation de 3 détenus par cellule de 9 m2. Dans les 114 cellules à disposition, nous comptons 94 matelas au sol.
La sénatrice demande alors à ouvrir une cellule avec à l’intérieur 3 détenus. C’est avec stupeur que celle-ci découvre cet espace de survie. La « cuisine » se trouve près des toilettes où les détenus ont fabriqué un paravent de fortune. Le matelas, une fois mis au sol, bloque tout passage dans la cellule, condamnant ainsi les codétenus à se réveiller au moindre geste. Si l’entente entre les codétenus semblait au beau fixe, ce n’est pas le cas dans toutes les cellules. Les détenus changent de cellule régulièrement à cause des crispations entre eux. Ainsi, le personnel pénitentiaire s’oblige à organiser les cellules par « communauté » pour diminuer les conflits. Quelques-uns demandent à être placés en cellule isolée. Il y a un étage réservé aux détenus les plus vulnérables qui ont un régime de promenade différent de ceux en régime ordinaire.
Le problème de la drogue est un fléau au sein du milieu carcéral. Malgré des fouilles répétées et une vigilance accrue, le trafic persiste. La semaine du 20 mars 2022, un drone a atterri dans l’enceinte de la cour de promenade. Durant la crise sanitaire, la drogue est devenue plus rare et plus chère, ce qui a provoqué un certain nombre de violences entre détenus. Pendant les périodes de confinement, 2,5 kg de cannabis ont franchi les murs de la prison malgré la fermeture des parloirs.
Une affaire d’un autre genre a retenu toute l’attention : un détenu a tué sept chats depuis les barreaux de sa cellule qui se trouvait au rez-de-chaussée. D’après les surveillants, il attirait les chats avec de la nourriture et les étranglait avec son linge. Sept cadavres ont été retrouvés près de sa fenêtre. Il a été placé à l’isolement et est suivi par le pôle psychiatrie de la prison.
Quant aux locaux, même constat que pour la prison Grenoble-Varces. La dégradation des murs, l’insalubrité des douches, la vétusté des cellules rendent les conditions de détention infernales. Les détenus ont interpellé la sénatrice sur le fléau des punaises de lit. Rien n’est fait pour mettre fin au calvaire. En plus de la cohabitation entre détenus, ces nuisibles s’invitent dans les lits.
Les détenus se plaignent notamment de ne pas avoir de nourriture halal suffisante à cantiner. Le terme « cantiner » est employé dans l’univers carcéral. Il désigne le fait que les détenus puissent acheter leur nourriture au sein d’une cantine collective. Dimitri Besnard précise qu’ils ont le choix de viande halal pour cantiner qu’une fois par mois mais qu’il y a tout de même des menus « végétariens » de substitution.
Côté Maison d’arrêt pour femmes (MAF), les cellules semblent être plus entretenues malgré une densité carcérale de 160%. Pour 28 places, on compte 45 détenues.
Une des détenues s’est confiée à la sénatrice sur son désir de sortie. Elle cochait sur un calendrier accroché près de son lit les jours avant sa libération sous bracelet électronique. Du moins, elle espérait. Le juge ne lui a pas encore accordé cette mesure d’aménagement de peine. Cela tient à son comportement lors de sa détention. Toutefois, la détenue s’isole et ne participe à aucune activité. Ce qui est dommage car au sein de la MAF, des cours de remise à niveau et des cours d’anglais sont proposés.
La sénatrice se rend à l’un d’eux et découvre des détenues très enthousiastes et avides d’apprendre. Les activités sont un facteur clé de réinsertion mais il y a malheureusement peu de bénévoles ou d’ateliers prévus pour les détenus de la prison de Perpignan.
Quant au quartier d’isolement, sur 18 cellules, 15 sont occupées. Le turnover des détenus y est important. Là aussi, on déplore un état lamentable des douches et des cellules. Un des détenus interrogés a dit que l’isolement l’a beaucoup perturbé psychologiquement.
Échange avec les surveillants
À défaut d’échanger avec les syndicats, plusieurs surveillants soigneusement appelés par le directeur se sont exprimés sur leurs conditions de travail. Ils se sentent épargnés par l’absentéisme des collègues. Leurs discours diffèrent des propos recueillis jusqu’alors.
Jeudi 31 mars 2022 – AIX-EN-PROVENCE
La sénatrice Esther Benbassa a insisté auprès du directeur Vincent Dupeyre pour visiter la partie Aix 1 qui est la plus vétuste (mise en fonction en 1990), la partie Aix 2 ayant été inaugurée en avril 2018.
La Maison d’arrêt pour hommes accueille 1 671 détenus pour 1 220 places. Une densité carcérale à hauteur de 137%, ce qui est relativement correct compte tenu de ce qui a été visité jusqu’ici.
Un des problèmes majeurs est l’exportation des conflits du trafic de stupéfiants dans l’enceinte de la prison. En effet, les familles à l’extérieur sont menacées de mort. Les surveillants sont eux aussi victimes de représailles. Un climat délétère règne entre les murs. Si, en 2018, un important trafic a été démantelé, le phénomène perdure malgré toutes les précautions mises en place par l’administration.
Le centre pénitentiaire Aix-Luynes propose des formations e-learning à destination des détenus désirant se former aux outils informatiques et à la cuisine. Des entreprises locales offrent la possibilité aux détenus de travailler contre rémunération. Ces ateliers professionnels sont essentiels à la bonne réinsertion. Plusieurs associations proposent également des activités de jardinage comme la plantation de 100 oliviers sur le terrain en face de la prison.
Le directeur se félicite des ateliers professionnels. Les Ministres de la Culture et de la Justice ont lancé dans l’enceinte même de la prison le « Goncourt des détenus ». La sénatrice a rencontré des détenus soucieux de suivre l’actualité, notamment politique.
Au terme de ces trois visites, le constat est sans appel. Le problème de la surpopulation carcérale, de l’hygiène et de la vétusté des établissements pénitentiaires revêt un caractère structurel nécessitant une nouvelle politique pénitentiaire. Condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour traitements inhumains et dégradants en raison des conditions de détention, la France, en tant que démocratie ne peut se résoudre à laisser ce système perdurer. Malgré les travaux engagés dans les différentes prisons, il y règne un climat de violences entre détenus qui se répercutent sur le personnel pénitentiaire. Ce dernier, en mal de recrutement, doit être revalorisé. Quant à l’hygiène générale déplorable, rien ne semble être fait pour palier l’insalubrité et la vétusté des lieux. La surpopulation carcérale empêche toute détention digne.