Esther Benbassa est « atterrée » et « inquiète » pour son projet de loi sur l’abrogation du délit de racolage public – un délit introduit par la loi pour la sécurité intérieure de 2003. Le texte, qui doit être discuté jeudi après-midi en séance après avoir été adopté à l’unanimité en commission des lois, fait désormais l’objet d’une motion du sénateur PS Philippe Kaltenbach visant à renvoyer le texte en commission, ainsi que d’un amendement punissant le racolage d’une contravention de 5ème classe, soit un retour à la situation antérieure à 2003.
« Encore vendredi, le gouvernement appuyait cette loi et demandait qu’elle soit votée sans amendements, raconte Esther Benbassa. Ce matin, je m’aperçois sur le site du Sénat qu’une motion a été déposée au nom du groupe socialiste. Personne ne comprend, tout le monde est complètement atterré : ni Jean-Pierre Sueur (président PS de la Commission des lois), ni Virginie Klès (rapporteure PS du texte), ni Najat Vallaud-Belkacem (ministre des Droits des femmes), ni Christiane Taubira (ministre de la Justice) n’étaient au courant. Ça a été une surprise pour tout le monde, nous sommes tous dépassés », confie la sénatrice écologiste.
« C’est des complots internes ? On est au Vatican ? »
Dans un communiqué, Philippe Kaltenbach explique que « le dépôt de motions et d’amendements n’était possible que jusqu’à midi ce jour (lundi, ndlr). Or,il existe un débat au sein du groupe socialiste sur ce texte et ce débat n’a pas encore été tranché. Il ne le sera que demain. Nous verrons alors si nous avons recours au renvoi en commission ou à l’amendement en fonction de la position adoptée par le groupe PS ». Le groupe doit décider entre une position « abolitionniste » – criminaliser la prostitution par le biais des clients et des proxénètes mais pas par celui des personnes prostituées, considérées comme des victimes – et l’approche défendue par Esther Benbassa, préconisant « l’insertion sociale et professionnelle des prostitué(e)s ».
S’agit-il, de la part de Philippe Kaltenbach, d’enterrer cette loi ? « C’était l’objectif », assure Esther Benbassa, outrée qu’une telle « remise en cause » se fasse dans le dos des « principaux intéressés ». « Qu’est-ce que c’est que ça ?, s’interroge-t-elle. C’est des complots internes ? On est au Vatican ? Les principaux intéressés devraient être informés en premier ». Au contraire, « les auteurs de la motion estiment que l’abrogation de ce délit doit être examinée dans le cadre plus large d’un texte sur la prostitution et sur la traite des êtres humains », précise Philippe Kaltenbach dans l’exposé des motifs de son amendement.
« Si on n’arrive pas à tenir les troupes… »
Joint cet après-midi, le groupe des sénateurs PS a indiqué ne pas avoir de position définitive à communiquer dans l’immédiat. Mais dans son communiqué, le sénateur PS ajoute : « Les sénateurs socialistes sont favorables à l’abolition du délit de racolage créé par Monsieur Sarkozy en 2003 car il n’a produit aucun effet notable tout en faisant des prostitués (sic) des délinquantes alors qu’elles sont avant tout des victimes. Mais les sénateurs PS veulent des mesures globales visant à coordonner les politiques publiques en matière de prostitution. En effet, le Parti Socialiste est abolitionniste et la suppression pure et simple de tout moyen permettant de sanctionner le racolage serait de nature à brouiller son message ».
« Si on n’arrive pas à tenir les troupes, ça va aller très mal, rétorque Esther Benbassa. Au nom d’une idéologie, on va remettre en cause un vote unanime ? Il faut qu’on arrête de donner une image lamentable du Sénat », insiste-t-elle. Philippe Kaltenbach, lui, rappelle que « vendredi, une cinquantaine d’associations abolitionnistes ont appelé à rejeter la proposition de loi de la sénatrice EE-LV ». Là encore, la sénatrice s’étonne : « Dans ces 53 associations, il y a Le Nid et Osez le Féminisme ; le reste, ce sont des coquilles vides… » Le débat est loin d’être clos.