« Les corps des femmes et des filles ne doivent pas être source d’exploitation et de divertissement à leur insu ». Contre l’explosion des comptes “fisha” (“affiche” en verlan) qui diffusent photos et vidéos à caractère sexuel majoritairement de filles et de femmes pour la plupart mineures, un collectif s’est créé. Avec un grand nombre de soutiens, il tire la sonnette d’alarme face à grande faiblesse de l’arsenal institutionnel et juridique pour lutter contre le cybersexisme.
Elyse, 16 ans, a mis fin à ses jours au Havre, mercredi 1er avril 2020, à cause d’un compte fisha. Depuis le confinement, les violences faites aux filles et aux femmes ont augmenté et le cyberharcèlement sexuel a explosé. Bien que virtuelles, ces attaques ont de graves conséquences et force est de constater que les comptes fisha tuent.
Slut-shaming de masse
Des comptes dits “fisha” (“affiche” en verlan) ont été massivement créés sur les réseaux sociaux dans le but de diffuser des photos et vidéos à caractère sexuel majoritairement de filles et de femmes, pour la plupart mineures, sans leur consentement. Appelés “nudes”, ces contenus sont souvent divulgués avec le nom de la victime, son adresse, son établissement scolaire… Si cette pratique existait déjà, cette vague est sans précédent.
Sur ces comptes fisha, sont publiés chaque jour des messages incitant à la diffusion de “dossiers” pour humilier et punir : « vous avez d’autres dossiers sur cette pute ? », « Faut afficher mon ex, cette sale chienne », ou bien « afficher des dossiers de gens ça rend service à tout le monde. Les personnes affichées peuvent changer de voie ou rester dans leur puterie ». Ils les traquent, les persécutent, et les condamnent systématiquement, publiquement – puis se félicitent. Certains nudes sont monétisés par les agresseurs, d’autres sont publiés sur des sites pornographiques sans que les victimes ne soient au courant. On y a aussi trouvé des photos et vidéos pédocriminelles, de viols en réunion, d’agressions sexuelles. Les diffuseurs veulent toujours plus de contenu trash pour attirer toujours plus de monde. Un compte fisha Instagram nommé “les putes de Liège” a publié la vidéo d’un viol en réunion – d’une jeune fille, mineure, qui avait été droguée. Le contenu est resté disponible plus de 16 heures. Et ce, malgré les milliers de signalements.
Les diffuseurs deviennent des agresseurs et s’auto-proclament juges : c’est du revenge-porn* et du slut-shaming* de masse.
#STOPFISHA : l’auto-organisationface à un système défaillant
Notre collectif auto-organisé Stop Fisha s’est créé en urgence, en mars 2020. Depuis, nous nous battons nuit et jour pour agir contre ces délits impunis qui ne cessent de prendre de l’ampleur et contre ces comptes fisha qui ne cessent de se multiplier. Les membres du collectif mènent deux types d’actions :
- Traque, dénonciation des comptes fishaet veille sur les réseaux sociaux ;
- Soutien aux victimes trop souvent seules et isolées face aux cyber-violences qu’elles subissent.
Mais qui sommes-nous ? Nous avons entre 16 et 50 ans. Et nous sommes épuisé·e·s. Nous sommes étudiant·e·s ou salarié·e·s et en peu de temps, nous sommes devenu·e·s la nouvelle brigade numérique, qui remplace celle censée nous protéger. En deux mois, le collectif est parvenu à fédérer plus de 12.000 membres actif·ve·s prêt·e·s à nous aider. L’existence de notre combat est la preuve d’un système défaillant.
Le cybersexisme mis à l’abandon
Le confinement a accéléré la digitalisation de notre quotidien : la société se numérise à une vitesse éclair, les cybercrimes et le cybersexisme aussi. Triste est de constater qu’il n’y a à ce jour aucun moyen mis en place pour nous en protéger, tant dans la sphère digitale que physique.
PHAROS, la plateforme de signalement de contenus dangereux sur internet, compte une centaine de policiers·ères et gendarmes pour lutter contre la cybercriminalité. Parmi ces agent·e·s, seule une vingtaine traite les affaires de cyberviolences. Depuis le début du confinement, le site reçoit 45 000 signalements par mois, 1500 par jour, plus d’un par minute! C’est sans compter les signalements de comptes Snapchatque Pharos refuse de comptabiliser depuis plusieurs semaines. Y aurait-il un “bug” ? Du côté des réseaux sociaux, Instagram ne prend que peu de signalements en compte : “En raison [du] COVID-19, […] nous ne pouvons examiner que les contenus qui présentent le plus grand risque de préjudice”. Quant à Snapchat, les signalements sont toujours trop vagues : la pédopornographie n’est catégorisée que de “malveillante”. Pourtant, c’est un délit, puni de 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.
Notre seul allié institutionnel est Net Ecoute (e-Enfance) qui a constaté une explosion de 60% des comptes fisha depuis mars et des appels qui ont bondi à plus de 350 par semaine, soit 50 par jour.Le tout, géré par 6 personnes.
Si les réseaux sociaux ne prennent pas en compte nos signalements, la police non plus. L’état d’urgence sanitaire a servi de justification aux refus – déjà trop nombreux – de dépôts de plaintes. « Il y a des priorités ». Nous sommes en état d’urgence sanitaire, « les plaintes ne peuvent plus être prises ».
La situation, en plus d’être pathétique, est dangereuse.
Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations a proposé, afin de pallier l’inaction des réseaux sociaux, de créer une chaîne Snapchat ayant pour vocation de sensibiliser au revenge-porn. Nous souhaitons aller plus loin et que ces chaînes soient créées sur tous les réseaux sociaux.
Du côté de la Belgique, le pays s’est saisi du problème des fishas en avril 2020 en votant une loi contre le revenge-porn. La France, a récemment voté la loi AVIA dite de « lutte contre les contenus haineux sur Internet », en plus d’être insuffisante, elle a été partiellement censurée par le Conseil Constitutionnel.
Nous pointons du doigts son inefficacité : Pharos était censée collaborer avec les réseaux sociaux, à qui toute la responsabilité a été reléguée. Cependant, le sous-effectif de Pharos, pourtant au coeur de la loi, n’a pas été évoqué. Comment pouvait-elle être appliquée ?
Face à la faiblesse de l’arsenal juridique actuel, nous tirons la sonnette d’alarme : Nous demandons des mesures concrètes, fortes, urgentes.
Agir, maintenant.
Notre collectif s’est créé suite à un constat, une urgence : nous n’avions plus le temps d’attendre que les choses se passent, il a fallu agir. Nous alertons de nouveau face à la passivité et le manque d’intérêt des pouvoirs publics : il faut agir.
Lutter contre le (cyber)sexisme, c’est empouvoirer la protection numérique, l’éducation à l’égalité de genre, et la justice.
Lutter contre le cybersexisme, c’est s’attaquer à la sensibilisation dans les milieux scolaires et professionnels. C’est donner des cours de responsabilisation et de protection numérique. C’est former les forces de l’ordre à ces nouvelles violences, et augmenter l’effectif et les moyens d’action des plateformes concernées. C’est prendre en charge différemment les victimes d’infractions d’un nouveau genre.
Lutter contre le cybersexisme, c’est créer les outils nécessaire au système judiciaire pour reprendre le dessus sur les schémas de dominations sociétaux, tant dans la rue que sur la toile.
Parce que les corps des femmes et des filles ne doivent pas être source d’exploitation et de divertissement à leur insu, parce que les diffuseurs n’ont pas à jouir de leurs actes sous prétexte que c’est la victime qui en serait coupable, parce qu’une photo ne doit pas prendre une vie, la honte doit changer de camp et justice doit être faite.
*Revenge porn : ou encore “vengeance pornographique” est la diffusion de contenus intimes d’une personne sans son consentement dans le but de se “venger” et l’humilier.
*Slut-shaming : rabaisser ou humilier une femme en la ramenant à la figure de la « salope ».
Signataires :
Famille de Élyse Emo : Cindy Emo, Arnaud Deschamps, Sandrine Emo.
Collectif StopFisha: Shanley Clemot McLaren, Hajar Outaik, Hana Outaik, Zakarya Ait Ouaid, Iman El Hakour, Maeva Janvier, Davy Beauvois, Sara Pellegrin, Léa Reynaud, Chloé Bourne, Mickael Ferreira, Mhawa Grandiere, Laura Pereira Diogo, Sabrina Haouari.
Association En avant toute(s)
HumansForWomen, association féministe intersectionnelle
Association HandsAway, application contre le harcèlement sexuel de rue
Collectif des collages féministes de Tours
Collectif des collages féministes de Poitiers
Collectif féministe lycéenne et enragées, du lycée Dumont d’Urville de Toulon
Association Volar (Poitiers)
AssociationChafia, contre les violences faites aux femmes
P8 Féministe dtr, collectif féministe de l’université Paris 8
Equipe de « Maintenant Assume »(@mtn_assume)
Anna Toumazoff alias @memespourcoolkidsfeministes, militante féministe
Elvire Duvelle-Charles alias @clitrevolution, militante féministe
Sarah Constantin, activiste féministe, co-créatrice de Clit Revolution
Illana Weizman, militante féministe et membre du collectif #MonPostPartum
Selma Anton, activiste féministe et créatrice du compte @ca_va_saigner
Fatima Benomar, féministe, dessinatrice, cofondatrice des@effrontees
Marie Laguerre, étudiante et militante féministe
Masha Sexplique, militante féministe et blogueuse sexo
Camille Aumont Carnel, militante @jemenbatsleclito – @jedisnonchef
Ginevra Bersani, militante féministe et co-Présidente @Politiqu’elles Paris
Sophia Antoine, activiste, cyberactiviste, militante féministe
Noémie de Lattre, activiste féministe
Marie-Elise Vidal, activiste féministe
Luce Villemin, activiste féministe
Judith, alias @tapotepute
Laura Jovignot, militante #NousToutes et fondatrice du collectif #PasTaPotiche
Rebecca Amsellem, Les Glorieuses
Rokhaya Diallo, journaliste, militante antiraciste et féministe
Fiona Schmidt, journaliste et autrice
Sofia Fischer, journaliste
Paloma Clément-Picos,journaliste
Arnold Nguenti, journaliste, collectif @echobanlieues
Chahinaz Berrandou, étudiante, collectif @plumebanlieue
Baptiste Beaulieu, romancier
Vincent Lahouze, travailleur social, romancier
Yseult, chanteuse
Inas Chanti, actrice
Marion Seclin, actrice
Tay Calenda, photographe professionnelle
Rachid Sguini (Rakidd), auteur et illustrateur
Bouchera Azzouz, réalisatrice et présidente Féminisme Populaire
Laura Berlingo, gynéco-obstétricienne
Olga Pérez, professeure d’espagnol et référente égalité filles/garçons au lycée Dumont d’urville de Toulon
Marion Castellani, professeure de Mathématiques au lycée Dumont d’Urville, Toulon
Camilya Othmani, consultante en stratégie de communication
Rachel-Flore Pardo, avocate
Joachim Scavello, avocat
Ines Seddiki, fondatrice et présidente de GHETT’UP
Ouarda Sadoudi, présidente Home et cofondatrice Féminisme Populaire
Élu.e.s Conseil National de Vie Lycéenne : Yannis Perrier-Gustin, Alcyone Bernard, Emanuela Periers, Nina Sevilla, Amélie Four, Maxime Rodrigues, Clairanne Dufour
Élu.e.s Conseil Supérieur de l’Education: Teddy Wattebled, Zoé Perochon-De Jametel, Camille Galvaire
Union Nationale Lycéenne, syndicat lycéen
Lyes Louffok, Membre du Conseil National de la Protection de l’enfance
Laurence Rossignol, Sénatrice PS de l’Oise
Esther Benbassa, sénatrice EELV
Sophie Taillé-Polian, Sénatrice Génération-s du Val de Marne
Michelle Meunier, Sénatrice PS de la Loire-Atlantique
Laurence Cohen, Sénatrice PCF du Val-de-Marne.
Danièle Obono,députée LFI de Paris
Mathilde Panot, députée LFI du Val-de-Marne
Leïla Chaibi, députée européenne France Insoumise
Caroline Fiat,député LFI de Meurthe-et-Moselle
Marie Toussaint, eurodéputée EELV
Danielle Simmonet, conseillère de Paris
Clémentine Autain, Députée LFI
Anne Vignot, conseillère municipale de Besançon
Léonore Moncond’huy, militante écologiste, candidate à la mairie de Poitiers
Laura Slimani, conseillère municipale de Rouen et membre du collectif national Génération-s
Collectif national de Génération-s: Jimmy Behague, Joséphine Delpeyrat, Corinne Acheriaux, Sorayah Mechtouch, Sandrine Lelandais, AlexisDebuisson, Alice Brauns, William Leday, Michel Bock, Margot L’Hermite, Nicolas Braemer, Marie Luchi, Isabelle Couradin, Zerrin Battaray, Anne Joubert, Eric Mauger, Bruno Gavarri
Alice Bosler, coordinatrice des Jeunes Génération-s
Roberto Romero, conseiller régional d’île de France Génération-s
Claire Monod, coordinatrice Nationale de Génération-s
Youth For Climate Paris
Quidam, Association d’éducation populaire
NPA Nanterre