Par Esther Benbassa, Sénatrice EELV de Paris et directrice d’études à l’École pratique des hautes études
Carola Rackete est devenue une héroïne des temps sombres que nous vivons. Cette capitaine du Sea-Watch 3 avait, dans la nuit du vendredi 28 au samedi 29 juin, forcé le blocus imposé par le ministre italien d’extrême droite Matteo Salvini aux navires humanitaires qui vont au secours des migrants en Méditerranée, et ce après dix-sept jours d’errance au large de l’île de Lampedusa. Son acte a été considéré comme un « acte criminel, un acte de guerre ». Elle a été de surcroît arrêtée par les policiers qui l’ont accueillie au quai et embarquée.
Quel était son crime ? De ne pas laisser mourir des femmes, des hommes, des enfants prêts à tout pour trouver refuge sur une terre où ils pourraient se soustraire aux persécutions en cours dans leur pays d’origine. Des milliers ont péri en Méditerranée, cette mer devenue un cimetière, le cimetière de ceux qui prennent des risques inouïs dans l’espoir d’échapper au pire. Leur rejet est un argument politique qui paie en ces temps de nationalisme exacerbé et de chômage. En même temps, l’Union européenne, à défaut d’une politique solidaire d’accueil, laisse les pays comme la Grèce et surtout l’Italie gérer l’arrivée massive des migrants qui y débarquent. La venue au pouvoir de l’extrême droite dans ce dernier pays n’est pas non plus un hasard.
Oui, Carola Rackete a commis un « acte de guerre » ! Allemande, elle a appris dans ses livres de classe l’histoire du nazisme, les six millions de juifs assassinés, l’errance de milliers de juifs fuyant l’Allemagne nazie après la Nuit de cristal (1938).
Oui, c’est en 1939 que 900 juifs allemands embarquent sur le paquebot Saint-Louis pour échapper à la barbarie nazie. Ils naviguent vers Cuba pour rejoindre ensuite les États-Unis. Faute d’accueil, le bateau retourne en Europe. Ils seront dispatchés dans différents pays d’accueil. Entre 1942 et 1944, nombreux parmi ceux d’entre eux qui n’arriveront pas à quitter l’Europe seront envoyés dans les camps de la mort.
Que dire encore du Struma, un autre bateau qui part cette fois-ci de Roumanie, toujours avec des juifs, et qui ne réussit pas à obtenir le permis de débarquer à Istanbul et sera torpillé en mer Noire par un sous-marin soviétique avec à bord 770 passagers et membres d’équipage ? Une autre tragédie.
L’errance des réfugiés est une histoire qui se répète. Les femmes et les hommes qui tiennent tête avec courage aux autorités, comme Carola Rackete, n’en sont que plus précieux. C’est pour cela qu’elle est aussi, à sa façon, une héroïne de guerre en temps de paix.
La juge du tribunal d’Agrigente en Sicile, une autre femme, a rendu sa liberté à la capitaine. Deux femmes courageuses, deux victoires. Celle de l’humanité contre le cynisme politique et celle de la justice contre le ministre de l’Intérieur d’extrême droite Matteo Salvini en Italie. Toutes les deux méritent notre profond respect.
Chapeau, Madame la juge, chapeau capitaine Carola Rackete. Vous nous avez rendu notre honneur ! Carola Rackete a aussi racheté un peu de l’histoire de son pays.
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