Le Sénat, à majorité de droite et du centre, a adopté l’ensemble du projet de loi sur le séparatisme. Les sénateurs ont durci le texte, notamment en interdisant les signes religieux pour les accompagnateurs de sorties scolaires. Ils ont aussi interdit le port du voile par les mineures dans l’espace public. Public Sénat fait le point.
Après plus de deux semaines d’examen, le Sénat a adopté l’ensemble du projet de loi confortant le respect des principes de la République par 208 voix contre 109. Un texte profondément modifié après son passage par la Haute assemblée. Sous l’influence de Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat, la majorité sénatoriale de droite et du centre a largement durci le projet de loi. Le sénateur LR de Vendée, qui ambitionne d’être le candidat de la droite pour 2022, a voulu faire de ce texte un marqueur politique.
Un marqueur qui place la majorité sénatoriale, ou du moins une partie d’entre elle, très à droite sur l’échiquier politique, sur bien des points. Reprochant la mollesse du texte, les sénateurs ont multiplié les mesures qui visent à lutter davantage contre l’islam radical, et même, selon la gauche qui s’est opposée aux amendements de la droite, les musulmans dans leur ensemble, au risque de les stigmatiser.
Selon le détail du vote, l’ensemble du groupe LR a voté pour (sauf une abstention de Marie Mercier), 46 sénateurs du groupe Union centriste ont voté pour et 8 ont voté contre, le groupe RDPI (LREM) s’est abstenu, le groupe RDSE a voté majoritairement contre, le groupe Les Indépendants a voté pour. Quant aux groupes PS, communistes et écologistes, ils ont tous voté contre.
Les principales mesures votées par le Sénat
Les mesures adoptées au Sénat sont nombreuses. Les sénateurs ont notamment voté l’interdiction des signes religieux pour les accompagnateurs de sorties scolaires, l’interdiction du port du voile par les mineures dans l’espace public. Ils ont aussi interdit les drapeaux étrangers dans les mariages, ils ont adopté un amendement facilitant l’interdiction du burkini dans les piscines publiques. Autre mesure remarquée : le Sénat a voté l’interdiction des prières dans l’enceinte des universités.
Les sénateurs ont au passage complété l’intitulé du projet de loi avec la « lutte contre le séparatisme », et non « le séparatisme islamiste », comme l’avait pourtant annoncé Bruno Retailleau.
Dans ce que certains ont qualifié de « concours Lépine », les sénateurs ont aussi voté un amendement interdisant le port du voile dans les compétitions organisées par les fédérations sportives. Ils ont interdit les listes communautaristes. Pour lutter contre l’absentéisme scolaire, le Sénat a aussi voté la possibilité de suspendre les allocations familiales, le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, ne s’y opposant pas. Pour l’école à domicile, le Sénat s’est opposé à l’autorisation préalable souhaitée par le gouvernement, préférant en rester au régime de la déclaration.
L’actualité s’est aussi invitée durant l’examen du texte. Le Sénat a ainsi voté un amendement « Unef », visant à dissoudre les associations qui organisent des réunions non-mixtes. Le gouvernement de son côté, a défendu un amendement, adopté par le Sénat, lié à l’affaire de la mosquée de Strasbourg. Le gouvernement a aussi déposé à la dernière minute un amendement pour empêcher l’ouverture d’une école musulmane hors contrat, à Albertville.
« Le projet de loi est robuste après les travaux du Sénat », salue le sénateur LR Max Brisson
Le sénateur LR, Max Brisson, a défendu au terme des débats la version sénatoriale du texte. « Parvenu au Sénat, il n’était pas à la hauteur du défi de la menace qu’est le séparatisme » dit-il, « le projet de loi est robuste après les travaux du Sénat ». « Le texte répond à des dérives actuelles qui nous ont profondément marquées », ajoute la sénatrice Nathalie Delattre, du groupe RDSE.
« Cette loi reprend beaucoup de préconisations qui étaient dans des rapports sénatoriaux » et « permet d’avancer » souligne la sénatrice centriste Dominique Vérien, corapporteure avec la sénatrice LR Jacqueline Eustache Brinio et le sénateur LR Stéphane Piednoir.
« La droite du Sénat a décidé de transformer ce texte en un tract électoral »
A l’heure des explications de vote, la gauche s’est relayée pour dire tout le mal qu’elle pensait du texte sénatorial. « La droite du Sénat a décidé de transformer ce texte […] en un tract électoral » selon la socialiste Marie-Pierre de La Gontrie, qui souligne que les sénateurs de son groupe partagent les objectifs initiaux du projet de loi.
« La laïcité ne saurait justifier la stigmatisation de tant de musulmans, qui n’ont rien à voir avec l’islamisme radical », a lancé la sénatrice EELV Esther Benbassa, reprochant au ministre de l’Intérieur d’avoir ouvert « une brèche » avec son texte, dans laquelle le Sénat s’est « engouffré ». « Le texte stigmatise à un tel point qu’il sépare. C’est un texte qui sépare nos concitoyens » ajoute la présidente du groupe communiste, Eliane Assassi.
Le communiste Pierre Laurent dénonce « les surenchères sécuritaires et racistes »
Le sénateur Pierre Laurent, ancien numéro 1 du PCF, dénonce « toutes les surenchères sécuritaires, racistes, tous les amalgames qu’on a entendus tout au long du débat, et les amendements discriminatoires à l’initiative de la droite ».
« La boîte de pandore est ouverte, la boîte à surenchère identitaire, qui a fait sauter un certain nombre de digues entre la droite et l’extrême-droite », dénonce le sénateur écologiste Thomas Dossus. Son président de groupe, Guillaume Gontard, ajoute :
On ne distingue plus tellement ici ce qui distingue une droite radicalisée d’un Rassemblement national banalisé.
« Législation par surenchère »
Le texte ne dérange pas seulement à gauche. Certains centristes de la majorité sénatoriale ont pris la parole pour exprimer leur gêne, pour ne pas dire plus. « Nous avons assisté à une forme de législation par surenchère, une surenchère sécuritaire », s’étonne le sénateur centriste Philippe Bonnecarrère, qui pointe des « mesures clairement inconstitutionnelles ». Son collègue Loïc Hervé, sénateur UDI de la Haute-Savoie, dénonce carrément des « dérives » et va plus loin :
Il y a eu quinze jours de séance où sont apparues tout un tas d’horreurs juridiques, de musées des horreurs. On nous a sorti tout ce qu’il y a de pire, et de médiatiquement pire. (Loïc Hervé, sénateur UDI)
Signe du niveau de dureté atteint par le texte, Stéphane Ravier, seul sénateur du RN, a voté pour. « Malgré des imperfections, il y a quelques avancées », soutient l’élu marseillais, qui pointe « l’hypocrisie de la droite, basée sur le refus de voter mes amendements, qui étaient pourtant les mêmes que ceux de mes collègues de droite ».
« La position du gouvernement est centrale », se réjouit Gérald Darmanin
Pour le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, l’empressement des sénateurs à durcir le texte a un avantage : il permet de paraître plus mesuré, en comparaison. Le ministre ne s’y est pas trompé. « La position du gouvernement est centrale », se réjouit Gérald Darmanin, « il faut être ni naïf, ni excessif. C’est la position du gouvernement. Il y a eu des excès, et je les regrette, comme certaines dispositions contraires à la Constitution, contraires à l’expression religieuse. Et beaucoup de naïveté, considérant qu’avec des bons mots, cela permet de combattre l’hydre que nous combattons ».
Le texte va maintenant poursuivre son parcours législatif. Une commission mixte paritaire se réunira pour tenter de trouver un accord entre députés et sénateurs. A défaut, les députés auront le dernier mot pour rétablir le projet de loi, tel que voulu par l’exécutif. Quoi qu’il advienne, les sénateurs de droite ont de leur côté, à un an de la présidentielle, pu envoyer un message de fermeté dans la lutte contre l’islam radical. Au risque de dérouter une part plus modérée de leur électorat.
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