Le Sénat a adopté, lundi 12 avril, une version largement durcie du projet de loi contre le « séparatisme ». Les débats ont donné à voir la surenchère d’une droite sénatoriale décidée à légiférer tous azimuts, des mariages aux piscines en passant par les terrains de sport.
« On va le corser, ce texte. » Invité de BFM -TV jeudi 8 avril, Bruno Retailleau avait annoncé la couleur. Sous l’impulsion du groupe Les Républicains (LR) et de son président, le Sénat a voté ce lundi, moins de deux mois après l’Assemblée nationale, une version largement durcie du projet de loi censé conforter « le respect des principes de la République ». Il en a aussi modifié le titre, y ajoutant la notion de « lutte contre le séparatisme ».
À un an de l’élection présidentielle, la droite sénatoriale s’est évertuée, tout au long des débats, à exhiber sa fermeté face au laxisme supposé de l’exécutif à l’égard de l’islamisme. En pleine crise sanitaire, les sénateurs ont donc passé des heures à débattre du voile, des piscines municipales, des drapeaux dans les mariages ou des prières à l’université.
Examen de la loi séparatisme au Sénat, le 12 avril. © Capture d’écran / Sénat.
« On aurait dit une compétition, c’était à celui qui serait le plus répressif, soupire Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris. La droite s’est emparée d’un sujet racoleur, l’islam, et elle a tapé, tapé… Il y a une forme d’acharnement, de hargne, dans tout ça. » En séance, le communiste Pierre Laurent a dénoncé « toutes les surenchères sécuritaires et racistes », « tous les amalgames » et « les amendements discriminatoires à l’initiative de la droite ».
Au total, la Chambre haute a voté 139 modifications du texte. Une grande partie d’entre elles tend à durcir les détails d’un texte déjà largement répressif – le plus souvent contre l’avis du gouvernement. Si la commission mixte paritaire devrait donc largement revenir sur ces amendements, plusieurs d’entre eux traduisent la dérive droitière des débats autour de cette loi.
- L’interdiction du burkini dans les piscines
C’est une marotte récente de la droite, resservie comme d’autres à l’occasion de ce texte. Le Sénat a voté l’inscription dans la loi du principe suivant : « Le règlement d’utilisation d’une piscine […] publique garantit le respect […] de la laïcité. » L’amendement, porté par le sénateur de l’Isère Michel Savin (LR), résume tous les travers du débat parlementaire sur ce texte : l’obsession liée à l’islam, la réaction permanente à des phénomènes qui ont défrayé la chronique médiatique et le caractère superfétatoire des dispositions adoptées.
Pourtant membre de la majorité, l’élu UDI Philippe Bonnecarrère a bien tenté de ramener ses collègues à la raison. « Cette question a été réglée dans la quasi-totalité des collectivités territoriales de notre pays, a-t-il souligné. Ce n’est plus, en 2021, à ma connaissance, un sujet. » Même Gérald Darmanin a dû rappeler à ses anciens amis que la neutralité religieuse ne pouvait s’appliquer partout : « Allons-nous interdire demain le port de signes religieux dans un autobus ? »
Malgré les oppositions, la droite sénatoriale a maintenu son cap. Et accusé les bancs de gauche d’angélisme : « Vous avez toujours une bonne raison pour vous opposer, a tonné le LR Max Brisson. Vous ne voulez pas le combattre, ce totalitarisme ! Vous en êtes complices ! »
- Priver les parents d’allocations familiales en cas d’absentéisme
Les familles dont un enfant est sujet à des absences répétées à l’école pourraient se voir suspendre, partiellement ou totalement, le versement des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire.
Les hésitations embarrassées de la sénatrice (LR) Jacky Deromedi, interrogée sur France Inter par l’humoriste Guillaume Meurice, racontent cet amendement mieux que son exposé des motifs. « Ce qu’on constate, c’est que la plupart des enfants qui ont des problèmes sont des enfants qui viennent un peu de l’immigration, vous voyez ce que je veux dire, a tenté d’expliquer l’élue. Vous voyez ce que je veux dire, des enfants, la plupart du temps, qui ne sont pas des enfants… Euh… Je ne sais pas comment vous le dire… »
La gauche et le groupe de la majorité présidentielle n’ont pas voté cette disposition. Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ne s’y est, quant à lui, pas opposé, s’en référant à la « sagesse » de l’Assemblée, qui l’a voté à 210 voix contre 125.
- Interdire le port du voile dans le sport
Le Sénat a également souhaité interdire aux femmes voilées de pratiquer le sport en compétition. Sur proposition d’une centaine d’élus LR, la Chambre haute a adopté le principe d’une interdiction du port de signes religieux lors des compétitions sportives et des événements organisés par les fédérations.
L’exposé des motifs est savoureux : il reconnaît que le phénomène est « marginal », mais il anticipe l’émergence éventuelle de « clubs sportifs communautaires promouvant certains signes religieux ». Prévenants, les sénateurs arguent aussi que le voile représente souvent « un risque majeur pour la sécurité des pratiquants ».
Et tant pis si la majorité des fédérations internationales (football, basket-ball, athlétisme, karaté…) acceptent la pratique : en France, le législateur a souhaité contraindre les fédérations à l’interdire. La droite n’est toutefois pas seule sur ce créneau. En 2013, le gouvernement socialiste s’était déjà prononcé en faveur de l’interdiction du voile sur les terrains de football.
- Interdire les drapeaux étrangers lors des mariages
Pour renforcer les principes de la République, interdire la présence de drapeaux étrangers à la mairie. L’amendement du sénateur (LR) des Bouches-du-Rhône Stéphane Le Rudulier offre cette possibilité aux maires et il a reçu, là encore, l’approbation des bancs de droite. « Notre collègue soulève une difficulté réelle », a même affirmé Jacqueline Eustache-Brinio, une des rapporteures du texte.
« Que sommes-nous donc en train de faire, ce soir ? », a demandé, las, le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard. Avant de s’attirer les foudres de ses collègues LR. « Vous devez être dans votre bulle, lui a lancé Laurent Burgoa (LR). Vous semblez habiter un quartier où tout est idyllique, avec des petits oiseaux et un environnement très calme et très vert ! »
La droite et l’extrême droite, représentée par le sénateur du Rassemblement national Stéphane Ravier, y sont allées de pair pour défendre cette disposition. Malgré l’opposition du gouvernement, le Sénat l’a finalement adoptée à la majorité.
- Interdire la prière à l’université
C’est en commission qu’a été introduite cette idée : interdire par la loi l’exercice de cultes dans l’enceinte des universités. Un des rapporteurs du texte, Stéphane Piednoir (LR), le porte lui-même en séance : « Il vise à refuser l’inacceptable », a-t-il résumé. Mais de quoi parle-t-on ? « Lors de mes auditions, il m’a été donné de constater que des pratiques absolument inacceptables étaient observées non seulement dans les salles de cours ou dans les amphithéâtres, mais aussi dans les couloirs », a-t-il assuré.
Le communiste Pierre Ouzoulias est alors intervenu, rappelant qu’il était présent, lui aussi, lors desdites auditions. « On nous a, en effet, rapporté le cas d’une prière organisée dans une salle d’une université parisienne en 2015, a nuancé le sénateur. Depuis, la Conférence des présidents d’université nous a indiqué qu’elle n’avait pas eu connaissance d’événement comparable. »
Elle-même universitaire, Esther Benbassa a renchéri : « En dix-sept ans d’enseignement, je n’ai jamais vu quelqu’un prier dans les couloirs. Je crois que l’on se fait beaucoup d’idées à partir d’épiphénomènes. » Le centriste Loïc Hervé s’est montré plus diplomate, mais il n’a pas dit autre chose : « Permettez-moi de poser la question suivante : pour combien de cas précis nous demande-t-on de légiférer ? »
Le rapporteur et, avec lui, la droite n’ont pas fait évoluer d’un iota leur position. Stéphane Piednoir a assuré avoir recensé quarante atteintes à la laïcité par an dans les universités publiques françaises. « Comprenez qu’il s’agit de prières », conclut-il. Interrogé par l’AFP, un des représentants de la Conférence des présidents d’université, Guillaume Gellé, s’en est étonné : « Nous n’avons pas été informés de cas particuliers qui pourraient poser problème. »
Le débat a beau paraître surréaliste et l’amendement légiférer sur une réalité peu tangible, la droite s’est entêtée. « Vous pouvez faire semblant de ne pas le comprendre, mais les choses sont claires », a juré Stéphane Piednoir. Si le gouvernement s’est opposé à cet ajout, le groupe socialiste a évoqué une proposition « cohérente » et demandé une interruption de séance pour affiner sa position. L’amendement a finalement été adopté.
- Permettre la dissolution de l’Unef
L’actualité a hanté les débats sénatoriaux sur ce projet de loi. À l’instar d’un amendement voté en toute hâte lundi pour répondre à la polémique sur l’école privée d’Albertville, les sénateurs et le gouvernement ont régulièrement débattu ou légiféré sur des polémiques récentes. C’est le cas de celle qui a visé l’Unef et ses réunions internes non mixtes, dont les parlementaires ont longuement discuté.
Ces derniers ont finalement voté le principe d’une dissolution de toutes les associations qui « interdisent à une personne ou un groupe de personnes » de participer à une réunion « en raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion ».
Un amendement voté, de façon surprenante, par une partie de la gauche – comme nous le racontions le 2 avril dernier. Avec le recul, l’écologiste Esther Benbassa regrettait de ne pas avoir voté contre. « J’ai été prise d’effroi, raconte-t-elle. L’espace d’un instant, avec la pression, les regards tournés vers nous et cette accusation permanente d’islamo-gauchisme, j’ai réfléchi à la hâte et je me suis abstenue. »
Lien de l’article : https://www.mediapart.fr/journal/france/130421/separatisme-au-senat-la-fievre-islamophobe