11 septembre 2020 | 20 Minutes
ELECTIONS Les candidats pour intégrer le palais du Luxembourg à la fin du mois ont jusqu’à ce vendredi pour déposer leur candidature. On fait le point sur les missions et les particularités de la chambre haute du Parlement
- Les élections sénatoriales auront lieu le 27 septembre prochain pour renouveler la moitié de cette assemblée parlementaire.
- Comme les députés, les sénateurs sont chargés de contrôler l’action du gouvernement et d’élaborer les lois, dans le cadre de la fameuse « navette parlementaire ». Mais leur mode d’élection en font une institution plus autonome, estiment les sénatrices Esther Benbassa et Muriel Jourda, de même que l’ancien ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas, qui espère faire son entrée au sein de la Haute-Assemblée.
- Une indépendance qui s’est notamment illustrée au moment de l’affaire Benalla.
C’est sans doute l’échéance électorale qui fait le moins parler d’elle. L’enjeu des sénatoriales, le 27 septembre prochain, n’est pourtant pas anodin. « Le Sénat est fondamentalement un contre-pouvoir ! », assure Jean-Jacques Urvoas. L’ancien ministre de la Justice, par ailleurs maître de conférences en droit public et auteur d’un Que sais-je ? sur le Sénat*, mène justement campagne auprès des maires du Finistère pour tenter de décrocher un troisième siège pour le Parti socialiste dans le département.
Car c’est la particularité du Sénat : contrairement aux députés, ses 348 membres ne sont pas élus directement par les Françaises et les Français mais par leurs représentants : les députés, conseillers départementaux et régionaux, et, surtout, les maires et délégués des conseils municipaux. Soit un total d’environ 160.000 grands électeurs. Un scrutin indirect donc, dont la visibilité pour le grand public est encore un peu plus brouillée par un renouvellement par moitié tous les trois ans et un mode de scrutin différent selon la taille du département.
« Grande autonomie »
Mais pour Muriel Jourda, sénatrice LR du Morbihan, c’est justement ce mode d’élection qui confère au Sénat une « grande autonomie » et « un point de vue différent » dans l’élaboration des lois. « En particulier, le Sénat est indépendant de l’élection du président de la République, contrairement à l’ Assemblée nationale, qui est élue dans la foulée de la présidentielle. En 2017, de nombreux députés LREM ont été élus exclusivement parce qu’ils soutenaient Emmanuel Macron. Au point que certains d’entre eux, peu expérimentés, se voyaient davantage comme ses représentants auprès de la population que des représentants de la population », tacle l’élue.
Une indépendance qui s’est illustrée au moment de l’affaire Benalla, en juillet 2018. Avec ses questions, Muriel Jourda, alors co-rapporteure de la commission d’enquête, n’a pas ménagé l’entourage d’ Emmanuel Macron. « Nous avons une liberté de parole, mais aussi un sens des responsabilités. On n’est pas là pour déstabiliser les institutions ! » Selon elle, « le rapport de la commission mettait en avant un certain nombre de faits, mais la commission d’enquête Benalla, ce n’était pas le procès du gouvernement. Nos conclusions n’étaient pas de pendre quelqu’un au bout d’une corde ! Il s’agissait surtout de mettre en garde sur la façon dont on assure la sécurité du président de la République. »https://www.ultimedia.com/deliver/generic/iframe/mdtk/01357940/src/kfm05k/zone/1/showtitle/1?tagparamdecoded=actu%2Fvideo_actu/
Un prisme sur les libertés publiques, et plus de temps
Tous les présidents de la République de la Ve République ont dû composer avec un Sénat tatillon, souligne Jean-Jacques Urvoas. « Le Sénat a notamment la préservation des libertés dans son ADN. Pendant le mandat de Nicolas Sarkozy, je siégeais dans l’opposition à l’Assemblée nationale. En commission mixte paritaire [instance chargée de trouver un texte de compromis entre Sénat et Assemblée], les sénateurs UMP faisaient parfois notre jeu pour mettre les députés UMP en minorité sur des questions de liberté », se souvient-il, citant notamment la loi pénitentiaire votée en 2009. Et si l’Assemblée nationale a le dernier mot sur les projets de loi, « notre travail n’est pas oublié : environ 60 % de ce que fait le Sénat est repris », assure Muriel Jourda, qui planche actuellement sur la gestion de l’épidémie de Covid-19 par le gouvernement, dans le cadre d’une nouvelle commission d’enquête.
« Le Sénat n’est pas un contre-pouvoir, mais il lui arrive d’avoir une certaine indépendance. Même si c’est la droite conservatrice qui le domine, il porte une plus grande attention à la question des droits humains », abonde Esther Benbassa. La sénatrice écologiste de Paris estime en outre que les élus du palais du Luxembourg peuvent davantage entrer dans le détail. « Le temps de l’étude de la loi est plus long, ce qui donne plus de profondeur à l’étude des textes. On travaille la loi comme une dentelle, on n’est pas la précipitation. Mais ces temps-ci, avec Emmanuel Macron, ça a été la course ! »
Représentant des territoires
Pour Esther Benbassa, toutefois, le Sénat n’est pas assez représentatif de la population. « 53 % des grands électeurs sont issus de communes de moins de 1.500 habitants, or ces dernières ne rassemblent que 33 % de la population. Le mode d’élection favorise donc fortement les départements ruraux et les petites communes », souligne notamment l’élue EELV. Avant de nuancer : « Les territoires, il faut bien qu’ils soient représentés ! »
Pour Muriel Jourda et Jean-Jacques Urvoas, ce lien avec les territoires confère au Sénat sa singularité. « Les sénateurs ont tous été élus locaux et le sont parfois encore. Ils connaissent donc les réalités du terrain. Il faut justement que l’expérience sous-tende les décisions », pointe l’élue du Morbihan. « Les élus locaux sont incroyablement attachés au Sénat. Souvent, ils estiment qu’il n’y a que lui qui les comprend. Au fond, le drame de ce pays est qu’il reste extrêmement centralisé, alors que les territoires sont le socle de toute politique publique », complète le candidat finistérien.
Le positionnement particulier du Sénat dans les institutions de la Ve République semble en tout cas amené à perdurer. Malgré de nombreuses velléités de modifier le fonctionnement de la Haute Assemblée, y compris de la part d’Emmanuel Macron, la réforme n’est pas pour demain, estime Jean-Jacques Urvoas. « Dix-huit mois avant l’élection, aucun parti politique d’opposition ne fera à Emmanuel Macron le cadeau d’un soutien sur une réforme constitutionnelle ». Les élections du 27 septembre amèneront donc le renouvellement d’une moitié d’élus, mais pas une révolution sous les ors du palais du Luxembourg.
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