A Lyon, le centre de rétention ressemble de plus en plus à une prison
« L’Obs » a suivi la sénatrice Esther Benbassa dans sa visite du centre de rétention administrative de Lyon. Reportage.
La sénatrice EELV de Paris, Esther Benbassa, a préparé sa visite au centre de rétention administrative (CRA) de Lyon Saint-Exupéry dix jours à l’avance. Quand elle nous a proposé de l’accompagner, elle nous a prévenus :
Le mieux c’est de ne pas venir avec un photographe, ils pourraient faire des histoires. On ne prévient pas, on y va à l’improviste, sinon ils nettoient tout avant notre visite et on ne verra que ce qu’ils veulent nous montrer.
Quand nous nous présentons, vendredi 16 mars, devant « l’accès réglementé » du centre, nos précautions semblent ne pas avoir été inutiles. A l’interphone, situé quelques mètres avant l’entrée, une voix nous indique que, « pour le moment », seule la sénatrice peut entrer. Qu’à cela ne tienne.
Nous profitons de l’ouverture du long portail vert qui laisse passer un véhicule, pour nous faufiler à l’intérieur de l’enceinte. Depuis 2016, la loi autorise les journalistes à accompagner les parlementaires qui ont le droit à tout moment de visiter les locaux de garde à vue, les lieux de rétention administratifs, les zones d’attente, les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés. Ce qu’Esther Benbassa ne manque pas de rappeler à l’agent de police qui vient à notre rencontre. Avant de discuter la loi Asile et immigration, bientôt en débat au Parlement, qui prône 90 jours de rétention maximum contre 45 aujourd’hui, la sénatrice a voulu constater qui on enferme en CRA et dans quelles conditions.
A vingt kilomètres de Lyon, l’ancien hôtel Formule 1 sans étage, transformé en centre de rétention en 1995, se dessine en bout de piste de l’aéroport d’où l’on aperçoit, à quelques centaines de mètres, des avions stationnés. Après avoir longtemps accueilli des voyageurs en transit, le bâtiment abrite désormais des personnes en attente d’expulsion.
Le CRA, situé sur une zone de fret entre l’hôtel Kyriad et l’hôtel Ibis, n’est officiellement pas une prison, mais difficile de ne pas faire le parallèle. S’il n’y a ni mirador ni murs d’enceinte, les hauts grillages surmontés de barbelés qui encerclent le centre rappellent que nous entrons dans un lieu de « privation de liberté ».
Attentat de Marseille
Passage obligé, nous devons nous rendre à l’accueil où nous déclinons nos identités, avant d’être reçues par le chef du centre, le commandant Jocelyn Pillot. D’emblée, il indique les consignes, claires : photos, vidéos et enregistrements audio ne sont pas autorisés. Dans son bureau, le chef du CRA explique :
Prendre des photos, ici, est compliqué. Le profil des retenus a changé depuis l’attaque de Marseille. On priorise les admissions des sortants d’établissements pénitentiaires. On a affaire à un public retors, qui a eu maille à partir avec la justice
En octobre, une série de dysfonctionnements au sein de la préfecture du Rhône avait permis la libération, au lieu de son placement en centre de rétention, d’Ahmed Hanachi, Tunisien de 29 ans, en situation irrégulière, après avoir été interpellé pour un vol. Deux jours après, il avait assassiné deux femmes sur le parvis de la gare Saint-Charles de Marseille. Le préfet Stéphane Bouillon, nommé après le limogeage de son prédécesseur, Henri-Michel Comet, avait alors décidé de renforcer le système d’éloignement. Le chef de centre précise :
Nous avons aujourd’hui 30% de sortants de prisons, 30% de sortants de garde à vue et, à la marge, des profils plus classiques de personnes contrôlées au hasard et qui étaient en situation irrégulière.
Cette situation récente a fait grimper le nombre de retenus dans le CRA, passant d’une soixantaine de personnes à 80 personnes en moyenne. « On est au maximum de nos capacités », constate le commandant Jocelyn Pillot. Et de confier à la sénatrice :
La structure du bâtiment n’est pas adaptée. Nous avons des chambres de quatre, c’est beaucoup. La promiscuité rend difficile le quotidien. Nous sommes les premiers à demander de nouveaux locaux avec moins de monde par chambre.Le CRA est en chantier permanent, faut suivre. On fait la moitié d’un mur un jour, l’autre moitié, un autre jour… Si vous pouvez pousser pour qu’un nouveau centre sorte de terre, on est preneur !
Mobilier sommaire
La visite commence justement par ces chambres censées, selon la loi, offrir des équipements et des prestations de « type hôtelier ». Et bien que ce soit un ancien hôtel, le CRA de Lyon en est loin. Dans un petit couloir, quelques pièces aux portes ouvertes. Ce sont les chambres des hommes de l’aile nord. Le mobilier est sommaire : deux lits superposés, un petit meuble de rangement ouvert à tous les vents et une télévision. Des couvertures, posées négligemment aux châssis des fenêtres, font office de rideaux pour empêcher la lumière du jour de pénétrer. Des inscriptions au feutre décorent les murs fatigués de la pièce d’une quinzaine de mètres carrés maximum. Du papier entoure les lampes accrochées au plafond pour en diminuer la luminosité. Dans un coin, peint en gris métal, à l’entrée des chambres carrelées, une douche à italienne, un lavabo d’angle et une cuvette de toilette en inox évoquent un univers carcéral.
Esther Benbassa s’étonne :
Ça ne sent pas bon ! Ça sent l’urine.
La policière qui nous accompagne assure :
« C’est la cigarette, madame.«
« Les draps sentent mauvais », dit encore la sénatrice. « Les draps sont changés toutes les semaines. Le retenu décide s’il veut amener ses draps à laver », répond la même policière. « C’est vraiment sale et en mauvais état », continue sans relâche Esther Benbassa. « La zone de rétention est aussi une zone de vie. On les laisse vivre comme ils veulent, on ne peut pas être toujours derrière eux », se justifie encore la policière.
A l’entrée du centre, un homme est appelé à l’accueil. Il vient d’apprendre sa libération. Ce Marocain était dans le centre depuis 43 jours. « La préfecture a décidé de sa libération. Vous voyez, comme quoi, on les libère aussi », se satisfait le commandant Pillot.
Ceux qui ne sont pas libérés ou renvoyés dans leur pays tuent le temps comme ils peuvent. Deux salles de détente s’ouvrent sur une cour de promenade sécurisée. Une des salles est aménagée avec un baby-foot, deux bancs en béton et deux distributeurs payants de boissons et de confiseries. Dans l’autre, des tables hautes sont recouvertes de damiers. Dans la cour, trois tables de ping-pong ont été installées.
Il n’est pas rare que certains tentent de s’échapper. Certains murs en placo n’ont pas résisté à la détermination des migrants de fuir cet endroit. « C’est la seule idée qu’ils ont en tête », acquiesce le chef du centre.
Pas une alternative à la prison
« Ces lieux ne sont ni prévus ni adaptés pour accueillir des gens pendant 45 jours. Comment peut-on vouloir, comme le projet de loi le prévoit, enfermer encore plus longtemps ces personnes ? », s’inquiète Elodie Jallais, chef de service de l’antenne Forum réfugiés, une association qui a une permanence au sein du CRA et que nous rencontrons dans un Algeco à l’extérieur. Elle s’inquiète :
L’allongement du délai maximum va accentuer le problème de sursaturation que connaît aujourd’hui le centre de rétention.
« Lorsqu’en 2016, la loi a fait passer ce délai de 32 à 45 jours, nous avions constaté une détérioration de la santé physique et psychique des personnes. Environ 4% de personnes en plus ont été expulsées. Ce n’est pas beaucoup. En passant de 45 à 90 jours, on n’expulsera pas beaucoup plus, contrairement à ce que dit le gouvernement. Mais on enfermera plus longtemps, dans des conditions dégradées, et avec le même nombre de policiers, de médecin. Cela va mécaniquement créer davantage de tension et de pression. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? », s’interroge Elodie Jallais.
Elle se dit également préoccupée par l’augmentation des personnes en situation irrégulière placées en rétention après une garde à vue.
Après l’attentat de Marseille, il y a eu un discours très sécuritaire. Pour rassurer la population, on lui a dit qu’on allait mettre en rétention les gens dangereux afin de les expulser rapidement. Je m’inquiète cependant du manque de discernement des préfectures.Une garde à vue ne signifie pas pour autant des poursuites judiciaires. Les centres de rétention ne doivent pas devenir une alternative à la prison !
Pour le commandant Jocelyn Pillot, l’allongement du délai maximal de rétention est une bonne solution pour éloigner ceux qui « méritent d’être éloignés ». « Quand il n’y a aucune perspective d’éloignement, parce que l’on sait que le pays du ressortissant ne délivrera pas de laissez-passer consulaire ou alors que la procédure n’a pas été respectée, les préfectures libèrent les retenus rapidement. En revanche, en allongeant la période de rétention, ça nous laisse plus de temps pour obtenir les documents qui nous permettront de procéder à l’éloignement. Notre vocation n’est pas de retenir le plus possible mais d’éloigner. Nous ne sommes pas une annexe d’un lieu de détention », assure-t-il.
En partant, Esther Benbassa s’estime mieux armée pour débattre de la future loi. Elle assène :
Lorsqu’on me parle de crise des migrants, je leur réponds qu’il s’agit d’abord d’une crise de l’accueil.