Réforme pénale : Le Sénat adopte la réinsertion par la lecture en prison (ActuaLitté, 25 juin 2014)

Dans le cadre des discussions autour de la réforme pénale, intitulée Prévention de la récidive et individualisation des peines, les députés Gaymard et Poisson avaient porté un amendement particulièrement intéressant. Ce dernier visait à opérer une réduction de peine pour les personnes condamnées « qui lisent un livre et en font un compte rendu écrit ». Hélas, l’amendement avait été rejeté lors de son examen. Il vient cependant de connaître une seconde vie. 

Lors de l’examen du projet de réforme au Sénat, il semblait évident que les sénateurs UMP représenteraient l’amendement. Et, de fait, il était prévu que plusieurs sénateurs soutiennent le retour de cette procédure permettant de réduire la durée d’une peine, par le truchement de la lecture. Les sénateurs Vial, Béchu, Milon et Ferrand, Duchêne, Grosdidier, Beaumont et Hérisson avaient concocté leur petit programme, lequel était destiné à être inséré après l’article 7 bis. Exactement la démarche entamée par MM. Gaymard et Poisson.

 

Après l’article 721-1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 721-1-… ainsi rédigé :

« Art. 721-1-… – En application de l’article 721-1 du code de procédure pénale, une réduction supplémentaire de la peine peut être accordée à toute personne condamnée, quel que soit son niveau d’éducation ou de français, qui lit un livre et en fait un compte rendu écrit selon des modalités définies par décret d’application. Cette réduction, accordée par le juge de l’application des peines après avis de la commission de l’application des peines, est de cinq jours par livre lu et par mois d’incarcération. »

L’objet était, à peu de choses près, celui que les députés avaient soutenu devant l’Assemblée. Mais il ajoutait plusieurs éléments :

 

Ce programme de réduction de peine par la lecture a fait ses preuves à l’étranger. En effet, en juin 2012, le gouvernement brésilien a mis en place dans quatre prisons fédérales un programme intitulé « Rembolso a través de la lectura » [remboursement à travers la lecture, en traduction littérale], qui prévoit de réduire de 4 jours la peine d’un détenu pour chaque livre lu. Les résultats de cette expérience ont été plus qu’encourageants.

Pour organiser cette mesure de réduction de peine par la lecture, un décret d’application détaillant la mise en œuvre pratique de cette mesure législative devra être adoptée dans les trois mois de l’adoption de la mesure législative :

–      Convention de partenariat avec des associations pour mettre en place ce programme de réduction de peine, notamment l’association « Lire pour en sortir » qui porte ce programme,

–      Liste des livres faisant partie du programme de réduction de peine avec modalités de révision annuelle de cette liste,

–      Mise en place d’un comité de lecture, en liaison avec les SPIP, permettant sur des critères objectifs une revue des fiches de lecture réalisée par la personne détenue,

–      Conditions de lecture et de revue des livres selon des critères à définir,

–      Modalités des conditions de révision de l’effectivité de la réduction de peine avec rapport favorable ou défavorable aux SPIP.

Ce décret détaillera également un programme spécifique en cas de difficultés de lecture de la personne condamnée, soit en raison de son niveau d’alphabétisme, soit en raison de sa nationalité étrangère, afin d’organiser par la lecture un processus de mise à niveau ou d’apprentissage du français, en partenariat avec l’Éducation Nationale.

C’est pourquoi, la France, dont la littérature est au cœur même de son histoire, de sa grandeur et de son rayonnement international, doit placer le livre au cœur de sa politique de réinsertion des personnes condamnées afin de favoriser l’éducation, la lutte contre l’illettrisme, un meilleur accès au monde professionnel et prévenir la récidive.

 

Pourtant, cet amendement n’a pas été soutenu, et pour cause : le gouvernement a finalement décidé de déposer son propre amendement, pour la lecture au Sénat, en proposant d’insérer après l’article 7 bis, un article additionnel :

À la première phrase du premier alinéa de l’article 721-1 du code de procédure pénale, après les mots : « ou d’une formation, » sont insérés les mots : « en s’investissant dans l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul, en participant à des activités culturelles et notamment de lecture, ».

 

L’objet est assez différemment formulé, mais dans l’esprit, il reflète bel et bien le projet que les députés avaient originellement porté :

 

L’article 721-1 du code de procédure pénale conditionne l’octroi de réductions supplémentaires de peine (RSP) à la manifestation par le condamné d’efforts sérieux de réadaptation sociale et donne un certain nombre d’exemples.

Il apparaît pertinent de rajouter à cette liste d’exemples l’investissement dans l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul et la participation à des activités culturelles et notamment de lecture.

L’article 27 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 précise que l’obligation d’activité doit consister en l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul lorsqu’il appert que la personne détenue ne les maîtrise pas.

L’illettrisme est un des phénomènes massifs d’exclusion dans notre société ; il est encore aggravé par les conditions de vie en prison. C’est un obstacle essentiel à la réinsertion sociale et professionnelle de ceux qui en sont victimes.

Les personnes détenues sont globalement en très grande difficulté :

– 1,5 % n’a jamais été scolarisé ;

– 4,7 % ne parlent pas le français et 5.1 % le parlent de manière rudimentaire ;

– 47,9  % sont sans diplôme ;

– 79,9 % ne dépassent pas le niveau CAP ;

– 28,8 % des personnes sont issues de cursus courts ou d’échecs du système scolaire (primaire, enseignement spécialisé, CPPN, collège avant la 3e) ;

– 26,7  % des personnes rencontrées échouent au bilan de lecture proposé (10,9 % sont en situation d’illettrisme au regard du test et 15.8 % échouent du fait de difficultés moindres).

La situation est particulièrement difficile chez les jeunes détenus de moins de 18 ans, puisque 80% d’entre eux sont déscolarisés avant l’incarcération.

Depuis 1995, le partenariat avec l’Education nationale a permis d’organiser dans les établissements pénitentiaires un encadrement pédagogique des adultes et des mineurs. Sur la dernière année scolaire, ce sont 47 332 personnes détenues adultes qui ont été scolarisées, plus de la moitié ayant suivi une formation de base (alphabétisation, illettrisme, remise à niveau, préparation au CFG). Les actions d’enseignement ont également concerné 3 351 mineurs détenus sur l’année scolaire.

Par ailleurs, la lecture est au cœur des dispositifs d’insertion des personnes placées sous main de justice. Des partenariats sont ainsi mis en œuvre entre les établissements pénitentiaires et les bibliothèques territoriales, afin de proposer, d’une part, une offre de lecture accessible à l’ensemble des personnes détenues et, d’autre part, une programmation culturelle diversifiée fondée sur des partenariats avec des institutions culturelles.

Ainsi, il apparaît nécessaire d’encourager les personnes détenues qui s’inscrivent dans une démarche pour apprendre à lire, écrire et calculer ou pour participer à des activités culturelles, notamment par l’octroi de réductions supplémentaires de peine.

 

Maître Alexandre Duval-Stalla, qui avait participé à la rédaction de l’amendement de MM. Gaymard et Poisson, contacté par ActuaLitté, ne cache pas son enthousiasme. Constatant que le gouvernement a finalement déposé son propre amendement, lequel reprenait l’idée suggérée par les députés UMP, il se félicite de cette victoire pour les personnes incarcérées. « L’aventure commence bien », nous précise-t-il.

 

C’est que, comble du comble, l’amendement proposé en lecture au Sénat a été adopté. Au cours de la discussion, la garde des Sceaux, Christian Taubira, lancera : « Le sujet est venu en débat à l’Assemblée nationale, j’y ai été sensible. Hélas, l’amendement du député Jean-Frédéric Poisson n’était pas très bien rédigé. Nous l’avons récrit. On est dans le même esprit que Mme Klès mais le Gouvernement a la faiblesse de préférer sa rédaction. » Et le rapporteur de suivre immédiatement en demandant aux députés UMP de retirer leur amendement «  au profit de celui du Gouvernement ». Une sollicitation acceptée par les sénateurs de l’opposition.

 

L’amendement UMP aura, malgré tout, reçu l’assentiment de Mme Esther Benbassa, Ecologiste : « Je tiens à la formulation de Mmes Klès et Tasca. Il ne s’agit pas de football ni de broderie mais d’apprendre à lire et à écrire. Activités culturelles, ça fait « Club Med ». »

 

Il reviendra à la Commission mixte paritaire de trancher. Mais pour l’heure, le Sénat a validé la suggestion d’une remise de peine par la lecture.

Pour (re)lire l’article dans son intégralité sur l’ActuaLitté, cliquer ici!