Le texte de mon intervention lors du débat sur la réforme de la politique de la ville
« Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes ChèrEs collègues,
Le rapport de la Cour et des chambres régionales des comptes, publié en juillet 2012, synthétise les enquêtes menées conjointement depuis la fin de l’année 2009.
Il constate qu’en dépit des efforts réalisés par un grand nombre d’acteurs et des résultats obtenus par le programme national de rénovation urbaine, les handicaps dont souffrent les quartiers ne se sont pas atténués. Il attribue cette situation aux dysfonctionnements dans la coordination ministérielle et dans la coopération entre l’Etat et les collectivités territoriales.
Le rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles de 2012, quant à lui, insiste sur les écarts persistants entre ce qu’il est convenu d’appeler « les quartiers » et le reste des unités urbaines.
Dans « les quartiers », la part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté (964 euros mensuels) est passée de 30,5% en 2006 à 36,1% en 2010, alors qu’il est passé dans le même temps de 11,9% à 12,6% en dehors de ces quartiers. La pauvreté touche particulièrement les jeunes. En 2009-2010, près d’un jeune de moins de 18 ans sur deux vivait en dessous du seuil de pauvreté dans ces quartiers. 40,7% des jeunes y sont au chômage. Le taux de chômage des seniors, lui, n’a cessé d’augmenter depuis 2008, pour atteindre 14,9%. Même tableau du côté des femmes : moins d’une femme âgée de 25 à 64 ans sur deux occupait, en 2011, un emploi.
Et je ne parlerai pas ici de l’échec scolaire, du désert culturel, des transports, de l’habitat, de la santé. Ni de l’impact des discriminations liées à l’origine, à la nationalité ou à la couleur de la peau.
Vendredi 30 novembre et samedi 1er décembre, « Le Pari(s) du Vivre-Ensemble », une association dont je suis l’une des fondatrices, a organisé dans ces murs deux journées de débats citoyens sur « les quartiers ».
L’idée était de faire venir les gens des quartiers ici – dans un des palais de la République –, pour qu’ils s’y sentent chez eux, mais aussi pour qu’ils s’y expriment librement.
Les maux décrits par les rapports sont naturellement revenus dans les discours des participants. Mais on y a perçu une autre note, forte, obsédante. Une note d’amertume, et pour beaucoup de colère. Les propos tenus par les officiels invités, théoriques, parfois incompréhensibles, n’ont certes pas suffi à l’apaiser, cette colère.
Et pourtant, l’espoir était bien là. Il était dans les initiatives émergeant du terrain, fait de groupes, d’associations, d’individus qui incarnent, eux, vraiment, si je peux reprendre le vocabulaire du gouvernement précédent, le vrai « Espoir banlieue »…
Les forums organisés dans nos banlieues par le journal Libération, les questionnaires envoyés récemment par votre Ministère aux habitants et aux « professionnels de la politique de la ville » aideront peut-être à voir les choses d’un peu plus près. Mais aideront-ils à dégager de vraies solutions ? Il n’y a de toute façon pas de solution miracle. Seul pèsera un travail continu, de longue haleine, auquel nous devrons tous être associés.
Y compris les sénateurs, représentants de ces territoires dont nous parlons. C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit que notre Commission des Lois vient de lancer une mission d’information coprésidée par mon collègue de l’UMP, M. Jean-René Lecerf, et par moi-même. Une mission sur les discriminations ethniques, raciales et religieuses, qui vous soumettra, le moment venu, ses conclusions. Et qui entend s’interroger sur l’éventuelle utilité de ces statistiques que l’on qualifie – à tort – d’« ethniques », pour mieux mesurer l’impact réel de ces discriminations sur l’accès à l’éducation, à la formation, à l’emploi, au logement, à la santé, et sur l’ascension sociale, et pour affiner les moyens d’y remédier.
Puis-je cependant dès maintenant, comme citoyenne, comme militante associative, comme spécialiste des minorités, travaillant depuis longtemps sur – et avec – « les quartiers », me permettre déjà quelques suggestions ?
- Simplifier, clarifier le langage employé dans toute communication à destination des quartiers, des habitants, des élus. C’est une condition de l’efficacité de la démarche. Et comme le disait Boileau, « ce que l’on conçoit bien, s’énonce clairement …. »
- Inversement, tout mettre en œuvre pour que des réponses structurées et sans compromis puissent effectivement remonter du terrain. Je ne suis pas sûre en effet, là, pour le coup, que « les mots pour le dire arrivent aisément… ». Et que les questionnaires soient aisément remplis. Avez-vous par exemple envisagé de créer dans quelques quartiers, à titre expérimental, des structures souples réunissant régulièrement deux ou trois dizaines de personnes, habitants, associatifs, éducateurs, enseignants, représentants des quartiers, élus, porteurs de projets, en étroit contact avec des représentants de votre Ministère, et incluant éventuellement quelques sociologues ?
- Songer à mettre en place un « parlement itinérant » composé de députés, de sénateurs et d’élus locaux qui tourneraient dans les quartiers, chargés eux aussi d’entendre, autrement qu’en collectant les réponses à un questionnaire, les doléances, les attentes, les idées des habitants, pour les répercuter ensuite au niveau de chacun des ministères concernés.
- Répertorier et valoriser systématiquement les initiatives locales pour qu’elles puissent servir d’exemples et en inspirer d’autres, ailleurs.
- Lancer des campagnes de lutte contre les discriminations dans les médias. Multiplier les formations à destination des enseignants, fonctionnaires des administrations, forces de l’ordre, hommes et femmes des médias, DRH, etc., pour les sensibiliser à la lutte contre le racisme et les discriminations – y compris quelques heures d’initiation à la diversité des cultures et des traditions religieuses présentes sur notre sol.
- Intégrer à tous nos manuels scolaires non seulement une présentation des cultures d’origine de nos immigrés et de leurs descendants, mais aussi une histoire de ces populations qui rende clair, à leurs yeux comme à ceux de tous les Français, le parcours qui, de nos anciennes colonies, les a conduites à vivre ici, en France, une histoire, aussi, de leurs luttes, au fil des décennies, pour l’égalité.
- Faire en sorte que toutes les écoles des quartiers deviennent aussi les écoles des parents, en y organisant, entre autres, des cours d’alphabétisation et d’apprentissage du français. Multiplier les initiatives de créations d’internats. Augmenter le nombre de classes préparatoires dans les quartiers ainsi que celui des bourses pour les élèves méritants. Créer des classes de soutien assurées par ces boursiers qui serviraient ainsi d’exemple.
- Favoriser par diverses mesures l’implantation et la naissance d’entreprises dans les quartiers.
- Améliorer enfin les transports pour déghettoïser nos banlieues.
Ces idées, j’en suis sûre, recoupent beaucoup des vôtres. Mais prenons garde. Il y a urgence. Certains de nos concitoyens des quartiers sont déjà déçus de la gauche. Beaucoup ont la rage au cœur. Une rage qui risque d’alimenter le repli communautaire ou religieux, ce qui serait peut-être pire encore que les violences ou les émeutes. Si nous n’agissons pas rapidement, nos quartiers deviendront de petites nations dans la nation. Et nous aurons irrémédiablement failli à notre mission républicaine ».