Radicalisation: comment Édouard Philippe peut éviter le fiasco de ses prédécesseurs (Le Huffington Post, 23 février 2018)

RADICALISATION – On sait qu’Edouard Philippe, en déplacement dans le Nord de la France, présentera ce vendredi 23 février à la mi-journée son « plan national de prévention » contre la radicalisation. On sait que ça devrait concerner les prisons, l’éducation et la jeunesse.

On sait que c’est un « ensemble de mesures » qui doit être annoncé dans le cadre d’un Comité Interministériel de la Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation. Pour le reste, rien. Matignon ménage le suspense.

Il faut dire que, jusqu’à présent, les initiatives gouvernementales en la matière ont toutes tourné au « fiasco », pour reprendre l’expression de la sénatrice EELV Esther Benbassa, auteure de plusieurs rapports sur le sujet.

L’exemple le plus probant est sans doute le centre de déradicalisation de Pontourny en Indre-et-Loire. Inauguré en grandes pompes par Manuel Valls en septembre 2016, malgré la grogne des riverains, il a fermé moins d’un an plus tard pour un coût total de 2,5 millions d’euros.

L’un des pensionnaires avait même été arrêté par la DGSI alors qu’il s’apprêtait à s’enfuir pour la Syrie. Autant dire que le premier ministre s’attaque à un dossier autant complexe que sujet à polémiques. Voici quelques pistes qui pourraient lui permettre d’éviter les écueils de ses prédécesseurs.

Éviter la com’ pour la com’

La première tentation lorsqu’on est aux responsabilités, c’est de faire table rase du passé et annoncer tout un tas de nouvelles mesures que la presse se fera un plaisir d’énumérer. C’est ce que Nathalie Goulet, sénatrice UDI auteure d’un rapport sur ce thème, appelle « l’effet d’annonce ». « La première erreur serait de tomber dans cet exercice de communication. C’est à dire, annoncer des mesures qui flatteront l’oreille, mais dont on ne sait rien, qui ne donneront pas de résultats et qu’on oubliera dans trois mois », prévient l’élue de l’Orne.

Même son de cloche du côté d’Esther Benbassa. « Si ses annonces consistent à faire grossir le mille-feuille, ajouter des nouvelles couches de mesures, ça ne servira pas à grand chose », abonde l’écologiste, qui ajoute: « Il faut aborder cette question sous le seul angle technique, or, jusqu’à présent, l’erreur a été de la politiser. On pourrait d’ailleurs faire le même reproche à la loi asile ».

Se doter d’un cahier des charges

 

Conséquence des annonces en l’air, « l’absence de cahiers des charges », note Esther Benbassa. « En France on n’évalue pas, on annonce, on annonce, mais on ne dit pas comment et avec qui les chantiers lancés seront contrôlés », poursuit l’élue parisienne.

« Ce qu’il faut faire, c’est se prononcer sur le ‘comment’: qui? Quels moyens? Quels dispositifs préfectoraux? Associe-t-on les hôpitaux? S’inspire-t-on de ce qui se fait à l’étranger? Quel suivi? Quel calendrier? Etc. Il doit annoncer un ‘package’ qui permette d’évaluer les actions qui seront menées. S’il ne le fait pas, ce sera pareil que sous Manuel Valls ou Jean-Marc Ayrault », ajoute Nathalie Goulet, citant en contre-exemple l’opacité qui a régné au moment où l’Etat se contentait d’abreuver de subventions des associations aux résultats plus que contestables.

Des raisons d’espérer?

Alors, est-ce que les mesures du « nouveau monde » éviteront les pièges de l’ancien? Les deux sénatrices, qui n’ont pas été consultées malgré leurs importants travaux sur le sujet, en doutent. « J’ai été auditionnée par la ministre de la Justice au moment où la question devenait brûlante dans les prisons. Pas cette fois-ci », fait remarquer Esther Benbassa.

« On ne sait pas ce qu’il en est, ni si les expériences probantes à l’étranger, comme en Arabie saoudite, ont inspiré certaines mesures », pointe Nathalie Goulet.

Quoi qu’il en soit, le premier ministre a exprimé sa volonté de nourrir une réflexion de haut niveau. Devant les auditeurs de l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (IHEDN) la semaine dernière, Edouard Philippe a indiqué vouloir associer les chercheurs à lutte contre la radicalisation.

« Nous allons mobiliser le monde universitaire, en créant des formations dédiées à ce domaine. Comprendre est un préalable indispensable à l’action; ce sera aussi la mission du Conseil scientifique en charge de la recherche sur les processus de radicalisation. Il sera piloté par l’INHESJ (Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice) et nous l’installerons au printemps », a-t-il promis.

Retrouver cet article sur le site du Huffington Post